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03 / 05 / 2022 | 762 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Homicides volontaires en relation avec le travail : où en est-on aujourd’hui en France ?

Explosion

En droit pénal français l’homicide peut avoir trois qualifications juridiques qui traduisent trois degrés dans l’intention de tuer.  L’homicide volontaire est le fait d’engendrer la mort d’autrui de manière délibérée ; en cas de préméditation, cet homicide est qualifié d’assassinat. L’homicide involontaire, est le fait d’entraîner la mort d’une autre personne par maladresse, inattention, négligence, imprudence, ou manquement à une obligation de sécurité imposée par la loi. L’homicide involontaire peut résulter aussi de violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner : l’homicide involontaire est causé par un individu qui tue une autre personne sans intention préalable mais en usant d’une violence qui elle est bien volontaire. A noter que, la tentative d’homicide est un crime sanctionné au même niveau qu’un homicide.

Les homicides sont un fléau au niveau mondial. Selon une étude de l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime, les homicides sont à l’origine de beaucoup plus de morts que les conflits armés. Au moins 464 000 personnes dans le monde ont été tuées par homicide en 2017. L’étude publiée le 8 juillet 2019 -soit bien avant la guerre meurtrière en Ukraine qui lui donne un caractère plus relatif- montre que le nombre total de personnes qui ont été victimes d’une mort violente, à la suite d’un homicide, a augmenté au cours du dernier quart de siècle. Cette violence qui résulte des gangs et du crime organisé concerne avant tout le genre masculin puisque 81 % des victimes recensées sont des hommes et des garçons, par ailleurs 90 % des suspects sont de sexe masculin. 
 

  • En 2017, avec 825 tués, la France recensait un peu moins de 3 meurtres par jour. En comparaison les USA comptabilisaient plus de 17 000 tués en 2016 et 21500 en 2020 


Le taux d’homicide s’est sensiblement réduit ces vingt dernières années en France, passant de 3 morts pour 100 000 habitants à environ 1,4. Le pays se situe dans la moyenne européenne même si ces proches voisins font beaucoup mieux. La même année, l’Italie se situait à 0,57/100 000 habitants, l’Allemagne à 0,76 et le Royaume Uni à 1,14. Le Salvador avec un taux de 82,8/100 000 habitants et le Honduras avec un taux de 56,5 étaient les pays les plus dangereux en 2017. Les homicides volontaires en France semblaient stabilisés cependant on note une dérive haussière ces dernières années :  983 tués en 2020, et, 1026 en 2021. 

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La prévention active passe par la répression des violences qui aboutissent à des meurtres. Mais là encore la connaissance reste floue car pour prévenir il faut bien connaitre et le miroir des statistiques reste très déformant.


On constate une évolution sensible du nombre d’enregistrements de faits de violences déclarés auprès de la police et de la gendarmerie. Ces derniers ont quadruplés depuis le début des années 80. En 2019, les parquets ont enregistré 2 850 affaires d’homicides ou de tentatives d’homicide, contre 2 300 en 2016, soit une hausse de 23 %. Le nombre d’auteurs ayant fait l’objet d’une décision d’orientation à la suite d’un homicide ou d’une tentative d’homicide est quant à lui passé de 2 900 en 2016 à 4 200 en 2019. La grande majorité de ces auteurs sont poursuivis devant le juge d’instruction, ou devant le juge des enfants lorsque l’auteur est mineur. À l’issue de l’instruction, 70 % des auteurs poursuivis pour homicide ou tentative d’homicide sont renvoyés devant une juridiction de jugement, les autres faisant l’objet d’un non-lieu. Cependant en moyenne, pour près de 30 % des auteurs ayant fait l’objet d’une ordonnance de règlement dans une affaire qualifiée à l’orientation d’homicide ou de tentative d’homicide, le juge d’instruction a requalifié la nature d’affaire, notamment en « violences volontaires ». 
Ainsi, sous l’effet conjugué de la requalification de l’infraction et de la durée des procédures d’instruction, le nombre d’auteurs faisant l’objet d’une ordonnance de règlement dans le cadre d’un homicide n’est plus que de 1 400 en 2019, dont 1 000 seront jugés in fine, la part des requalifications étant passée de 26 % en 2016 à 31 % en 2019. »

 

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Selon la sociologue Renée Zauberman directrice de recherche au CNRS, il convient de considérer différents facteurs avant de tirer tous les enseignements des données policières qu’elle considère avec prudence comme beaucoup moins signifiantes que les enquêtes de victimisation pour mesurer le niveau réel de délinquance. Ainsi la réglementation a élargi son périmètre en 1981 avec la promulgation de la loi sécurité et liberté. Auparavant n’étaient considérées et enregistrées par les policiers que les violences ayant provoqué une incapacité totale temporaire de travail (ITT) de plus de 8 jours. La suppression de cette condition a permis de recenser des personnes jugées vulnérables, et de retracer un nombre croissant d’événements. Néanmoins les données regroupées par les forces de l’ordre sous évaluent encore largement la gravité de la situation délictuelle. Les comportements, et les pratiques ont certes évolué en particulier avec la libération de la parole chez les femmes qui sont les premières victimes des violences et qui désormais signalent de plus en plus celles-ci mais on est encore loin d’une bonne retranscription des réalités subies.   

