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07 / 03 / 2023 | 308 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Le télétravail peut-il vraiment empêcher le mouvement social d’atteindre ses objectifs ?

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La négociation sur la réforme des retraites prend un tour décisif. En ce début mars, l’instant social semble suspendu. Le Président de la République en habile négociateur a choisi l’arrivée du printemps pour avancer sur cette réforme dont il voudrait fermer au plus vite la parenthèse. En 2024, les jeux olympiques, accomplis, avec l’espérance d’une réussite, il entrera alors dans une période délicate car à l’image des présidents américains, à la fin de leur second mandat, il ne pourra plus se représenter et perdra en autorité. En vérité, on ne prête du pouvoir qu’à ceux qui ont du temps devant eux. Réformer en profondeur suppose la durée mais aussi un devenir non barré par le couperet d’un calendrier électoral.


Pour les opposants à la réforme, la période reste complexe car ils subissent ce tempo. Toutes les organisations syndicales dont l’unité remarquable les rend fortes et audibles espèrent faire reculer le pouvoir à l’identique du mouvement de 1995 contre la réforme de la Sécurité Sociale portée alors par Alain Juppé, Premier Ministre de Jacques Chirac. Les conditions politiques et sociales d’aujourd’hui sont bien différentes de celles d’il y a trente ans. Et mêmes de celles de 2010 où un mouvement social de millions de salariés s’était levé à huit reprises pendant deux mois contre la réforme imposée par Nicolas Sarkozy de relèvement de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Réforme qui a sans doute coûté sa réélection au Président « du travailler plus pour gagner plus ».


Aujourd’hui à l’évidence, l’existence du télétravail, du service minimum dans les transports et dans les écoles sont des amortisseurs et vont réduire l’impact du mouvement de grève en particulier dans les transports en commun. Néanmoins depuis trois ans le contexte national s’avère anxiogène, un mal être diffus étreint la majorité des Français en raison d’une part du délitement des services publics : école, justice, établissements de soins etc., et d’autre part de l’enchaînement de chocs traumatiques (crise sanitaire de la Covid, crise climatique, prolongation de la guerre en Ukraine et envolée de l’inflation qui rogne le pouvoir d’achat). En cela la situation sociale demeure inflammable. Une dynamique systémique peut-elle naitre de la combinaison de ces facteurs ? Un effet de bascule est-il à redouter ? C’est toute la question qui est posée au gouvernement qui table pour l’instant sur l’essoufflement du mouvement social et sur les divisions entre les réformistes et les plus radicaux. Divisions qui ont joué par le passé.


L’histoire sociale de ce pays montre qu’il n’est donné à personne de ne jamais céder aux événements, de ne jamais céder à sa propre faiblesse. En effet peu de facteurs d’apaisement et de contentement viennent soutenir la solidité d’une position frontale… si ce n’est la bonne tenue de l’emploi dont on ne sait s’il ne résulte pas en partie de la sortie du marché du travail d’un nombre conséquent de chômeurs. Même la forme olympique des multinationales du CAC 40 ne vient pas rassurer mais accentuer ce mal être chez les français. Leur richesse, leur profitabilité que bon nombre de pays pourraient nous envier ne sont pas vécues comme des gages de pérennité et de renforcement de notre économie mais analysées à l’aune de la pauvreté qui s’est stabilisée à un haut niveau depuis les années 2000 : le taux de pauvreté de 2019 est quasiment identique à celui de 1996. Pour revenir aux multinationales, il convient de regarder la terre pour voir ce qu’elles ont semé… Ces dernières
ont versé plus de 80,1 milliards de dividendes ou de rachats d’actions à leurs actionnaires en 2022 soit le niveau le plus haut jamais enregistré dans le pays. Au-delà de ce chiffre astronomique, il faut bien noter et c’est essentiel pour notre économie que la détention des actions des entreprises du CAC 40 par des non-résidents en France à hauteur d’environ 41 % (40,8% en 2019) amène à une sortie de la moitié environ de ces sommes qui ne seront donc pas objet d’investissement ni de consommation dans l’hexagone. Ces milliards auraient été bien utiles dans le pays des droits de l’homme qui recense encore entre 5 et 9 millions de pauvres selon les définitions retenues (50 % ou 60% du salaire médian). Si l’argent ne permet pas de faire tomber les parois de pierre qui séparent les classes dans notre pays chacun comprendra que vivre, avec, au plus 940 euros par mois, relève de l’insoutenable.


