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29 / 04 / 2024 | 383 vues
Gilles Kreckelbergh / Abonné
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Le Cabinet Technologia dresse un sévère rapport sur les conditions de travail à la Banque de France

La réunion du CSE-C du 24 avril a été l'occasion d'une restitution des conclusions du rapport Technologia (*)  sur la situation à la Banque de France....


Pour rappel, cette expertise a été votée par les élus du CSEC du 11 octobre 2023  dans le cadre de la procédure d’alerte pour risque grave (art L. 2315-94 du code du travail) suite aux deux suicides d’agents ayant eu lieu en juin 2023.


La séance de CSE-C s’est ouverte  dans un climat tendu avec des déclarations du sous-gouverneur Beau qui s’étonne de voir le rapport Technologia et des articles publiés dans les médias alors que la séance ne s’est pas encore déroulée. Aussi fait-il référence au tract de la CGT au sujet du suicide de notre collègue de PLC ayant laissé une lettre et dont l’enquête a été présentée la veille au CSE Fiduciaire. Il met en garde la CGT de l’impact d’un tel tract vis-à-vis de collègues en situation de fragilité psychologique.

 

Le médecin du travail le Dr De Roquefeuil est alors intervenu  pour expliquer que le service de médecine administrative sera vigilant si ce rappel douloureux a un phénomène de résonnance.


Nous avons assisté  ensuite à une tentative de déstabilisation de la part de la Direction de la Banque à l’encontre de la Directrice de la mission – Madame Darmon et des rapporteurs du Cabinet Technologia.(*) En souhaitant faire intervenir un responsable statisticien de la DGSEI (Direction générale des statistiques, des Études et de L'international), la Banque tente de remettre en cause le travail et les méthodes utilisés par le cabinet indépendant.

 

Les élus se sont opposés à cette intervention, ce CSE ayant été organisé pour entendre les conclusions avant tout ! Madame Darmon présente enfin son rapport en rappelant les règles méthodologiques de l’enquête Technologia, celle-ci s’est déroulée en deux phases :

 

  • Une phase quantitative avec un questionnaire auquel 6063 agents ont répondu soit un taux de participation de 60.3%
  • Une phase qualitative avec des entretiens individuels menés auprès des élus, de la direction et de 282 salariés


Le questionnaire était composé de 44 questions traitant de 10 thématiques de facteurs de RPS, le score moyen de la cartographie est de 54/100, ce score indique la présence de facteurs de RPS importants. Cet indicateur est un marqueur de l’état de santé de la structure auditée. Le score moyen est généralement compris entre 50 (entreprise/institution en très mauvaise santé) et 70 (entreprise/institution en très bonne santé).


Les thématiques les plus dégradées sont celles de la vision de l’avenir (36/100), de reconnaissance (50/100) et de management (52/100). Ce questionnaire met surtout en évidence l’exposition au risque d’épuisement professionnel pour 16% de nos collègues qui ont un risque élevé voire très élevé mais également 16.5% des répondants qui sont exposés à des violences relationnelles d’un degré moyen, élevé ou très élevé.


Les entretiens individuels ont permis d’établir le point de vue des agents et celui de la Direction pour tous les domaines d’activités de la Banque. À partir du retour des agents, des éléments par directions ressortent. Par exemple, la DGSI (Informatique) souffre d’une situation complexe avec une externalisation importante. Pour la majorité des agents, la vision et les orientations du SI de la Banque manquent de clarté. La situation est préoccupante chez les correspondants informatiques qui présentent un risque d’épuisement élevé.



En synthèse générale : La Banque de France vit depuis de nombreuses années une transformation d’une grande ampleur.


Transformation qui s’est accélérée depuis 2015 entraînant une forte réduction des effectifs. Le réseau a été touché en plus par une profonde réorganisation avec découpage CTP/SPP et la fermeture de nombreuses caisses.


Les effectifs du réseau ont diminué de 40% depuis 2015 ! En parallèle, en 2019 a eu lieu la réforme des carrières. Quelques années plus tard, nous en subissons concrètement ses effets : limitation voire arrêt de la progressions indiciaire, introduction de la rémunération à la performance avec les CDR et des attributions manquant clairement de transparence...