Le travail : une protection contre les violences faites aux femmes

En France les homicides concernent en priorité la sphère privée : 8 victimes sur 10 connaissaient leur meurtrier et près de la moitié des meurtres sont commis à l’intérieur du foyer ou du cercle familial. Les femmes en sont les premières victimes. Les féminicides perdurent en France à un rythme très élevé. Selon le journal Libération depuis 2017 près de 500 femmes ont été tuées par leur conjoint. Les modalités de recensement de ces drames sont d’ailleurs questionnées car certains homicides liés au genre ne sont pas comptabilisés. 

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L’Organisation internationale du travail (OIT) cherche à inciter dans les pays adhérents, la mise en place d’un dispositif réglementaire de prévention et de protection pour les femmes victimes de violences conjugales. Dans sa 190 -ème convention adoptée le 21 juin 2019 pour lutter contre les violences et le harcèlement, elle propose en faveur des femmes un accès à une assistance juridique gratuite, des droits à congés pour porter plainte ou préparer son déménagement et rechercher un logement, une flexibilité horaire, des mesures de mobilités géographiques, une protection contre le licenciement. 


Ces dispositions doivent être relayées et discutées en entreprise. Les directions et les élus du personnel doivent clairement déployer ce filet de sécurité car les femmes concernées ne connaissent pas toujours leurs droits et ce type de dispositif de protection. Le monde du travail peut en cela être un levier pour assurer une protection contre ces violences faites aux femmes dans la sphère privée qui débouchent trop souvent sur des meurtres.


Bien entendu il convient de bien distinguer les responsabilités qui incombent à l’employeur en raison de son obligation de mobiliser des moyens renforcés pour assurer la santé et la sécurité des salariés sous son autorité. Si la prévention des violences au sein des relations de travail s’impose strictement et en priorité à l’employeur, il peut aussi de lui-même, agir plus largement en adoptant des moyens supplémentaires comme l’application de cette convention de l’OIT. Certains employeurs d’ailleurs vont beaucoup plus loin. Le groupe LVMH a ainsi mis en place un dispositif « assistance à la détresse » pour l’ensemble de ses salariés dans le monde entier. Le géant du Luxe dans le cadre de sa politique sociale internationale a mobilisé 35 millions d’euros pour apporter assistance en 5 jours à ses salariés qui auraient à connaitre un fait générateur d’une grande détresse, la victime, cela peut être une femme subissant des violences et cherchant un toit, peut bénéficier d’un don allant jusqu’à 5000 euros (montant qui est considérable dans de nombre pays dans lequel se trouve ce groupe) et bénéficier d’un soutien psychologique. La personne victime est suivie et aidée. On serait en droit d’attendre les mêmes dispositions pour toutes les multinationales qui pourraient ainsi mobiliser des fonds et octroyer de nouveaux droits à leurs salariés les plus vulnérables.


Fort heureusement le monde du travail est peu concerné en France par les homicides volontaires. Si on compare la situation française à celle d’autres pays en particulier les USA où les armes sont en vente libre, les actifs français peuvent se considérer relativement épargnés par ce fléau. 

Homicides volontaires : troisième cause de décès sur le lieu de travail aux Etats-Unis

En effet en 2018, le Bureau of Labor Stastistics, organisme du département du travail aux Etats Unis soulignait que les homicides volontaires étaient la troisième cause de décès sur le lieu de travail. Environ 1000 meurtres surviennent dans les entreprises américaines chaque année. 
Les raisons relèvent de plusieurs catégories. Les crimes peuvent être liés à des triangles amoureux passionnels ou proférés en réaction à des promotions désirées, des augmentations réclamées mais non obtenues. Néanmoins une des causes les plus fréquentes est liée à des fraudes. Les meurtriers acculés avec la peur de tout perdre en raison de la découverte de leur magouille par un lanceur d’alerte, se laissent aller à l’irréparable. Les Américains caractérisent ces meurtres comme des crimes en col rouge « red collar crime » en référence aux « cols blancs » qui en sont à l’origine. Ce genre de criminalité ne fait pas l’objet d’études spécifiques dans la durée. Une meilleure connaissance de ces psychopathologies pourrait sans doute aider à faire baisser ce nombre de crimes. Des études sont menées aux USA pour mesurer le degré de psychopathie des managers pour mieux comprendre leur passage à l’acte. Le narcissisme couplé à des déséquilibres psychiques peut en effet transformer les cols blancs en cols rouges.


