La réforme de la PSC des fonctionnaires : de sérieux effets à fragmentation
Depuis la décision du Conseil d’Etat de septembre 2005 sur la suppression des aides de l’Etat aux mutuelles de fonctionnaires (accordées dans le cadre des dispositions de l’arrêté Chazelle de 1962) , la participation des employeurs publics au financement de la protection sociale des fonctionnaires était une préoccupation récurrente exprimée tant par les organisations syndicales que par la Mutualité Fonction Publique.
Après être passé par un dispositif dit « de référencement » défini par un décret du 19 septembre 2007 (1) décliné dans la quasi-totalité des Ministères à compter de 2009 et renouvelé en 2016, on aurait pu penser que la réforme de la PSC envisagée allait être bénéfique pour les fonctionnaires actifs et retraités.
Mais, au fur et à mesure d’une mise œuvre désormais très proche , le nouveau processus de participation financière de l’Etat (par un versement direct pour chaque fonctionnaire en activité) sur la base de contrats collectifs obligatoires (système qui fait désormais bien peu de cas des retraités) n’en finit pas de susciter de sérieuses interrogations et de vives inquiétudes, tant sur les conditions des appels d’offres et d’attribution des marchés , dont on ne mesure sûrement pas encore totalement les conséquences…
Alors que le processus est désormais finalisé pour l’ensemble des ministères, les résultats sont en fait plutôt préoccupants au regard des profonds bouleversements qu’il engendre par:
- la remise en cause de la place et du rôle des mutuelles historiques et le détricotage du lien social établi grâce à leurs réseaux de proximité, leur engagement en matière de prévention et d’action sociale
- le découplage des attributions en matière de santé et prévoyance, avec une démultiplication des interlocuteurs pour les agents (contrairement aux offres mutualistes)
- l’impact sur la gestion de mutuelles qui ne conserveront, pour l’essentiel, que leur portefeuille de retraités en perdant entre 30 % et 50% de leurs adhérents.
- Sans parler des effets de bord sur les cotisations et le fonctionnement de la Mutualité Française
Bref…autant d’éléments aux lourdes conséquences tant sur l’emploi dans les mutuelles impactées que sur leurs organisations , leur gouvernance et les solidarités intergénérationnels crées et qu’elles s’attachaient à préserver.
Nul doute qu’à ce stade on est loin d’être au bout des effets à fragmentation induits par cette réforme.
Pour preuve, s’il en était encore besoin, la décision d’Intériale annoncée ces jours-ci par L’Argus de l’Assurance , de rompre son affiliation dès le 1er janvier 2026 à la Mutualité Française …pour rejoindre le cas échéant le giron de France Assureurs.
Si, pour l’instant aucun des acteurs concernés, n’a souhaité s’exprimer sur le sujet, la mise à l’écart d’Intériale au Ministère de l’Intérieur au profit de la MGEN -MGP (même si elle a pourtant obtenu le marché du Ministère de la Justice au détriment de la mutuelle historique de la Justice –MMJ-) n’est peut-être pas étranger à cette décision , d’autant que ses relations avec les Mutuelles de la Fonction Publique s’étaient déjà bien dégradées depuis son partenariat avec AXA.
Pour mémoire, Intériale avait déjà quitté la Mutualité Fonction Publique (MFP) en juillet 2018 …
Mais décidément quelle période !!
On ne dira pas qu’il faut voir dans ces évolutions une volonté d’affaiblir le mouvement mutualiste, les principes et valeurs qu’il porte, mais on ne pourra empêcher certains de le penser dans le contexte actuel…
Car force est bien de constater que cette réforme de la PSC pour la Fonction Publique de l’Etat a accéléré le « chamboule-tout » des mutuelles historiques de la Fonction Publique Etat, et redistribué les cartes dans un paysage mutualiste qui avait déjà beaucoup évolué au fil des ans avec en toile de fond les rapprochements, regroupements ou fusions sous diverses formes entre les mutuelles, les institutions de prévoyance ou mutuelles d’assurance.
Certes, des mutuelles historiques, comme la MGEN, ont consolidé leur position, tandis que d'autres, comme la MGEFI, la MMJ ont perdu des marchés clés.
