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22 / 03 / 2025 | 12 vues
Marcel Caballero / Membre
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Donald Trump devrait lire Adam Smith

Pour Thierry C. Pauchant Auteur, Professeur honoraire à HEC Montréal, (*)   le  locataire actuel de la Maison-Blanche, avec sa vision transactionnelle de la politique,  veut nous faire croire qu’il connaît ses classiques en économie. ....Visiblement, il n’a pas lu Adam Smith !

 

L’argument de Trump est que ses partenaires en affaires abusent des États-Unis puisque sa balance commerciale avec ces pays est déficitaire. Dans son traité « La richesse des nations », publié la même année que la déclaration d’indépendance des États-Unis, en 1776, le père fondateur de l’économie politique qualifie cet argument d’absurde. Dans ses propres mots : « Rien ne peut être plus absurde que la doctrine de la balance commerciale. »

 

Pour Smith, il est avantageux pour un pays d’acheter à un autre une denrée qui serait plus chère à produire sur le territoire national, si possible en la finançant par la vente d’un produit qui connaît un avantage concurrentiel. Smith donne l’exemple du vin rouge, trop cher à produire en Écosse vu son climat, quand on compare à la région de Bordeaux. Pour lui, une balance commerciale peut-être déficitaire tout en restant économiquement avantageuse pour une nation, si elle conserve au moins 51 % de sa production et de ses échanges à l’intérieur de ses frontières, et si la valeur de cette production dépasse celle de sa consommation.

 

Comme il l’a écrit : « Ce commerce intérieur devient donc alors le centre autour duquel, si je puis m’exprimer ainsi, les capitaux des habitants de chaque contrée circulent toujours et vers lequel ils tendent sans cesse. » Si c’est le cas, toute complainte sur le déficit d’une balance commerciale est absurde, diminuant les avantages qu’une nation peut tirer de son commerce extérieur.

 

Dire que la guerre des tarifs voulue par Trump est, d’un point de vue économique, absurde, ne veut pas dire que la situation n’est pas sérieuse. Le Canada et le Québec ont raison de s’inquiéter des conséquences de ces tarifs potentiels, sur les entreprises, les emplois et la société en général.

 

Les stratégies de réponses sont multiples : encouragement des échanges interprovinciaux, diversification des partenaires commerciaux, nouveaux incitatifs industriels, aides aux entreprises, boycottage des produits et services états-uniens, tarifs de rétorsion, rétention de ressources naturelles critiques, etc. Smith envisage déjà à son époque de telles stratégies, pour différentes raisons, dont la protection d’industries naissantes, la défense de la sécurité nationale ou la réponse à des agressions commerciales.

 

Mais il considère ces stratégies comme des exceptions. Pour lui, le gouvernement ne doit intervenir en affaires qu’en cas de nécessité et il s’oppose à l’idée qu’une nation puisse être gérée par un seul homme. Il se moque même du politicien qui croit pouvoir diriger les gens comme de vulgaires pions. Cet homme, dit-il, oublie que, dans la vie réelle, « les pièces d’un jeu d’échecs ont d’autres principes de mouvement que la main qui les déplace ».

 

Il est en effet probable que les résistances les plus fortes aux tarifs envisagés par Trump vont provenir des gens vivant aux États-Unis. Aujourd’hui, des sondages indiquent que 61 % d’entre eux trouvent qu’il ne se préoccupe pas assez de l’inflation, comme il l’avait promis durant sa campagne.

 

Des chambres de commerce de différents États ainsi que des PDG., comme celui de Ford ou d’Alcoa, mettent en garde contre la montée potentielle des prix. La Bourse a, de même, réagi de façon négative à l’annonce des tarifs contre le Canada, le Mexique et d’autres pays.

 

En son temps, Smith a conseillé aux gouvernements de ne pas suivre les volontés des monopoleurs. Il s’est opposé à ce qu’une nation ne devienne qu’une « nation de boutiquiers ». Dans ses écrits, il critique par exemple l’influence de l’East Indian Company, en partie responsable de la famine qui a tué des dizaines de milliers de personnes en Inde. Cette compagnie, employant plus de 200 000 personnes à l’époque, est considérée comme l’ancêtre des GAFAM d’aujourd’hui, fort influents auprès de Trump. Smith avance enfin que les multinationales sont souvent à l’origine des guerres commerciales entre nations, engendrant même parfois des guerres militaires. Son économie sociale, qui vise l’amélioration des conditions de vie de toutes les classes sociales et permet aux nations de s’échanger des biens de façon pacifique, devient alors une économie mercantile, au service de la maximisation des profits des plus puissants.

