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03 / 10 / 2024 | 96 vues
Olivier BAILLY / Abonné
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La dégradation des compétences en santé des CSE

Le 22 septembre 2017, les Ordonnances Macron entérinaient la création du CSE, en fusionnant les instances des délégués du personnel (DP), du Comité d’Entreprise (CE) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).


Cette décision concrétisait la précédente tentative d’unification de ces instances, initiée dès 2015 par la loi Rebsamen, qui rendait déjà possible, pour les entreprises de plus de 300 salariés, leur regroupement dans une Délégation unique du personnel (DUP), leurs attributions restant cependant distinctes.
 

Alors que les CHSCT opéraient, dès les années 2000, un développement fulgurant, notamment du fait de la prise en compte des problématiques liées aux RPS, le revirement historique opéré par ces Ordonnances marquait un point d’arrêt à une logique de montée en puissance progressive depuis leur création par les lois Auroux de 1982.
 

Cet enterrement, en grande pompe, de 40 ans de CHSCT, illustrait également un revirement à 180 degrés par rapport à la logique de prévention de la santé des salariés mise en place dès 1941, par les CACT (Comité d’hygiène et de sécurité).
 

Cette logique, perpétuée après-guerre, reposait pourtant sur une séparation des fonctions et un développement des synergies, offrant une meilleure représentation dans chaque domaine (social, économique, sécurité). Cette dynamique offrait également la possibilité de permettre aux questions de Santé de ne plus être inféodées aux considérations économiques.
 

Alors même que cette nouvelle instance sacrifiait la question de l’hygiène au motif de l’efficacité, cette problématique se rappelait douloureusement à notre attention dès le 16 mars 2020, à la mise en place du premier confinement et le développement des gestes barrières, soit précisément 75 jours après la disparition programmée des CHSCT au 31/12/2019.
 

Le Bilan

Quel bilan faire 7 ans[1] après la mise en place des premiers CSE et, pour certains, après une seconde mandature ? Le constat fait sur le terrain, dans le cadre d’expertises, d’enquêtes, de diagnostics ou de formations SSCT, partagé par plusieurs experts et acteurs du Dialogue Social, est celui d’une réduction, prévisible, des compétences de ses membres en matière de Santé, Sécurité et Conditions de travail, en particulier, depuis l’introduction des CSSCT.
 

Certains estiment que cette réorganisation a entraîné des répercussions sur l’efficacité de la gestion des risques professionnels. Comme souvent, cette question est multifactorielle. Il semble qu’elle puisse être la conséquence des problématiques suivantes :
 

  • Un cumul des missions et une réduction du temps consacré
     

Le cumul des missions confiées au CSE, lié à la mutualisation des rôles, contribue à cette perte de compétences. A la différence de l’ancien CHSCT, exclusivement dédié aux problématiques de santé et de sécurité au travail, le CSE doit simultanément prendre en charge les questions économiques, sociales ainsi que celles liées à la santé et sécurité.
 

Il faut également noter que le passage vers le CSE s’est accompagné d’une baisse significative des moyens en nombre d’élus (de 30 à 50% dans certains cas) et heures de délégations (jusqu’à 48%), accrue notamment par le fait que, désormais, les suppléants ne sont plus conviés aux réunions.
 

Cela signifie aussi que les élus, non spécialisés, et moins nombreux, ont moins de temps à consacrer à l’analyse et à la prévention des risques professionnels, alors même qu’ils sont mobilisés sur d’autres fronts, comme les négociations salariales, la gestion des avantages sociaux​ ou les revendications individuelles.
 

  • Une formation inadaptée et une expertise amoindrie
     

Bien que la législation impose une formation, en matière de santé au travail, aux élus du CSE et de la CSSCT, ces formations peuvent se retrouver confrontées à deux problématiques :
 

> Le manque d’appétence de certains élus pour les questions, complexes, de Santé, sécurité et conditions de travail,
 

> L’inadéquation de certaines de ces formations pour les préparer aux défis modernes de la santé au travail. En effet, les élus doivent désormais traiter des questions complexes comme les risques psychosociaux, l’ubérisation du travail, le vieillissement de la population, les nouvelles (et moins nouvelles) formes de maladies professionnelles liées aux conditions de travail (comme les troubles musculosquelettiques), ou encore les impacts du télétravail sur la santé mentale, la fragilisation des collectifs, la perte de sens, ..​.
 

> L’affaiblissement de la présence syndicale, pourtant source essentielle de connaissances juridiques, règlementaires et de compétences techniques

 

  • Une réduction des moyens et un accès plus limité aux experts
     

Le transfert possible d’une partie des prérogatives Santé, sécurité et conditions de travail (SSCT) du CSE, vers la Commission Santé, sécurité et Conditions de travail (CSSCT), alors même que cette dernière n’est, à la différence du CHSCT et du CSE, pas une personne morale, rajoute à la confusion et, dans certains cas, à la neutralisation des questions de santé.
 

Cet épisode rappelle d’ailleurs le scénario qui s’est joué au niveau de l’ancien CE, lors de la création de la Commission économique. Certains CE finissaient par ne plus traiter que les thématiques relatives aux œuvres sociales et délaissaient les questions économiques à la Commission.


Si ce transfert vers la CSSCT n’est ni automatique ni systématique, il contribue cependant à renforcer une confusion qui existe, chez certains élus, mais aussi pour certains employeurs, entre CSSCT et CHSCT.


Si le CHSCT avait la capacité de mandater directement des experts externes pour des audits ou des analyses des risques professionnels, cette prérogative n’est plus dévolue à la CSSCT, mais au CSE lui-même.


