Participatif
ACCÈS PUBLIC
29 / 05 / 2025 | 31 vues
Jacky Lesueur / Abonné
Articles : 1985
Inscrit(e) le 04 / 03 / 2008

Questions sur l’évolution du CESE

Au moment où certains sont tentés- une nouvelle fois- de relancer la question de l'utilité du Conseil Economique, Social et Environnemental et voire, de sa suppression, la dernière assemblée générale de l'Amicale du CESE, fut marquée par la célébration du 50ème anniversaire de l'Amicale qui prenait place au palais d’Iéna le 29 mai 1975.


A cette occasion, un rappel de l'histoire du CES(E) , de son rôle et des nombreuses évolutions qu'il a pu connaître au fil des ans devrait permettre de mieux appréhender les choses.(*)

 

C'est ce à quoi s'est livré André-Jean GUERIN, Ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et forêts, ancien membre de la  Section de l'économie et des finances, rapporteur du rap­port sur l'état de la France en 2011 et du projet de rapport en 2013 . ( Pour mémoire ...déjà publié: https://sentiers.eu/marcher-avec/conseil-economique-social-et-environnemental/article/vers-une-democratie-participative-des-premiers-mots )

 

Les membres de l'Amicale du Conseil économique, social et environnemental, en ont été les conseillers quelques années auparavant. Souvent désignés par des organisations de la société civile (1), ils ont siégé dans cette troisième assemblée constitutionnelle de la République. Devenus honoraires, ils n’en oublient pas leurs engagements passés et leur militantisme en faveur de causes d'intérêt général. Disposant de plus de temps, ils demeurent intéressés par la vie publique et les évolutions du pays. Ils sont attentifs à l'évolution du CESE.
 

Faut-il pour autant reprendre ici un historique du Conseil ? Il en existe de forts bons, dont son histoire sur le site du Conseil. Aussi, nous préfèrerons nous concentrer sur quelques questions qui se sont posées au fil de son existence, et plus récemment les alternatives qui se sont présentées pour son statut et ses évolutions.

 

Des débuts au CESE

 

« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. » C’est avec cette petite phrase que Jacques Chirac, président de la République française, ouvre son discours devant l’assemblée plénière du quatrième sommet de la terre en septembre 2002 à Johannesburg. Dès 2001, il avait annoncé le principe d’élaborer une charte de l’environnement. Il en prend l’engagement lors de sa campagne électorale de 2002.
 

La révision constitutionnelle est préparée par une commission présidée par le professeur Yves Coppens. La Charte est votée en congrès à Versailles le 28 février 2005 et promulguée le 1er mars. La volonté d’inscrire le développement durable dans l’ensemble des politiques publiques se traduit par la création en janvier 2003 du Conseil national du développement durable (CNDD) et en juin par le lancement de la stratégie nationale de développement durable (SNDD). Une délégation au développement durable (DDD) est chargée d’animer un réseau de hauts fonctionnaires au développement durable (HFDD) nommés dans chaque ministère.
 

Le 26 octobre 2005, le Commissariat général au Plan (CGP) rend public devant la presse et les ONG environnementales deux rapports de prospective EQUILIBRES et ISIS, sur l’État et le développement durable. Le premier préconise, entre autres, de transférer au Conseil économique et social (CES) la représentation de la société civile à l’époque dévolue au CNDD. Il recommande dans le même temps que le CGP absorbe la DDD et se transforme en Commissariat général au développement durable (CGDD). En parallèle, le 6 juillet 2004, Nathalie Kosciusko-Morizet et un ensemble de députés, avaient déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à élargir le champ du CES en Conseil économique, social et environnemental.
 

Les participants au Grenelle de l’environnement retiendront ces recommandations.
 

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et surtout la loi organique du 28 juin 2010 intègrent l’environnement dans le champ de l’institution. La consultation du CESE devient obligatoire pour les plans ou projets de loi de programmation dans les domaines économique, social ou environnemental. L’article 69 de la Constitution révisée introduit une innovation majeure.
 

Le CESE « peut être saisi par voie de pétition […], après examen de la pétition, [il] fait connaître au gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner ».

 

Après 2010, l’avenir du CESE reste incertain

 

Cette réforme substantielle n’épuise pas les initiatives pour faire évoluer le périmètre, les orientations et les missions du CESE. Dans la prolongation de l’évolution en cours, Dominique-Jean Chertier, sollicité, remet un rapport au président de la République le 15 janvier 2009. Trois scénarios sont proposés pour l’évolution de la composition du CESE. En mai 2009, le Sénat confie à sa commission des Finances un rapport CESE qui suggère notamment une piste d’économie budgétaire avec la suppression de certains organismes consultatifs (2) au profit d’une « assemblée des experts de la société́ civile ».
 

Un tel schéma de rationalisation de la réflexion publique aurait tout aussi bien pu être déployé dans le rapport Chertier. Mais c’est le scénario 3 de ce rapport qui est retenu, sans aucune amélioration de la profusion des organismes de consultation.
 

Dès lors, le CESE pouvait-il émerger hors de l’ignorance qu’en avait le grand public ?
 

En interne, la profonde réforme inscrite dans la révision constitutionnelle de 2008 a également du mal à s’incarner. Le sort réservé au projet de « rapport annuel sur l’état de la France » pour 2013 en fournit une illustration. Celui-ci est censé prolonger, avec un champ élargi à l’environnement, le rapport annuel de conjoncture, seul livrable obligatoire des précédentes mandatures.
 