 

Si le gouvernement Trump adopte ces pratiques de capitalisme abusif et se rapproche de pays totalitaires comme la Russie, délaissant ses amis traditionnels, il est probable que l’aura internationale des États-Unis en pâtira.
 

Cela aura des conséquences sur l’ordre du monde et sa sécurité, mais aussi sur l’influence politique et économique des États-Unis. Au XVIIIe siècle, Adam Smith était d’avis que le commerce requiert de la confiance et de la stabilité. Comme un écho à ses vues, le Wall Street Journal a publié un article incendiaire sur les annonces tarifaires de Trump : « The Dumbest Trade War in History ».


Comme quoi connaître ses classiques peut être bénéfique.

 

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/850429/idees-donald-trump-devrait-lire-adam-smith

 

(*) Dans un article paru dans Le Devoir ( journal québécois) début mars

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Intersectionnalité inversée : la convergence des haines comme projet politique

 

Si l’intersectionnalité est traditionnellement mobilisée pour analyser la convergence des oppressions systémiques, elle permet aujourd’hui de saisir un autre phénomène : la convergence des discours de haine. On peut ainsi parler d’une « intersectionnalité de la haine », concept forgé en 2016 par l’essayiste afro-américain Rembert Browne¹ à la suite de l’élection de Donald Trump.

Le président américain, en amalgamant sexisme, racisme, islamophobie, homophobie ou encore antisémitisme, a donné naissance à un discours politique où les haines ne se juxtaposent pas simplement, mais se nourrissent et se renforcent mutuellement. Ce phénomène, loin d’être isolé, s’est propagé à travers le monde, notamment en Europe participant à l’érosion du débat démocratique et au renforcement des clivages sociaux et politiques.



Ce mécanisme n’est pourtant pas nouveau. L’historienne Christine Bard² rappelle qu’au sein des mouvements fascistes de l’entre-deux-guerres, l’antiféminisme marchait main dans la main avec l’antisémitisme et la xénophobie. Aujourd’hui, cette rhétorique réapparaît sous une forme modernisée, dans les discours populistes où les « hommes blancs hétérosexuels » sont présentés comme les nouvelles victimes d’un prétendu ordre social inversé, dominé par les minorités : femmes, personnes LGBTQIA+, Juif·ve·s, migrant·e·s… Cette stratégie d’inversion des rapports de domination délégitimise les politiques d’égalité et ravive la peur d’un monde en mutation, menacé par l’émancipation de celles et ceux qui n’étaient jusque-là ni visibles, ni écouté·e·s.   



Mais le plus inquiétant est que ce discours ne se limite plus à l’extrême droite. En Belgique, cette logique de division s’infiltre dans le cœur même du pouvoir. L’exemple de la coalition fédérale Arizona (CD&V, Engagés, MR, N-VA & Vooruit) est à cet égard révélateur. L’accord de gouvernement prévoit une attaque frontale contre les droits fondamentaux des réfugié·e·s et demandeur·euse·s d’asile : réduction de la capacité d’accueil, intensification des expulsions… Et ce, malgré les plus de 10 000 condamnations³ de la Belgique pour non-respect de ses obligations en matière d’accueil au cours des trois dernières années.



Et ce n’est pas tout. L’accord prévoit aussi de limiter les allocations de chômage à deux ans⁴, une mesure qui frappera durement les personnes déjà précarisées, notamment les familles monoparentales majoritairement féminines. Enfin, dernier coup porté à l’égalité : le financement d’ Unia, institution-clé dans la lutte contre les discriminations, sera amputé de 25 %.

 

Comment prétendre lutter contre les discours de haine, quand on réduit sciemment les moyens alloués à ceux qui en sont les premiers remparts ?