Pour autant, l’arrivée pour le moins surprenante de la société ALAN (2) qui rafle de nombreux contrats de complémentaire santé dans les ministères tels que ceux relevant de Bercy , celui de la Transition Ecologique,… mais aussi les services du Premier Ministre ou l’Assemblée Nationale pour « disrupter » le marché, continue d’interroger et a suscité de nombreuses réactions syndicales, voire des recours juridiques (3) ainsi que de nombreux commentaires des observateurs sociaux.
Ces dernières semaines, depuis le début de la campagne d’affiliation lancée par la Mgen, les agents de l’Education nationale prennent connaissance des nouvelles conditions qui leur sont « proposées » et sur les réseaux sociaux, nombre d’entre eux témoignent de la « douche froide » ressentie lors de la découverte de celles-ci. .
On a pu aussi lire dans la presse récemment que certains considèrent qu’ avec des adossements au secteur privé, on s’inscrit dans une logique de privatisation pouvant conduire au renchérissement des frais pour les agents et pour le ministère, tout en pointant également l’inégalité face aux autres agents de la fonction publique puisque l’Education nationale se voit proposer des garanties inférieures à celles des contrats collectifs des autres ministères.
Cette même logique se retrouve via des distorsions de niveau de cotisation entre les ministères sur les tarifications appliquées aux agents, et surtout à leurs conjoints et enfants.
C’est ainsi que nombre d’entre eux voient leurs cotisations « globale familiales » s’envoler quand il s’agit de protéger leur famille avec les mêmes conditions de garantie dont ils bénéficiaient précédemment.
Cette réforme censée redonner du pouvoir d’achat aux agents selon le souhait affiché des différents ministres de la fonction publique qui se sont succédés depuis 2022, a finalement un effet inverse et met les agents et les familles dans de grandes difficultés financières pour les revenus les plus bas.
Cette situation ne manquera pas d’induire des impacts politiques avec des changements de paradigmes au sein des mutuelles de la fonction publique Etat qui n’auront pas été retenues dans ce nouveau processus.
Ainsi, les mutuelles confrontées à la perte de milliers, voire des centaines de milliers d'adhérents « actifs » le jour de la mise en place du nouveau contrat collectif ne conserveront pour l’essentiel que leur portefeuille de retraités. Cela pose de vraies questions sur la transformation politique de ces mutuelles de la Fonction publique, avec la problématique de la représentation dans les organes décisionnels des porteurs de garantie (devenus majoritairement des retraités) au sein des Conseils d’Administration , bureaux et dans le réseau d’élus étant entendu que celui-ci est encore composé pour une partie très significative d’actifs.
D’ores et déjà et sans attendre, la Mgefi, affiliée depuis un certain temps à la Sgam Matmut a engagé des réflexions sur la meilleure façon d’aborder son devenir.
La Société de Groupe d’Assurance Mutuelle (SGAM) Matmut a annoncé fin septembre le démarrage de travaux en vue d’un possible rapprochement entre ses mutuelles santé affiliées Ociane Matmut et Mgéfi.
L’objectif :
- Etudier les conditions d’un projet commun suite à la perte par la Mgéfi de l’appel d’offres pour la protection sociale complémentaire (PSC) des 134 000 agents du Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN).
- Conforter la stratégie du Groupe Matmut en matière d’assurance santé des agents de la Fonction publique, en complément du développement porté par la Mutuelle Ociane Matmut, tout en maintenant les équilibres financiers et la solvabilité du groupe
- Avec une priorité , la préservation des emplois et les perspectives pour les 200 collaborateurs de la Mgéfi.
.
Les travaux engagés se déroulent conformément aux valeurs mutualistes communes aux différentes entités, afin de formaliser des solutions visant à s’inscrire dans la durée.
S’agissant de la MMJ ( Mutuelle des métiers de la justice et de la sécurité) ,dans un article de l’Argus, paru le 3 octobre sur les perdants de la PSC, on pouvait noter : « Le sort de la Mutuelle du ministère de la Justice, renommée Mutuelles des métiers de la justice et de la sécurité, est tout aussi incertain. La MMJ, qui fait partie du groupe Aéma via son adhésion à l’UMG Aésio, « devra s’adapter », a prévenu Adrien Couret, le patron d’Aéma Groupe lors de la présentation des résultats en avril. »
Or, concernant la MMJ, des articles dans la presse font apparaître une certaine confusion pour les négociations relatives à la restructuration indispensable du fait de la perte des adhérents actifs du Ministère de la Justice.