Conséquence : une grande frustration de la part des agents qui sont pour une très large majorité impactés par cette réforme.



D’un autre côté, le recrutement des collègues contractuels s’est accéléré augmentant de 26.8% entre 2019 et 2022. Si l’intégration de ces collègues s’est la plupart du temps bien passée, la cohabitation de ces deux statuts peut parfois entraîner des conflits et un sentiment d’iniquité. La Banque doit rester vigilante et traiter ces situations qui déstabilisent notre culture d’entreprise, avec la plus grande attention.


Dans le même temps, de nouvelles méthodes de travail et l’automatisation des process sont apparus. Ces nouveaux outils censés être intelligents comme ANACOT ont connu des déploiements périlleux et génèrent des gains de productivité mais sont à l’origine de la perte de sens au travail (« dis-moi combien de fois tu cliques, je comprendrai ta lassitude »).


Toutes ces transformations ont été conduites au pas de charge par le Gouvernement de la Banque dans le cadre de plans stratégiques qui se succèdent et par une ligne managériale qui ne disposait pas toujours des compétences et moyens nécessaires pour décliner une telle transformation. L’accompagnement des hommes et des femmes ayant subi les nombreuses conséquences de cette transformation (des mobilités géographiques ou fonctionnelles…) n’a pas toujours été à la hauteur.


Fort de ces constats, Technologia conclut que la situation à la Banque de France est un terreau propice au développement de RPS.

G


Technologia présente en toute fin de séance une série de préconisations comme le renforcement des travaux dans le domaine de la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP) qui permettrait de suivre les parcours professionnels, de proposer des formations, d’accompagner et d’être vigilant avec les collègues ayant vécu une mobilité contrainte, de prévoir un plan d’attractivité pour la filière fiduciaire, de mettre un terme à la situation des faisant- fonction…etc.


Faute de temps, nous n’avons pas pu échanger sur les préconisations lors de ce CSE-C. Le Gouvernement de la Banque travaille sur ces préconisations et semble ouvert au dialogue avec les élus dans le cadre des séances du CSE central.


Les premiers éléments recueillis nous laissent cependant dubitatifs quant à une évolution favorable sur deux des sujets au cœur du problème : les effectifs et les rémunérations.


Au cours de ce CSE-C, les  élus  du personnel sont intervenus pour faire entendre leurs  revendications en s’appuyant sur le rapport Technologia. Pour sa part FO a insisté auprès du gouverneur pour souligner que:


"Cette enquête met des mots sur nos maux. En tous points du territoire, dans les régions, au siège, sur les sites industriels et à l’ACPR, le personnel souffre.


Nous connaissons tous un collègue dont l’état de santé est altéré, du mal de dos aux conséquences plus sérieuses d’une dépression, d’un AVC, d’un infarctus lié au stress etc. Nous sommes malades de ces conditions de travail dégradées par les transformations violentes de notre Institution trop souvent menées sans aucune concertation sincère. L’hémorragie des effectifs en est le symptôme le plus visible.


Nous  demandons impérativement de lancer des enquêtes objectives sur tous les sites identifiés à risque par Technologia et de prendre les mesures correctives nécessaires.


Nous voulons que l’intensité au travail soit auditée dans chaque fonction afin de mettre fin aux surcharges et en rétablissant les effectifs adéquats dans les services.


Les DUERP doivent intégrer les RPS selon les normes professionnelles (références claires aux facteurs de RPS). L’urgence se situe notamment au siège où nous souhaitons qu’un DUERP plus précis par direction soit établi.


Nous  demandons d’instaurer une véritable obligation de déconnexion.

 

La fatigue excessive est un fléau pour la santé physique et mentale. Le « full access » doit être strictement limité aux fonctions relevant de la continuité d’activité pour la maîtrise du risque systémique. Les dérogations accordées doivent faire l’objet d’un contrôle sur les durées de
connexion en dehors des plages variables et le weekend, ces éléments doivent être accessibles aux élus pour leur permettre d’identifier les problèmes de charge de travail.