En France la non-prolifération des armes assure une plus grande quiétude dans le traitement des différends. En revanche les meurtres sont très présents au cinéma à travers un thème récurrent qui est la réussite professionnelle comme finalité et comme épreuve. Acte de violence préméditée pour éliminer un rival potentiel comme dans le film « le couperet » avec José Garcia, un cadre au chômage très spécialisé qui pour se réinsérer n’hésite pas à éliminer tous ses concurrents. Le prix de la réussite est alors très élevé pour obtenir l’emploi convoité. Le fait d’être sans travail constitue une source de souffrance au point de rendre fou. L’assassinat en réaction à une situation devenue intolérable est illustrée par le film « De bon matin » où Jean Pierre Darroussin, cadre bancaire exécute ses supérieurs.


L’homicide volontaire est présent, certes de manière éparse, car le travail peut aussi exposer certaines professions, à des risques élevés. L’homicide volontaire demeure l’illustration somme toute très rare d’une situation de violences relationnelles qui elles sont quotidiennes. Les meurtres frappant plus les personnels qui accueillent du public. Pour apporter hommage aux victimes nous rendons compte de quelques drames.
 

  • A l’automne 2004, à Périgueux un agriculteur a tué deux inspecteurs du travail venu contrôler son exploitation. L’agriculteur a tenté à la suite de ses deux meurtres de se suicider.
  • La même année un schizophrène  dans la nuit du 17 au 18 décembre à l'hôpital psychiatrique de Pau a tué une aide-soignante et une infirmière. La décapitation d'une des victimes a provoqué une forte émotion en France et mis en évidence les carences en matière de politique de gestion de la santé mentale en particulier les problèmes de sécurité des soignants résultant à la fois d’effectifs trop faibles, du manque de psychiatres et d’un suivi des malades insuffisant.
  • En septembre 2006, le dirigeant d’une entreprise de transport âgé de 66 ans, a été assassiné par un des conducteurs qui avait une vingtaine d’années d’ancienneté dans la société.
  • En février 2013 à l’Office National des forêts de la Réunion, un salarié a abattu le Secrétaire général de l’ONF avant de retourner l’arme contre lui. Le meurtrier originaire de la Réunion était en vacances sur son île natale mais il travaillait au sein de l’ONF en métropole. 
  • En mai 2020 aux carrières Roy, à Saint-Varent, un employé a pénétré dans le local du CSE de l’entreprise et à l’aide d’une arme de poing a tué trois de ses collègues membres du CSE comme lui et en a blessé deux autres avant de se donner la mort.
  • L’horreur de l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020, à Conflans Saint-Honorine a marqué tout le corps enseignant et reste en mémoire de toute la Nation qui lui a rendu hommage. Ce professeur d’histoire-géographie a été assassiné par arme blanche et décapité, peu après être sorti de son collège par un terroriste islamiste Anzorov, un citoyen russe d’origine tchétchène.  
  • En janvier 2021 une tragédie d’une violence inouïe a été perpétrée par un ingénieur sans emploi, cet homme âgé de 45 ans a tué une conseillère de pôle emploi à Valence dans la Drôme où il avait été inscrit, puis la directrice des ressources humaines d’une entreprise en Ardèche où il avait travaillé, ces deux homicides étant liés à un précédent assassinat dans le Haut Rhin et à une autre tentative de meurtre d’une autre personne travaillant au sein du service des ressources humaines de l’entreprise.  
  • Dans les Cévennes en mai 2021 deux hommes, le patron d’une scierie et un autre employé ont été tués, par un salarié vers huit heures du matin à l’arrivée dans l’entreprise. 
  • En juillet 2021, un jeune vendeur de Bouygues Telecom en Seine et Marne est tué à l’arme blanche par un client mécontent de ne pas réussir à se faire rembourser 93,70 euros, le meurtrier a poignardé gravement un collègue de la victime.
  • Toujours en juillet 2021, dans le Loir et Cher un salarié est assassiné par un collègue dans une entreprise spécialisée dans les livraisons logistiques.
  • En décembre 2021 ; un chef d’entreprise, à Marseille a été découvert mort dans ses bureaux, ligoté et nu il avait supporté des marques de nombreux sévices. L’enquête est en cours.


Fort heureusement les meurtres en entreprise en France demeurent très rares. La violence n’en reste pas moins très présente sous d’autres formes. On ne peut que se réjouir que la violence soit contenue dans son expression la plus agressive (avec celle du suicide). Bon nombre de tensions et de violences relationnelles existent et subsistent. Management par la terreur, répression des esprits critiques, harcèlement moral voire sexuel prolifèrent encore trop souvent dans quelques entreprises. Ces modes de fonctionnement douloureux et couteux pour les personnes et les victimes doivent être sanctionnés. Et là encore, les enquêtes doivent se mener souvent à la demande des représentants du personnel et de la médecine du travail pour faire cesser ces risques graves et préserver les victimes.  
 

Article co-écrit avec Maître Françoise Marechal Thieullent

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