Ce contexte social tendu sert il la mobilisation sociale ? L’élan va-t-il s’inscrire dans la durée ? C’est la question posée aux organisations syndicales En dépit de ce tempo choisi par le gouvernement, la négociation a été insuffisamment préparée en amont. Ce dernier a été mal inspiré dans sa communication aux Français pour faire partager la raison de fond qui inspirait sa réforme. Ainsi il n'a pas expliqué pourquoi il avait abandonné la refonte envisagée lors du premier quinquennat. Celle-ci vantée ardemment par le pouvoir se voulait ambitieuse si ce n’est définitive et devait accoucher d’un système à points dit universel. Cette absence de transition laisse envisager une autre réforme à venir après celle de mars 2023. Les errements médiatiques nombreux (Réforme juste ? Garantie des 1200 euros ? Impact sur les femmes ? Travail des seniors ? etc.) dans la communication sur ce projet ont laissé apparaitre des flottements dans la maitrise du projet et dans le positionnement des curseurs, autant d’éléments préjudiciables à une bonne négociation sociale.

Rideau sur les alternatives

Les leaders syndicaux ont bénéficié de cette communication peu adaptée sur le projet de réforme Ce d’autant plus que les français dans leur majorité comprennent mal le passage d’une stratégie du « quoiqu’il en coûte » ou les fonds étaient déversés à grande échelle à une réforme si rigoureuse…alors que d’autres solutions apparaissent envisageables. A titre indicatif on citera les propositions d’Hervé Lorenzi, Président du cercle des économistes qui propose d’encourager
le travail des seniors en deçà de l’âge pivot de départ en retraite. Les personnes qui reculent leur départ bénéficient en effet d’une bonification de 1,25% chaque trimestre travaillé en sus, soit 5% par an. Le doublement de cette bonification à 10% annuel permettrait de garder en activité au moins 200 000 seniors désireux de travailler. D’autres mesures complémentaires : formation des seniors, arrêt progressif d’activité, évolution vers des métiers moins pénibles, dispositif d’accompagnement plus contraignant etc…favoriserait comme dans d’autres pays le travail des générations les plus avancées en âge. Le cercle des économistes considère ainsi que le système serait totalement équilibré avec le maintien d’environ 825 000 seniors en activité
professionnelle. Cette alternative éviterait ainsi le totem du relèvement à 64 ans de l’âge pivot de départ à la retraite.

 

Perdure ainsi le sentiment au sein de la population que cette réforme n’est pas totalement justifiée si ce n’est en raison de la volonté de l’exécutif de donner des gages à la Commission européenne. Les organisations syndicales sont portées par ces ressentis négatifs. Leur unité les sert globalement vis-à-vis de tous les salariés y compris chez les cadres. Une bonne moitié des cadres à plus de 45 ans. Ils voient d’un mauvais œil l’imposition rapide des 43 années de cotisation pour bénéficier d’une retraite sans décote. Ce curseur accéléré des 172 trimestres imposés aux générations nées avant 1973 a suscité l’inquiétude, car normalement les réformes se donnent le temps de l’installation (voir par exemple la clause du grand père pour l’extinction des régimes spéciaux à la SNCF et à la RATP …) pour éviter justement cet impact dolosif …c’est à l’évidence une piste qui sera explorée pour les compromis à venir.


Le Président de la République à tout espoir, à son âge pour espérer une prolongation de sa carrière prestigieuse au niveau européen à la suite de son 2nd mandat. Aussi cherche-t ’il à partir de cette réforme à parler aux décideurs européens et aux créanciers de la France dont la dette était détenue à 48,8% par les non-résidents en 2021. En cela le totem des 64 ans comme âge pivot de départ à la retraite devient pour lui intouchable car c'est selon lui, le seul indicateur véritablement compris, en matière de réforme par les Allemands, les Hollandais et les autres gouvernements européens qui se targuent d’une gestion vertueuse mais aussi par les marchés financiers qui financent les obligations assimilables du trésor (OAT) et autres bons du trésor à taux fixe (BTF).

