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31 / 05 / 2021 | 324 vues
Didier Cozin / Membre
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La dette de formation de notre pays est massive et quasi-impossible à honorer

Depuis six ans, les pouvoirs publics manœuvrent et mènent le monde du travail en bateau avec ce capharnaüm social que le compte personnel de formation (CPF) est devenu.


Résumé de ce dossier à la fois improvisé, miné et destructeur (de compétences) 


En 2013, le MEDEF a obtenu l'abandon du droit individuel à la formation (DIF) du gouvernement en misant sur un compteur externalisé et financé par l'État. Les entreprises se sont donc vues déchargées du développement des compétences de leurs salariés.


Une contrepartie prévue par la loi de 2014 consistait en une obligation de gestion des parcours professionnels sur six années (un entretien tous les deux ans + des formations autres qu'obligatoires sous peine d'une amende de 3 000 € par personne). Cette menace n'a tenu ni sur la durée ni sur son contenu et cette obligation (mal conçue, mal rédigée et mal interprétée) est désormais régulièrement reportée, pour la quatrième fois depuis mars 2020 : initialement prévue pour le 7 mars 2020, puis le 31 décembre de la même année, plus tard le 30 juin et désormais le 30 septembre 2021). Ce mauvais feuilleton des reports est évidemment loin d'être terminé.


La formation via un fantasmatique compteur national d'heures de formation n'était qu'un fantasme social.


Le CPF, qui ne devait être qu'un compteur (réceptacle) d'heures, est devenu un immense et inavouable déversoir social (illisible et inutilisable pour 95 % des travailleurs) au fil du temps.

  • Les 20 millions de salariés du privé en bénéficieraient (avec une micro-cotisation de 0,2 % de la masse salariale qui créerait miraculeusement 500 € annuels de droits par personne).
  • Les 6 millions de chômeurs (pour Pôle Emploi, le CPF n'étant qu'un compteur à siphonner pour toute formation acceptée).
  • Les 2 millions de travailleurs indépendants.
  • Les 6 millions de fonctionnaires (dont le CPF comptabilisé toujours en heures, n'est ni organisable ni même finançable).
  • Pour les travailleurs handicapés (qui bénéficieraient de plus de capital CPF sans cotisation supplémentaire).
  • Pour les bénéficiaires du compte d'engagement citoyen (CEC).
  • Pour les bénéficiaires de l'ex-compte de pénibilité.
  • Pour les jeunes en insertion, que l'on dote d'un CPF symbolique puisqu'ils n'ont jamais travaillé.
  • Pour les élus qui vont voir leur droit à la formation (DIFE) reporté sur le site moncompteformation...


Le CPF est un dispositif incapable qui permettra, dans le meilleur des cas, à 1 million de ses titulaires de se former (sur 30 millions au total, soit une formation tous les 33 ans en moyenne, une fois dans une vie professionnelle donc).


Le DIF n'en finit pas d'être reporté, lui aussi.
 

  • Il devait disparaître (ou être utilisé) avant fin 2020 (selon la loi de mars 2014).
  • Dans la loi de septembre 2018 il ne devait plus qu'être reporté avant fin 2020.
  • Durant la pandémie, l'État a décidé de reculer ce report (obligatoire et manuel) au 30 juin 2021.
     

La dette de formation de notre pays est massive et quasi-impossible à honorer.
 

On ne peut à la fois déplorer les faibles compétences des travailleurs en France (la bataille des compétences, selon le gouverneur de la banque de France ou l'ex-ministre du travail) et être incapable de financer ce modeste compteur de formation (20 heures par an, à l'origine).
 

Sur le milliard d'heures cumulées entre 2004 et fin 2014, moins de la moitié ne sera jamais reportée (ne serait-ce que parce que l'employeur et les traces du DIF auront disparu) et de toute manière, report ou pas, inscription sur le site moncompteformation ou pas, le CPF est un dispositif non-financé.
 

Rapide estimation de la dette CPF (+ DIF) : 60 milliards
 

  • 15 milliards d'euros des anciennes heures de DIF (1 milliard d'heures cumulées entre 2004 et fin 2014).
  • 15 milliards pour 1 milliard d'heures de CPF (24 heures par an entre 2015 et 2018).
  • 20 milliards en 2019 et 2020.
  • 10 milliards pour le CPF des 6 millions de fonctionnaires (rapport sénatorial de 2019).
     

Le total à payer (et à financer) s'élève donc à 60 milliards d'euros ; c'est l'addition de notre immobilisme social, des promesses intenables et de la bureaucratie. Une dette de formation que ni les cotisations des employeurs (qui ont fortement chuté avec le chômage partiel exempté de cotisations), ni des financements publics (l'État refuse tout endettement en matière de formation alors qu'il le tolère pour tous les autres budgets sociaux : chômage, retraite et maladie) ne pourront combler.
 

Sentiment de formation déconnecté de la réalité
 

Comme on parlait autrefois du « sentiment d'insécurité », on peut désormais parler d'un sentiment de formation (ou du sentiment de compétence) en France. Le CPF est non seulement un compteur incapable mais il favorise l'attentisme en se prenant pour un livret de caisse d'épargne, une pseudo-assurance de formation qui ne sert à rien pour 97 % des salariés.


Les travailleurs ont des compteurs pleins (150 heures pour les fonctionnaires, 3 ou 4 000 euros pour les salariés) mais ceux-ci sont inaccessibles (sans l'employeur, la formation ressemble à l'école) et le resteront tant que les financements seront aussi faibles ou défaillants.


Notre bataille pour les compétences est très mal engagée ; nous avons certes de jolis boutons de guêtres aux uniformes mais ni les compétences ni les connaissance pour nous confronter à un monde économique à la fois concurrentiel, exclusif et collaboratif.

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Merci beaucoup pour cet article qui parle cash et détruit un peu le mythe du CPF. Que deviendront les heures DIF qui ne seront jamais transférées dans le CPF ?