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Covid 19 : les reflets d’une lassitude nommée travail
« Sur la banquise, confronté au monde polaire, j’ai pris conscience que j’étais confiné dans mes rituels quotidiens ! ».
Jean Louis Etienne Médecin Explorateur de l’Arctique et de l’Antarctique.
La recherche du sens dans les activités au quotidien est forte mais le tsunami sur l’emploi ne jouera pas en faveur du changement d’orientation professionnelle ou de mobilité. La plupart renonceront et n’iront pas au bout de leur rêve.
Un parallèle entre la situation vécue par l’explorateur des pôles et certains actifs confrontés au confinement actuel s’établit aisément. Comme souvent après les catastrophes, bon nombre de cadres, de fonctionnaires, d’enseignants, d’employés, de professions indépendantes, en proie à de profondes interrogations, ont cherché après un examen lucide de leur travail à prendre du recul avec leur vie professionnelle.
La crise soudaine à fait sentir à chacun sa propre vulnérabilité, sa propre finitude. Ce virus avec sa haute contagiosité, a exercé son impérium au niveau planétaire et laissé chacun face à lui-même. Parfois démuni. Désorienté. La toute-puissance de cette pandémie a généré des situations massives d’inhibitions et d’angoisses, de dépressions et même de suicides. En effet l’être humain en inhibition s’étiole, l’impossibilité d’agir pour répondre à cette situation d’agression virale développe chez lui des maladies cardiovasculaires, des ulcères, un affaiblissement de son système immunitaire…beaucoup a été écrit à ce sujet révélant les conséquences directes et indirectes sur la santé.
Si le confinement s’est imposé en France comme une épreuve à traverser pour la majorité des citoyens parfois touchés eux-mêmes par le décès d’un proche, en revanche cette période a été aussi vécue de manière plus positive par d’autres. Résilience. « Il arrive qu’un grand malheur soit à l’origine d’un bonheur inespéré » comme le dit Boris Cyrulnik
La suspension du travail et de ses rituels récurrents, le repli sur la sphère privée mais aussi parfois la perte d’un être cher ou la maladie et ses séquelles ont favorisé la résurgence d’aspirations enfouies, cachées ou négligées sur le plan professionnel.
Beaucoup d’actifs se sont alors dit « Ce travail m’est-il si essentiel ? Est-il possible de vivre autrement ? Pourquoi poursuivre cette situation de plus en plus intenable ? »
Aspirations
La recherche du sens dans les activités au quotidien, le réaménagement des valeurs existentielles sont apparues ou réapparues avec plus de force pour devenir des objectifs d’amélioration de la vie. A l’image de la planète qui se porte mieux avec le ralentissement des activités humaines, le confinement a donné à bon nombre de personnes fatiguées, éreintées par leur travail, une opportunité pour puiser un nouvel élan et « reprendre leur vie en main ».
Confiné entre 4 murs ce qui renvoie pour certains au confinement futur entre 4 planches, plusieurs évoquent leur volonté de conduire différemment leur existence à l’avenir, après la reprise… Pour ces derniers se trouver au pied du mur avec ce confinement obligatoire n’a pas été vécu, après les premiers jours de sidération, comme une malédiction, cette période leur a permis de se recentrer, de réfléchir justement à leurs rituels professionnels. Ce qui paraissait encore confus ces dernières années, estompé par leurs habitudes quotidiennes est apparu peu à peu comme une option éclaircie dans un scénario possible d’évolution. Même si les choix demeurent réduits. Le doute s’est retracté peu à peu à mesure que la pesanteur des contraintes professionnelles s’est atténuée. A l’issue de ce retour méditatif, le désir d’autre chose s’est imposé. Ainsi, la perception de cette finitude a encouragé la volonté d’un nouveau départ afin de mettre un terme à cette lassitude nommée travail.
Plusieurs évoquent leur aspiration profonde de délaisser ce mode de vie ultra matérialiste au profit d’une vie plus frugale, plus authentique ou les contraintes professionnelles seraient moindres ou tout au moins ralenties, ou la réforme de la vie envisagée permettrait de rompre avec les intoxications d’une vie citadine ressentie comme trop aliénante. Envisager de nouvelles habitudes, délaisser la nécessité de la performance professionnelle perpétuelle si ce n’est financière pour se recentrer sur ses propres rythmes, sur ses propres évolutions, certes réduire sa consommation mais aussi vivre avec plus de sens et d’intensité des moments de plénitude souvent au plus près des êtres chers et de la Nature. Aspirer au bien vivre par la voie d’une autre forme d’épanouissement qui favoriserait la réalisation de ses virtualités propres et réduirait un stress chronique jugé trop élevé.