Certes, selon des voix proches du dossier, l’exercice 2024 a confirmé le redressement économique et organisationnel de la MMJ et un récent diagnostic a confirmé l’absence de fragilité prudentielle de la MMJ ; mais des efforts importants sur les charges et frais de gestion semblent ne pouvoir être évités suite à la perte de l’appel d’offres PSC.
Mais, la gouvernance politique semble vaciller.
De source proche du dossier des fractures importantes semblent se dessiner dans le fonctionnement des instances, il semble qu’une perte de confiance en la personne du président ait engendré la démission d’un membre du bureau lors du dernier Conseil d’administration, et que d’autres pourraient suivre.
Cette indétermination qui semble régner à la MMJ depuis quelques mois complexifie notoirement la transformation politique, et opérationnelle. C’est dans ce cadre d’ailleurs que s’inscrit certainement l’arrivée annoncée dans la presse d’un administrateur du Groupe AEMA au sein du Conseil d’administration et d’un manager de transition aux côtés de la direction générale, ces deux personnes étant présentes pour accompagner la transformation de l’entreprise.
Décidément, cette réforme annoncée et affichée comme porteuse d’amélioration du dispositif de protection sociale complémentaires des fonctionnaires conduit finalement à un drôle de jeu de « chamboule tout »
On ne devrait pas oublier que les mutuelles n’existent collectivement que grâce à leurs adhérents et c’est leur intérêt qui doit être une priorité avec une juste représentation dans les instances politiques et des propositions de garanties de qualité à un prix raisonnable, n’ayant pas d’actionnaires à rémunérer…
=============================================================================
(1) Le dispositif de référencement ainsi mis en place par le décret du 19 septembre 2007, organisait la participation financière de l’employeur public non pas sur la base d’une aide « per capita » mais sur un financement exclusif des contrats qui devait vérifier des critères de solidarité intergénérationnels, familiaux et entre les revenus, ainsi qu’un degré de mutualisation des risques suffisant entre les bénéficiaires, actifs et retraités.
Il consistait dans le versement a posteriori par l’État d’une aide attribuée à un organisme de référence ou répartie entre les organismes de référence sélectionnés après mise en concurrence. Le montant maximal de l’aide versée dépend de celui des transferts effectifs de solidarité mis en œuvre par l’organisme de référence et au regard du nombre d’agents affiliés
(2) Start up dont les résultats restent à ce jour déficitaires et qui vit depuis des années sur des levées de fonds régulières très « diversifiées » auprès d’investisseurs y compris hors de l’hexagone qui attendent sûrement des retours sur investissement
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_(entreprise)
A noter que ses propositions reposent uniquement sur des applications numériques et l’intelligence artificielle
(3) Au Ministère de la Transition Ecologique, le recours formulé par la Fédération F.O de l'Equipement de l'environnement des Transports et des Services formulé auprès du Conseil d’Etat contre les conditions d’attribution d’Alan est toujours dans l’attente, mais une décision ne devrait plus tarder ; en revanche celui formulé par la Mutuelle des Finances (MGEFI) sur la régularité de la procédure d’attribution auprès du Conseil d’Etat a été rejeté ces jours-ci
(4) De son côté, le syndicat FO Justice a déposé une plainte auprès du Procureur de la République de Paris , considérant que plusieurs éléments laissaient à penser que les principes fondamentaux de transparence, d’impartialité et d’égalité de traitement des candidats n’avaient pas été respectés et a demandé au Ministre de la Justice par courrier du 6 octobre l’ouverture d’une enquête administrative concernant la procédure d’attribution du marché de la PSC auprès de la CPPS (Commission paritaire de pilotage et de suivi de la PSC) … à suivre ! Commission Paritaire de Pilotage et de
- Protection sociale parrainé par MNH
- Relations sociales