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15 / 01 / 2020 | 409 vues
Devers Philippe / Membre
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Gouvernance industrielle : pourquoi Naval Group doit garder le cap

Leader de la construction navale française, Naval Group est au cœur des missions régaliennes de l’État, donc du ressort des plus hautes sphères du pouvoir. Sur la table d’Alexis Kohler (secrétaire général de l’Élysée qui traite les dossiers avant de les soumettre au Président Emmanuel Macron), le dossier de la gouvernance de l’entreprise dirigée par Hervé Guillou. L’actuel PDG sera atteint par la limite d’âge en mars 2020 ; sa succession est donc sur la table.

 

Un rapide coup d’œil au conseil d’administration de Naval Group permet de comprendre qui fait quoi : 62,49 % du capital sont détenus par l’État français, 35 % par le géant de l’électronique Thales (dans lequel l’État est aussi actionnaire à hauteur de 25,7 %). Le premier rôle revient donc à l’État français, lequel endosse plusieurs costumes vis-à-vis des grands noms de l’industrie de la Défense : il est à la fois le meilleur VRP du monde sur les marchés extérieurs, le premier client et le gendarme qui doit trancher les grands dossiers en interne. S’il est souvent performant sur les deux premiers axes, il gagnerait à retrouver en efficacité et en fermeté sur les questions de gouvernance et de conflits d’intérêt des entreprises françaises entre elles.

Emplois et projets d’avenir à préserver

Ces dernières années, les bons bilans de Naval Group font l’unanimité. Les performances économiques et industrielles sont au rendez-vous. Les carnets de commande sont pleins, grâce à plusieurs succès remportés à l’export, comme le contrat du siècle signé avec l’Australie en février 2019. Plus récemment, Naval Group a également été sélectionné parmi les finalistes de l’appel d’offres pour quatre sous-marins aux Pays-Bas. Cette compétition voit d’ailleurs s’affronter Naval Group et Thales. Thales UK s’est en effet allié à Damen pour la fourniture d’un sonar sur une offre concurrente de celle de Naval Group. Compte tenu de la qualité des produits de Thales, c’est un véritable rocher dans le jardin de Naval Group. Cette situation fait écho à l’affaire des chasseurs de mines belgo-néerlandais de la mi-2019 et qui rappelle la nécessité pour l’État français de jouer son rôle de régulateur et d’arbitre des compétitions à l'export.
 

Au-delà de ce mélodrame français et face à la concurrence asiatique (coréenne et maintenant chinoise), les constructeurs européens se mettent pourtant à se serrer les coudes et jouent la carte de la consolidation. Afin de préserver les bassins d’emploi dans chacun des pays européens mais aussi pour dynamiser la coopération continentale. C’est dans cette logique que Naval Group a opéré un rapprochement avec le constructeur naval italien Fincantieri en 2017, concrétisé par la création d’une joint venture, Naviris, en juin 2019. Cette stratégie d’avenir (née des liens étroits entre les dirigeants français et italien Hervé Guillou et Giuseppe Bono) est très prometteuse, commercialement parlant. Pour Naval Group, il est essentiel que ce dossier poursuive son bon démarrage.
 

En parallèle, Naval Group a largement entamé sa mutation numérique. C’est le projet de « marine augmentée », comme la nomme Patrick Hébrard, coordinateur cybernaval pour Naval Group et titulaire de la chaire de cyberdéfense à l’École navale de Lanvéoc. Au-delà des enjeux de concentration horizontale, la filière est en train de multiplier les partenariats industriels pour affronter les défis militaires et technologiques à venir : intelligence artificielle, réalité augmentée, cybersécurité etc. Tous ces projets de long terme nécessiteront aussi une certaine stabilité de la gouvernance et de la stratégie pour donner la pleine mesure de leur potentiel. Or, c’est bien à ces questions de gouvernance et de préservation des intérêts stratégiques de l’État qu’il va falloir trouver une réponse en priorité.

Gouvernance bicéphale : la continuité dans le changement

Ou inversement, le changement dans la continuité. Toutes les entreprises sont différentes : là où certains ont besoin d’un électrochoc quand arrive une nouvelle équipe dirigeante, d’autres ont besoin de souplesse et de continuité. Parmi ces dernières, beaucoup font le choix d’une gouvernance bicéphale, entre un président non-exécutif et un directeur général opérationnel. Ces derniers mois, le secteur industriel français l’a constaté dans des domaines divers, comme le géant de la restauration collective avec Elior, le cabinet de conseil informatique Sopra Steria, le fabricant de pneus Continental France ou encore l’incontournable constructeur français Renault qui, pour tourner la page Carlos Ghosn, a proposé une présidence bicéphale au Japonais Nissan dans une future holding.
 

Dans le domaine militaire, ce modèle a également été adopté chez Safran, en 2014, avec Ross McInnes à la présidence et Philippe Petitcolin à la direction générale. À leur nomination, le conseil d’administration a souligné la complémentarité des deux hommes : « La stature internationale et l’expérience de Ross McInnes en matière de gouvernement d’entreprise seront un atout précieux pour Safran. Et l’expérience managériale de Philippe Petitcolin, son expertise industrielle et sa crédibilité internationale dans le secteur sont les atouts majeurs qui permettront à Safran, sous sa conduite, d’assurer dans les meilleures conditions des engagements sans précédent ». Pour les grands groupes, les présidences bicéphales apportent souvent stabilité et sérénité.
 

Chez Naval Group, l’ensemble du corps social verrait cette option d’un bon œil : il conserverait la présidence non-exécutive du groupe industriel en tant que garant des grandes orientations stratégiques et du rôle de maitre d’œuvre du système naval de la société, tandis qu’un directeur général en charge de l’opération complèterait ce duo. Reste évidemment à trouver la perle rare pour le fauteuil de DG, de préférence un fin connaisseur de l’industrie navale lui aussi. Dans le paysage industriel français, d’autres fourbissent également leurs armes, comme Thales qui aurait aimé placer l'un de ses hommes. Les noms de Jean-Loïc Galle, patron de Thales Alenia Space, la filiale de Thales actuellement en difficulté, ou celui d'Alexis Morel, directeur général de l'entreprise Thales Underwater Systems, ont ainsi circulé un temps. Celui de La guerre de succession va bientôt entrer dans le vif du sujet. Là aussi, l’État a tout intérêt à reprendre les rênes…

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