Cette tendance à ne plus renoncer à autant d’aspirations se retrouve dans plusieurs métiers, ceux de la haute finance, de la banque ou encore de la publicité et du conseil. Les cadres s’interrogent sur cette course permanente à la performance où on les met parfois en concurrence, qui aboutit à l’asséchement de leur créativité, à des pathologies psychiques telles que l’épuisement professionnel et sans doute pour finir à bon nombre de décisions absurdes pour l’entreprise.
Une enquête récente lancée par le conseil national des barreaux a montré que 27 300 avocats sur les 70 000 que compte la France avaient décidé de changer de profession dans les mois à venir. Le virus n’est pas le seul responsable de cette grande lassitude. Cette profession, particulièrement stressante, a été largement malmenée par les décisions politiques ces dix dernières années. La pandémie a pris la succession de deux mois de grève contre la remise en cause du régime de leurs retraites pour assécher les rentrées financières. Il en va de même chez les journalistes, la dernière enquête de Technologia de Mars 2019 sur l’évolution des métiers du journalisme, a montré qu’un journaliste sur trois était en train ou voulait quitter le métier. Autre exemple quand le gouvernement a rendu public le rapport Lecoq qui avait pour ambition de réformer le système de santé au travail, bon nombre de médecins du travail qui étaient proches de la retraite ou qui étaient déjà en retraite mais poursuivaient leur activité ont annoncé leur volonté d’arrêter par perte de sens dans leur travail.
La curiosité l’emporte souvent sur la prudence, certains chercheront dès que possible à se lancer vers une nouvelle expérience pour changer leur vie, pour évoluer vers des métiers plus porteurs de sens. Les témoignages recueillis sur le terrain sont multiples. S’engager dans une ONG. Relancer la ferme familiale auprès de l’oncle qui vieillit et prendre la relève. Devenir professeur des écoles. Investir à plusieurs dans un grand domaine avec une rivière, un lac, une forêt afin d’être autosuffisants pour affronter la prochaine crise. Achever une formation abandonnée en raison de la naissance d’un enfant. Lancer un commerce. Ouvrir une maison d’hôtes. Lancer un bar à champagne...Ceux parmi ces aspirants qui avaient déjà un métier en filigrane se lanceront plus aisément. D’autres, sans doute par peur ou résignation, différeront leur décision en raison de la situation économique qui est entrée en profonde récession. En effet dans ces périodes, refonder une existence sur un projet n’est pas aisé.
Capacité d'agir
Tous ces choix, bien sûr, dépendront de l’atterrissage après confinement. La profondeur du désastre économique et social n’est pas encore vraiment appréhendée même si tous la pressentent et la redoutent. L’Etat a joué un rôle de pompier qui a permis dans ces premières semaines d’amortir les chocs. Mais demain, les faillites en masse qui surviendront produiront des effets délétères tant sur le plan social que sur le plan économique. L’éviction professionnelle sera massive. Une paupérisation guette le pays.
Le tsunami sur l’emploi ne jouera pas en faveur du changement d’orientation professionnelle ou de mobilité. Là encore, en raison de ce désastre, la plupart renonceront et n’iront pas au bout de leur rêve. Mais quoi qu’il en soit pour la majorité de ces personnes qui rêvent d’un ailleurs professionnel, le temps viendra de reprendre le travail et cela ne se fera pas sans difficultés ni tensions intérieures car renoncer n’est jamais sans douleur. Le réaménagement des valeurs existentielles les conduira à soupeser les avantages et les inconvénients du choix effectué par défaut avec une relative lucidité.
La crise actuelle offre un vrai retour à soi. Chacun peut rechercher ce qui est important pour lui-même, la crise débouchera sur un auto-examen permanent même si cet examen n’aboutit pas immédiatement à des changements majeurs. Il fournira matière à repenser au sein des entreprises et des services publics, les conditions pour des activités professionnelles plus respectueuses des rythmes et des aspirations des personnes et espérons dans le respect de l’environnement.