Nous  demandons également de revoir la politique de gestion des services de la DGSI en limitant au maximum le recours aux prestataires (beaucoup trop nombreux) et en améliorant les échanges entre les différentes directions et services. Il est urgent de ré-internaliser les métiers essentiels à notre fonctionnement. Il faut une politique efficiente, et réaliste de la gestion informatique avec des moyens humains et matériels adaptés et des équipes de support au plus proche des utilisateurs suffisamment dimensionnés. Les dysfonctionnements importants de cette direction générale ont des conséquences trop lourdes sur les agents qui y travaillent mais également sur l’ensemble du personnel.


Nous  demandons de recruter des profils idoines aux fonctions RH par mobilité interne avec un parcours de formation effectué avant la prise de poste et avec un tuilage obligatoire. La DGRH a de nombreux chantiers en cours et souffre de la perte des savoir-faire, il faut qu’elle
prenne en charge le double statut (contractuel et titulaire) et qu’elle puisse retrouver une véritable confiance du personnel.


Il est nécessaire de recréer un niveau maitrise distinct: l’intégration à la catégorie assistant depuis 2019 ne permet plus de marquer clairement la progression de carrière. Les managers de proximité sont les relais essentiels du bien-être au travail.


La réforme des carrières de 2019 est une « fosse à stagnation » pour le personnel qui se sent floué. Nous demandons que le dossier soir ré ouvert à la négociation.


Nous demandons de revoir la politique de mobilité des cadres.

 

La politique du 3/5/7 est contre-productive pour les postes d’expertises et induit des mobilités géographiques trop fréquentes dans le réseau avec des impacts considérables sur la vie privée. Elle ne permet pas aux cadres de construire un véritable parcours de carrière. Il est nécessaire de stabiliser les lignes managériales qui pourront alors enfin « parler vrai » et en finir avec la politique du « pas
de vague » sans crainte de répercussion sur leur déroulé de carrière.


En matière salariale, FO  a toujours été formellement opposé aux rémunérations individuelles qui fracturent les collectifs de travail comme le souligne le rapport. Si la BDF  pense maintenir ce système de rémunération, nous demandons que le montant des éléments variables de rémunération assis sur un critère de performance ou d’objectif soit identique pour toutes les catégories avec publication en toute transparence de la liste des agents ayant reçu le complément.


Les enveloppes d’avancement devront être suffisamment importantes pour récompenser tous ceux qui le méritent car l’immense majorité des agents déplore une lente progression individuelle des indices et n’est pas récompensé de son implication.


De plus, la promesse de redistribution des gains de productivité n’a pas été tenue. Il est primordial d’augmenter le point d’indice et de le prendre en référence lors des négociations salariales, la RMPP est trompeuse car elle prend en compte le glissement vieillesse technicité
et qu’elle n’est pas déclinée par catégorie.


Le dialogue social doit également être soigné : rappelons que les collègues qui ont malheureusement mis fin à leurs jours étaient tous deux élus. Ce dialogue est indispensable à la bonne marche de l’entreprise et doit être sincère et constructif. Il est impératif de reconnaitre le parcours et la compétence des élus qui ne doivent pas être perçus comme des adversaires mais comme des partenaires sociaux en charge d’alerter les directions sur la réalité du terrain.


Enfin, si notre institution est bien reconnue au travers de ses nombreuses missions, pour la qualité de son expertise, elle ne doit pas mener sa stratégie d’évolution au détriment de son personnel comme nous le constatons depuis trop longtemps. Cette politique délétère s’est fortement accélérée depuis 2015 avec les conséquences que ce rapport met en évidence.


L’excellence, le professionnalisme, l’exemplarité, qu’affiche la Banque, doit à présent se retrouver dans le domaine social. La richesse de la Banque et sa résilience sont aussi et surtout portées par son personnel.


Il est de la  responsabilité  de la direction de la BDF que chaque collaborateur puisse trouver sa place et s’épanouir au travail sans subir cette souffrance déclenchée par les plans stratégiques successifs décidés."



(*) Ce cabinet était intervenu sur la vague de suicides qui avait frappé France Télécom à la fin de la décennie 2000.

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