C’est nouveau ! C’est inquiétant ! De l’urgence à défendre la démocratie sociale (suite)
En évoquant les aides aux entreprises, on a pu entendre ou lire ces derniers temps « l’État et la Sécurité sociale » ; c’est nouveau et c’est trompeur !
Très régulièrement dans ces chroniques j’insiste sur l’importance des mots, sur leurs mésusages et leurs manipulations. On a là un exemple exemplaire si j’ose de tautologie ! Ainsi la Sécu consentirait des aides aux entreprises… et l’État aussi.
N’en doutons pas, demain c’est l’État qui viendra couper dans les retraites en rognant l’abattement fiscal de 10%...
En revanche c’est le gouvernement qui a offert aux habitantes et habitants de ce pays le 100% Santé. C’est lui qui va soulager Mayotte (après que l’État l’aura maintenue dans le sous-développement). C’est lui qui se présente comme le garant de la sécurité des Français.
Quand c’est positif, c’est le gouvernement, quand c’est négatif ou quand cela pourrait être remis en cause, c’est l’État et aujourd’hui la Sécurité sociale.
S’agissant de l’État ce n’est pas nouveau. « L’État opprime et la loi triche » affirment les paroles de l’Internationale.
S’agissant de la Sécu, elle n’apparaissait guère jusqu’à présent dans les « éléments de langage » du pouvoir.
Mais s’agissant des aides aux entreprises, c’est une fiction qui cherche à désengager la responsabilité du gouvernement derrière la notion floue (ou négative) entretenue de l’État ou imprécise de la Sécu.
Car c’est bien le gouvernement, et non les instances de la Sécu, qui décide des exonérations de charges, c’est à dire d’un détournement massif du salaire différé et socialisé des travailleuses et travailleurs que représentent les cotisations.
À l’heure où on célèbre, fort discrètement jusqu’à présent, les 80 ans de la « Sociale », on semble oublier ses fondamentaux et sa nature révolutionnaire : un système de solidarité, financé par le travail — le salaire différé socialisé— et gouverné par ses cotisants à travers ses représentants syndicaux (ou mutualistes).
La Sécu originelle est nationale, pas étatiste ! Elle participe pleinement de la démocratie sociale définie par la Conférence de l’OIT à Philadelphie comme un bien commun des peuples pour assurer la paix et la démocratie politique (*) . Il est vrai que depuis le début, les gouvernements successifs vont s’attacher à réduire cette dimension solidaire et démocratique.
Car l’institution, née du CNR, défendue par Pierre Laroque et Ambroise Croizat, dérange d’autant qu’au seuil de la Guerre froide, elle est, par l’élection, entre les mains de la CGT. De la loi Morice, qui donne le Régime Obligatoire des fonctionnaires à leurs mutuelles (entre d’autres mains), aux ordonnances de 1967 qui imposent le paritarisme et la séparation en quatre caisses, le système initial est bouleversé, pour ne pas dire dénaturé.
Avec les stratégies libérales de chômage de masse (**) , on voit les premiers grands déséquilibres des comptes de la Sécu. Depuis, si la part des cotisations demeure prédominante, on assiste à une fiscalisation croissante des ressources (CSG) de la protection sociale et à une étatisation de la gestion des caisses. Cette étatisation va conduire à une marginalisation des instances paritaires des caisses à tel point qu’on parlera d’un paritarisme de représentation, pour ne pas dire de figuration.
Alors quand on laisse entendre que la Sécurité sociale consent des aides aux entreprises, on est dans l’abus de langage.
C’est bien le gouvernement qui décide des exonérations et non les instances des Caisses où l’autorité majeure est passée des conseils aux directeurs qui sont tous des hauts fonctionnaires, certes de qualité, mais « politiques », c’est à dire s’inscrivant clairement dans les orientations du gouvernement et non dans les vues des partenaires sociaux.
Quand on se précipite à répéter comme un mantra « 100% Sécu », en rayant d’un trait de plume le mutualisme et les institutions paritaires, on doit bien définir de quelle Sécu on parle pour ne pas se retrouver converger avec les schémas libéraux d’une Sécu socle avec pour seul recours les assurances privées.
Nous nous trouvons, aujourd’hui, devant une exigence de restauration de la démocratie sociale avec une Sécu, rétablie dans ses principes fondateurs, avec un respect des partenaires sociaux et en premier lieu un respect de l’action syndicale et sa dépénalisation, un soutien aux associations et à la société civile organisée.
(*) On lira –ou relira- « L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total » d’Alain Supiot (éd. Seuil, 2010)
(**) On lira avec plaisir « Le choix du chômage » roman graphique de Benoît Colombat et Damien Cuvillier (éd. Futuropolis, 2022)