Enjeux économiques invisibles

La paralysie plus ou moins forte du pays qui se dessine ne doit pas faire oublier cependant les enjeux économiques invisibles. Le facteur temps est en ce sens essentiel. Plus le mouvement unitaire est appelé à durer plus les conséquences économiques seront lourdes et plus le gouvernement devra trouver des compromis. Le patron de Kaufmann Broad Nordine Hachemi déclarait dans un journal financier début février « L’un des paramètres à intégrer en 2023 sera de savoir si le climat social anxiogène incitera les acquéreurs à repousser ou non leur décision d'achat. Instaurer un climat de confiance est crucial dans l'immobilier » On serait tenté d’ajouter qu’il en va de même pour nombre de secteurs de l’économie.


Le télétravail est donc une force qui va jouer mais à la marge. D’une manière logique bon nombre de salariés vont être dans l'impossibilité de se déplacer mais pourront continuer à travailler. Ce que l’on a constaté sur le terrain lors des derniers mouvements survenus récemment c’est l’apparition d’une certaine tolérance de la part des employeurs (public et privé) pour autoriser les personnels qui demandent à travailler à distance (et qui le peuvent) plutôt que d’affronter l’épreuve des transports publics ou les bouchons sur la route. Cela sera particulièrement vrai lors de ces temps forts de mouvement social. Le télétravail est une soupape d’adaptation acceptable désormais par les employeurs, il offre en cela fluidité, résilience et une certaine continuité pour les postes de travail qui le permettent. En bref le télétravail qui était peu usité en France avant mars 2020 – 7% des actifs avaient eu l’opportunité de travailler sous cette modalité (32% par exemple pour la Finlande) – a démontré aux yeux des employeurs qui y étaient très réticents (Télétravail = télévision) et qui bloquaient cette évolution, une certaine vertu. Dans leur majorité les employeurs se sont convertis à ce travail hybride. Le choc du confinement a permis par effraction de faire entrer le télétravail dans les entreprises, l’économie a gagné ainsi 10 ans de maturité numérique en quelques mois. Aujourd’hui alors que 76% des emplois en France sont de type tertiaire, environ 1/3 des actifs peuvent comme en 2020 y recourir. C’est à l’évidence un usage permettant de maintenir l’activité en dépit de la grève des transports. Les conséquences économiques de ce temps fort social jouent cependant sur nombre de postes qui ne peuvent pas être en télétravail, la liste est nombreuse : l’industrie pour tous les procédés de fabrication, d’extraction, et de maintenance, les secteurs agricole, forestier, la pêche, le secteur des soins, de l’aide à domicile, toutes les activités de services qui nécessitent une présence comme celle des ripeurs en charge de la collecte des déchets, ou encore la réception du public ou un travail collectif : le commerce, les caissières, les agents d’entretiens, collectivités publiques etc. En bref le télétravail va permettre de maintenir surtout une activité pour les salariés qui le désirent dans le secteur de l’économie de la connaissance.


A la différence des grandes mobilisations d’antan, les services publics minimums et le télétravail sont ainsi de nature à amortir et restreindre les contraintes de très court terme posées par ce temps fort social, néanmoins si le mouvement social dure et reste pour cela unitaire ces contraintes à l’évidence se feront sentir et ralentiront fortement l’économie. Le télétravail permettra certes à une partie des 12% de cadres de l’économie de poursuivre leur travail. Néanmoins, il est probable que la multiplication des foyers de contestation peut très vite déboucher sur une anesthésie économique. La raréfaction des carburants, de l’électricité, la limitation des possibilités de voyager en avion, en train que ce soit pour les longs trajets ou pour
les trajets régionaux, l'impossibilité d'emprunter les transports en commun pourraient entraîner des effets d’atrophie de l’activité. Les organisations syndicales ayant appelé la jeunesse à se joindre au mouvement un autre front dangereux pourrait s’ouvrir pour le gouvernement.


La persistance d’un mouvement social unitaire relativiserait fortement l’avantage conféré par le travail à distance. Le gouvernement attend donc de voir pour sentir si le mouvement s'inscrit dans la durée et évaluer s'il doit avancer d'autres concessions en sachant qu'il est peu probable qu'il recule sur le totem de l'âge pivot de départ à la retraite à 64 ans qui est le marqueur à donner selon le Président de la République aux autres pays européens et aux créanciers de la France.

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Le HCE alerte : le télétravail ne doit pas creuser les inégalités femmes/hommes

Alors que le télétravail a sérieusement progressé depuis la crise sanitaire, le HCE ( Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes ) vient de publier un rapport (*) qui devra retenir l'attention...

 

S'il peut présenter  des avantages souvent mis en avant (réduction des temps de transport, plus grande autonomie dans l’organisation des horaires de travail, meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle), les risques ou inconvénients , particulièrement pour les femmes, compte tenu des inégalités préexistantes ( notamment dans la sphère domestique ) ne doivent pas être minimisés...

