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Non Madame. Nous, médecins, ne sommes pas des héros...
À l’occasion du 27ème congrès de la fédération FO des services publics et des services de santé qui s'est tenu à Reims du 23 au 27 novembre, le secrétaire national des médecins hospitaliers FO, le Dr Olivier Varnet, à répondu à Marisol Touraine depuis la tribune. Son intervention apporte les témoignages de confrères qui rendant compte de l'ambiance d'un soir pas ordinaire.
Le personnel hospitalier (médecins, soignants, brancardiers, agents des bureaux, ouvriers de maintenance ou dans les services médico techniques) n'a pas besoin de recevoir un ordre quelconque pour réagir aux situations de crise. Il a simplement besoin d'être entendu en ce moment où la loi en débat sur la santé va encore aggraver les conditions dans lesquelles il devra accueillir ceux qui se présentent à lui. Cette intervention du d'Olivier Varnet est pleine de bon sens et a été chaleureusement applaudie par les 2 200 congressistes.
Le 13 novembre, un drame effroyable touchait la population parisienne. Au cours de ce drame, quelque chose a frappé tout le monde. Aussitôt l’information connue, les médecins hospitaliers et le personnel de l’AP-HP ont afflué vers les services d’urgence, les services de réanimation, les blocs opératoires, vers toutes les unités où les blessés pouvaient être pris en charge et ce, avant même que le plan blanc ne soit déclenché. C’est avec le plus grand calme et avec le plus grand professionnalisme que les blessés ont pu être accueillis, soignés et, pour certains secourus. C’est grâce aux médecins et au personnel des hôpitaux de Paris que ces vies ont pu être sauvées.
Voici le témoignage d’un interne des hôpitaux parisiens :« Jeune interne, je rentre le vendredi soir pour trouver les mauvaises nouvelles.
À l’annonce de la prise d’otage, je sais ce qui va suivre : un afflux important de blessés. Je me rends donc dans le service d’urgences le plus proche vers minuit : brancarder un patient, voir les urgences « habituelles »… en gros, vider le service en attendant d’avoir des nouvelles du cœur de Paris. C’est là que l’annonce du raid est donnée, que tout le monde s’organise en binômes, attendant les patients, car tout une vague va arriver.
Entre temps, un grand nombre de collègues a eu la même idée : généralistes, spécialistes, hospitaliers et libéraux, internes et externes des hôpitaux se ruent pour aider l’équipe de garde. J’y retrouve des camarades de la faculté ; cela donne un élan énorme au moral. Chacun selon ses moyens, ses connaissances et ses réflexes travaille quasiment dans le silence, simplement quelques cris lancés pour un bilan, pour une radio, pour un transfert…Personne n’a jamais fait face à une telle crise et malgré cela, tout le monde est là et travaille.
On ne connaît même pas nos prénoms, seulement celui de son binôme, et on se serre les coudes. On fait face à l’afflux de plaies par balles. Le patron est là, organise, dirige, surveille le bon déroulement et encourage les équipes. On nous ramène un pack d’eau pour respirer une minute ».
Voilà comment ça s’est passé et une question se pose.
Sans les lits de l’AP-HP que Martin Hirsch compte fermer et sans le personnel de l’AP-HP qu'il compte supprimer, comment les malades auraient-ils pu être pris en charge ?
Ce même jour, vendredi 13 novembre, des milliers de médecins libéraux affluaient pour manifester à Paris pour demander le retrait du projet de loi Touraine. Quand ils ont appris la nouvelle dans la nuit, immédiatement, la grève a cessé, ils ont doublé les effectifs des maisons médicales de garde afin de désengorger les services d’urgence, ont dressé des listes de médecins se tenant à disposition des hôpitaux…
Ils manifestaient pour continuer à soigner les patients sans avoir à leur demander de quelle assurance complémentaire ils dépendaient. Ils manifestaient pour dénoncer un système qui leur imposerait de rendre compte à ces assurances des traitements instaurés, pour défendre le libre choix du médecin par le malade contre la mise en place des réseaux de soins qui verront mutuelles et assurances imposer au patient la liste des généralistes et spécialistes qu’ils agréent. Ils manifestaient contre la remise en cause du secret médical et contre le risque d’une nouvelle baisse des taux de remboursements par la Sécurité sociale, qui impliquera l’augmentation des cotisations des assurances complémentaires en proportion, aggravant les difficultés financières des patients et de leur médecin traitant.
Quelques jours plus tard, Marisol Touraine adressait une lettre de remerciements aux médecins et personnel des hôpitaux de la région parisienne. Que dit-elle ?
« Vous avez agi en héros et je vous exprime ma plus grande et sincère gratitude ».
Non, nous n’avons pas agi en héros, nous avons agi en médecins.
C’était notre devoir de médecins de porter secours aux blessés, comme c’est notre devoir de soigner nos malades. L’état d’urgence a été décrété puis voté. Mais le mardi 17 novembre, Marisol Touraine décidait de faire quand même passer sa loi qui n’aura été reportée que d’une semaine, et elle a été mise au vote aujourd’hui même.
Voici des extraits ce que le Dr Jérome Marty, l'un des organisateurs de la manifestation des libéraux qui devait avoir lieu à l’Assemblée nationale le 16 novembre, écrit :
« Jamais en trois ans (et j’ai vécu près de vous, Madame), je n’ai ressenti de votre part la moindre empathie, le moindre intérêt pour les médecins et je vis au milieu d’eux, avec eux chaque jour.
Vous avez porté une loi qui nie notre modèle sanitaire égalitaire.
Je combats votre loi, Madame, au côté des soignants, nos valeurs nous l’imposent. Notre éthique, notre déontologie, notre liberté et notre indépendance. Des valeurs au centre de la République, des valeurs profondément liées à l’égalité, à la solidarité, des valeurs renversées par votre loi, remplacées par la rentabilité, l’idéologie collectiviste et le marché.
Je combats votre loi et depuis ce soir du 17 novembre, comme mes frères de lutte, je vous combats vous, Madame. J’étais à Paris au moment où la nuit est devenue noire, responsable parmi d’autres du mouvement de grève lancé contre votre loi. J’ai vu ce peuple soignant répondre en un instant à ce qui fait son engagement.
Nous en étions là. L’honneur eut voulu au regard de l’immense majorité des soignants engagés contre votre loi que vous la repoussiez.
Ce mardi 17 novembre vous avez une fois de plus méprisé une majeure partie de la médecine de France et sans jamais répondre aux interrogations légitimes sur l’urgence à voter cette loi ».
Il existe une unité, une unité profonde entre tous les médecins, qu’ils soient hospitaliers ou libéraux. Comme nous, médecins hospitaliers qui disons que nous voulons pouvoir soigner nos malades, les libéraux quand ils disent « nous ne voulons pas de cette loi », c’est parce qu’ils veulent pouvoir soigner leurs malades. Le SNMH FO a pris ses responsabilités en assurant aux médecins libéraux son soutien contre le projet de loi Touraine car nous défendons la même chose : nous voulons pouvoir soigner nos malades.
Alors je voudrais finir par la conclusion de l’interne anonyme des urgences de l’Hôtel-Dieu :
« Merci à ces médecins, hommes et femmes courageux de la nuit, anonymes qui dans l’ombre ont tenté de limiter les dégâts. Se sentir utile direz-vous ? Pas tant que ça. Soigner un carnage qui n’aurait jamais dû avoir lieu et évitable, pas de quoi être fiers. Se sentir unis ? Ah, ça oui. Comme jamais ».
Le SNMH FO et la fédération FO des services publics et de santé, unis, pour les malades, a pris et prendra ses responsabilités.