Nous sommes à un moment charnière. Alors que les rhétoriques haineuses et de rejet s'entrelacent et se répandent, que des droits fondamentaux sont fragilisés par celleux-là même qui devraient les protéger : nous n’avons pas le luxe de l’indifférence. Face à cette mécanique bien huilée d’exclusion et de stigmatisation, il nous revient de résister et répondre avec l’intransigeance de la justice, avec la puissance de la solidarité et avec la force du nombre !


 


¹ How Trump made hate intersectional (Intelligencer, 09 Novembre 2016)
²L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaires aux origines millénaires (Le Monde, 13 Avril 2024)
³Politique de non-accueil : état des lieux  (Caritas International et al., 18 mars 2025)
Accord « Arizona » : recul préoccupant pour les droits sociaux et droits des étranger·ères et tournant sécuritaire confirmé (Ligue des droits humains, 2 février 2025)
Moins de moyens pour Unia, plus de discriminations ? (Ligue de l’enseignement et Education permanente, 10 mars 2025

 

Éric BERTRAND, Directeur Général Délégué, Directeur des gestions chez OFI INVEST AM, nous livre ses réflexions dans la période actuelle...


Lors du « Libération Day » (1) Donald Trump a mis en œuvre sa promesse de campagne la plus emblématique : instaurer des droits de douane avec presque la totalité des pays de la planète. La zone Euro, prise dans son ensemble, supporte 20 % de tarifs supplémentaires et la Chine 34 % (en plus de ceux déjà prononcés).

 

Si la méthodologie de calcul est, a minima, questionnable, les résultats ont surpris les marchés par leur ampleur. Les bourses américaines abandonnent presque 15 %, l’Europe retrace ses gains depuis le début de l’année et les taux d’intérêts souverains baissent significativement. Les marchés enjambent la montée d’inflation à court terme, issue des hausses de droits de douane, pour anticiper dès à présent un risque de récession à l’échelle mondiale.


Face au risque de représailles (la Chine a d’ores et déjà annoncé un relèvement de ses tarifs de 34 % également), le risque de basculement dans un scénario noir pour l’économie mondiale est élevé. Toutefois,
nous pensons que l’administration américaine partira de ce point de départ pour entamer des cycles de négociations plus larges avec l’ensemble des pays touchés aboutissant à des compromis plus gérables.

 

Le risque d’un durcissement de Donald Trump n’est pas à exclure, mais une forte baisse de la bourse américaine accompagnée d’une récession aux États-Unis ne servirait pas son électorat avant des
élections de mi-mandat.

Les perspectives de baisses d’impôts prévues aux États-Unis, les plans de relance en Europe et en Chine pourraient alors redonner des couleurs aux marchés.


Les banques centrales qui s’acheminaient vers la fin de leur cycle de baisse de taux avec deux baisses supplémentaires attendues de part et d’autre de l’Atlantique, pourraient être amenées en cas de risque de
récession à accélérer leur assouplissement monétaire.

L’inflation n’étant pas issue de pénuries mais de chocs de tarifs a priori temporaires.


Il faudra toutefois surveiller dans ce scénario les impacts liés à la désorganisation du commerce mondial.


Coté taux d’intérêt, le mouvement à la baisse a été très rapide, nous conduisant à prendre des profits sur une partie de la surpondération.


Cette position reste toutefois une bonne couverture en cas de matérialisation du scénario de récession. Sur le marché du crédit, nous abaissons les curseurs à la neutralité sur le crédit spéculatif à haut rendement dans cet environnement de faible visibilité.


La période qui s’ouvre sera très volatile sur les marchés actions, au gré des déclarations des différents gouvernements. De nouvelles baisses pourront être mises à profit pour se renforcer sur les marchés
actions dans le cas où des négociations s’ouvrent pour aboutir à des accords raisonnables. Néanmoins, en cas d’escalade vers une guerre commerciale, les indices pourraient encore nettement chuter, les
protections en portefeuille sont donc toujours d’actualité.


(1) Le Jour de la Libération, terme utilisé par Donald Trump pour nommer le 2 avril 2025, journée de l’annonce des nouvelles mesures tarifaires importantes.

 

NDLR: dernière heure... après à peine une semaine de chaos, Donald Trump a annoncé hier la suspension des mesures annoncées pour 90 jours ( sauf pour la Chine)...à suivre

Apparemment nous ne sommes pas au bout de nos surprises et de nos incertitudes...à suivre !