 

Que retenir de ce rapport?

 

Il souligne l'inégale répartition des tâches ménagères, le déséquilibre de la charge familiale, la charge mentale… les femmes subissant encore de nombreuses inégalités au sein des foyers qui peuvent être amplifiées par le recours au télétravail par exemple lorsqu’il répond à des difficultés régulières de garde d’enfants ou qu’il s’exerce dans des locaux inadaptés.

Il peut alors entrainer des conséquences sur la santé mentale et impacter les parcours professionnels et les évolutions de carrière des femmes.

Le HCE alerte sur les enjeux spécifiques que le télétravail représente pour les femmes et propose des pistes pour que cette pratique ne vienne pas creuser davantage les inégalités entre les femmes et les hommes.

 

Les principales recommandations du HCE:

 

- Intégrer le sujet de l’égalité professionnelle dans toutes ses dimensions dans les accords collectifs sur le télétravail (ou à défaut, dans les chartes) et inversement, introduire un thème dédié au télétravail dans les accords relatifs à l’égalité professionnelle/QVCT

- Circonscrire le nombre de jours télétravaillables par semaine afin que le télétravail à 100 % soit limité à des situations exceptionnelles encadrées et instaurer des réunions d’équipe en présentiel pour prévenir le risque d’isolement

- Mettre en place un outil statistique national avec des données genrées quantitatives et qualitatives sur le télétravail et favoriser les travaux de recherche sur ce sujet afin de pouvoir suivre dans le temps l’impact de ce mode d’organisation du travail sur l’égalité professionnelle

- Mettre en place au niveau des branches professionnelles des actions de sensibilisation des employeur·ses et des salarié·es (particulièrement pour les TPE/PME) afin de donner à voir les impacts genrés du télétravail

- Établir, au niveau des accords de branche ou d’entreprises (ou à défaut des chartes), des critères d’éligibilité au télétravail basés sur les activités et non sur les métiers, en ayant une vigilance vis-à-vis des potentielles discriminations directes ou indirectes, y compris dans la définition des tâches télétravaillables

- Promouvoir une meilleure mixité des métiers en termes de politique publique en y associant les branches professionnelles

- Garantir aux salarié·es les équipements et outils nécessaires à un télétravail de qualité et les former à leur usage.

- Réintroduire dans le code du travail le principe selon lequel l’employeur·euse doit prendre à sa charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail

-Garantir l’effectivité du droit à la déconnexion

- Former les managers au management des salarié·es en télétravail /travail hybride en incluant un volet « égalité professionnelle ».

- Garantir à chaque salarié·e un espace de travail adapté sur le site de l’entreprise et développer les tiers lieux comme alternative au domicile

- Développer des mesures de prévention des violences sexistes et sexuelles en situation de télétravail en y intégrant un volet sur les violences domestiques afin d’en faire un levier à sa mise en œuvre égalitaire

- Intégrer dans le DUERP les risques liés au télétravail en tenant compte de l’impact différencié de l’exposition aux risques en fonction du sexe et mettre en place un plan d’action adapté

- Associer les services de prévention et de santé au travail à la mise en place et au suivi du télétravail

-Renforcer les politiques publiques d’accueil de la petite enfance ainsi que celles pour la prise en charge des personnes dépendantes et consolider les politiques d’entreprise de soutien à la parentalité et à l’aidance.

- Intégrer dans les accords (ou à défaut dans les chartes) des dispositions spécifiques pour les personnes en situation de vulnérabilité

- Intégrer des indicateurs « télétravail » dans la partie Égalité professionnelle de la BDESE

- Suivre l’évolution de carrières des salarié·es en télétravail/travail hybride

 

De manière générale, le HCE s’interroge sur l’impact à long terme du télétravail sur les inégalités femmes/hommes. Cette pratique doit constituer un véritable sujet de recherche et être investigué par le biais d’une production de données statistiques genrées.

Le HCE recommande de mettre en place un outil statistique national avec des données genrées quantitatives et qualitatives sur le télétravail.

 

(*) Le rapport du Haut Conseil: 

hce_-_rapport_-_pour_une_mise_en_oeuvre_soucieuse_de_l_egalite_entre_les_femmes_et_les_hommes-min.pdf (haut-conseil-egalite.gouv.fr)