Nous faisons d’ailleurs le constat que, dans certains cas, de plus en plus fréquents, les questions SSCT restent cantonnées à la Commission, et ne sont plus forcément débattues en CSE (le cadre réglementaire n’impose pas que les sujets santé au travail soient abordés à chaque CSE, mais seulement à minima 4 fois par an, comme cela l’était avec le CHSCT). Nous faisons également le constat de consultations réalisées directement auprès de la CSSCT, cette dernière n’en ayant pourtant ni la prérogative ni la légitimité.


Cela se traduit aussi, dans certains cas, par une dépendance des membres de la CSSCT, au CSE, notamment quand ses élus ont transféré à la Commission les questions relatives à la santé.


Cela contribue alors à limiter les possibilités de prises en charge de certaines questions de santé (en particulier l’accès aux Expertises).
 

  • Moins de spécialisation et désignation des Membres
     

Alors que, dans les instances précédentes (DP/CE/CHSCT) la plupart des élus candidataient en fonction de leurs appétences ou compétences (DP pour la relation de proximité et les questions juridiques, CE pour les questions sociales ou économiques, CHSCT pour la problématiques santé et risques professionnels), les modes de désignation, notamment en matière de CSSCT peuvent faire obstacle à cette spécialisation.


Nous faisons également le constat que des élus CSE délaissent la formation SSCT, pourtant obligatoire et ouverte à toute la délégation du personnel (titulaires, suppléants, RS) et la dédient aux seuls membres de la CSSCT.


Méconnaissant leurs droits, ils se privent alors des compétences techniques requises qui leur permettraient d’appréhender, en CSE, les situations complexes (risques graves, accidents du travail, évolutions organisationnelles) rapportées par la CSSCT. Ils se privent ainsi des possibilités d’articuler les questions de santé avec les questions stratégiques, économiques et sociales ce qui pourrait, pourtant, représenter un des rares avantages de cette instance fusionnée. 
 

  • Bureaucratisation, éloignement du terrain, neutralisation
     

Au fond, cette réforme de 2017 a conduit à une centralisation des processus de décision en matière de santé au travail et à un affaiblissement des capacités des représentants du personnel à exercer leurs prérogatives sur cette thématique centrale.


La réduction du nombre total d'élus s’accompagne par ailleurs d’un surcroit de charge de travail, contribuant directement, dans de nombreuses situations, à un arbitrage en défaveur des questions de Santé. Désormais plus institutionnalisée et bureaucratique, plus éloignée des réalités du terrain (celui-ci étant désormais moins accessible pour les élus) et, par conséquent, plus décorrélée de l’efficacité nécessaire à la démarche de prévention des risques professionnels, la gestion de la santé au travail perd de sa centralité et se voit petit à petit neutralisée.

 

  • Recommencement ou une « gestionarisation » de la Santé au travail ?
     

Paradoxalement, cette logique de fusion qui souhaitait en finir avec une forme de professionnalisation des élus, accentue deux des travers qui pouvaient être reprochés aux précédentes instances :
 

> D’un côté des élus « dilettantes », essentiellement préoccupés par les œuvres sociales.

> De l’autre des professionnels aguerris, notamment sur les sujets de santé.

 

L’histoire étant un éternel recommencement, il n’est pas vain d’imaginer que nous assistions un de ces jours, à une nouvelle séparation des prérogatives entre questions sociales, économiques et santé, même si nous n’en voyons, aujourd’hui, aucun des signes précurseurs.


Il semble, en effet, que l’approche actuelle de la Santé au travail soit davantage « gestionnaire ». Le renforcement de certaines obligations « techniques », notamment au travers l’importance accrue donnée au DUERP, au PAPRIPACT, au Bilan HSCT, réduisent au silence toute discussion conflictuelle (dans le sens entendu par Y. Clot). La thématique Santé se verrait donc résumée à la simple compilation de données au sein de tableaux Excel, que plus personne ne saura, ou voudra, suivre ou contrôler.


Cet arbitrage se fera donc au détriment de la mise en discussion du travail au sein d’une instance dont l’essence est pourtant de faire se rencontrer deux visions du travail : la vision prescrite et la vision réelle.


Il y aurait certainement encore beaucoup à dire, mais, finalement, sans prétendre pouvoir pallier totalement ces situations, la qualité de la prise en charge de la Santé au travail par le CSE gagnerait à ce que les propositions suivantes soient prises en compte :
 

Corriger le déficit de moyens humains et techniques dévolus à cette instance en :

  • prévoyant que les Présidents de CSE suivent des dispositifs de formation similaires à ceux des élus en matière de SSCT ;
  • étendant aux suppléants, comme cela a pu être le cas précédemment, la présence aux réunions du CSE ;
  • réajustant le volume d’élus et d’heures de délégation, afin qu’ils correspondent aux besoins réels d’une instance qui, de facto, se professionnalise ;
  • prévoyant des moyens d’ordre public, et non pas tributaires de la négociation, pour la CSSCT, afin que ses membres puissent réellement être soutien du CSE (heures nominatives pour ses membres, quota pour les visites, ...)

> En faisant du respect des seuils, des normes ou de la réglementation, un plancher, et non pas un objectif en soi.

>En axant davantage le contenu des formations SSCT sur le travail pour s’affranchir un peu de ce « tout juridique » ou « tout réglementaire »

> En redonnant aux RH et au management de proximité des marges de manœuvre leur permettant de reprendre la main sur les choix d’organisation du travail, en concertation avec les équipes concernées.

> En permettant de nouveau une culture du compromis lors des consultations

 

[1] Les premiers CSE ont été mis en place dès 2017

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