Pour rédiger ce rapport, le bureau du CESE crée une commission temporaire qui travaille pendant 8 mois, auditionne de nombreux experts et spécialistes. Lors de la présentation en séance plénière le 8 octobre 2013, pour la première fois depuis plus de 10 ans, le rapport n’obtient pas la majorité absolue des votants.
 

Le Monde dans son édition du 10 octobre 2013 commente : Dans l’ambiance feutrée du Conseil économique social et environnemental (CESE), le rapport sur l’état de la France 2013 a déclenché une véritable crise ouverte. Mardi 8 octobre, le texte a été rejeté par un vote en session plénière. Ce document consacre une large place à une vision prospective du développement durable du pays, qui n’y figurait pas les années précédentes.
 

Pour la première fois, les représentants de l’agriculture, des entreprises, de l’artisanat et des professions libérales ont uni leurs oppositions respectives pour regretter, dans une déclaration commune, que ce rapport ne contienne pas "les évolutions souhaitables pour retrouver le chemin de la croissance". (…) L’assemblée s’est partagée en 75 voix pour, 62 contre, et 46 abstentions.

 

L’institution peinerait-elle à trouver les voies de compromis pour répondre aux nouveaux défis à relever ? En tout cas, s’emparer de la réforme constitutionnelle de 2008, s’avère plus compliqué qu’imaginé.
 

Faut-il alors s’étonner que de nouvelles propositions fleurissent autour de l’avenir du CESE, mais pas uniquement ?
 

Le 6 mars 2012, reprenant certaines propositions de la seconde partie du référendum constitutionnel du 27 avril 1969 sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la création de régions et à la rénovation du Sénat » qui a conduit  au départ du général de Gaulle, une proposition de loi constitutionnelle est déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale relative à une meilleure représentativité du Sénat par la fusion avec le Conseil économique, social et environnemental.
 

L’argumentation propose une « évolution de la représentativité du Sénat et la transformation du Conseil économique et social en une chambre parlementaire aux côtés de l’Assemblée nationale. ».
 

La proposition est restée sans suite.
 

Le 9 juin 2023, c’est sur le bureau du Sénat qu’une nouvelle proposition de loi constitutionnelle est déposée pour « supprimer le Conseil économique, social et environnemental ». Cette proposition de loi n’a pas eu plus de suite que celle déposée à l’Assemblée nationale. Elle démontre cependant la récurrence de la question sur la place et le rôle de cette institution.


Quelques évènements vont orienter et précipiter les choix.

 

Vers plus de démocratie participative

 

Le mouvement des gilets jaunes, à partir de novembre 2018, a largement surpris les divers responsables. Il traduit notamment un sentiment de défiance à l’égard du fonctionnement des institutions. Le grand débat national qui l’a suivi a mis en évidence un sentiment de distance entre les décideurs publics et les citoyens et le souhait de plus Français de prendre part plus directement à la décision publique.


La Convention citoyenne pour le climat décidée par le président de la République en avril 2019 et dont l’organisation a été confiée au CESE, a fourni l’occasion d’un exercice de forme délibérative.

 

D’autres initiatives sont prises pour associer des citoyens tirés au sort dans l’élaboration de propositions de politiques publiques (3). Ainsi émergent et sont précisés les points saillants d’une nouvelle réforme du CESE consacrée par la loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 et détaillée sur le site Internet du CESE : La réforme accroît la place de la société civile dans l’élaboration des politiques publiques en faisant du CESE le « carrefour des consultations publiques » et l’institution de référence en matière de participation citoyenne.
 

Elle vient renforcer la place du CESE dans le débat public et le cœur de sa mission, l’éclairage des pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Le Conseil pourra être saisi par le gouvernement et le parlement sur la mise en œuvre de lois relevant de son champ de compétences. (…) La loi organique institutionnalise la parole de la société civile, la parole citoyenne, en l’associant aux décisions.


Le CESE devient l’institution des consultations publiques sur les sujets économiques, sociaux et environnementaux, à sa propre initiative ou à celle du gouvernement. Il pourra notamment associer à ses travaux des citoyens tirés au sort et organiser des conventions citoyennes.

 

La saisine du Conseil sur pétitions est modernisée : le CESE pourra être officiellement saisi par voie électronique, 150 000 signatures avec la possibilité pour les jeunes à partir de 16 ans d’être signataires ou lanceurs pétition. C’est une étape décisive pour les citoyens qui dès 16 ans seront en capacité de faire entendre leur voix. Enfin, l’institution voit sa composition resserrée passant de 233 membres à 175 membres.
 

La loi organique de 2021 fait notamment évoluer la composition du CESE en donnant une place renforcée aux représentants de la cohésion sociale, territoriale et à la vie associative ainsi qu’à ceux de la protection de la nature et de l’environnement (4). Elle comporte en outre une procédure pour assurer l’évolution de la composition du CESE au fil des mandatures (5).
 

Une des innovations majeures maintenant dévolue au CESE est évidemment la possibilité de recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence (6). Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne sur la fin de vie, retient : « Si la Convention s’est aussi bien passée, malgré la nature sensible de son sujet, c’est aussi parce qu’elle a bénéficié de la “méthode CESE”, cette façon de construire le consensus dans la bienveillance, en faisant de la nuance une force. (…) Le CESE est l’un des rares lieux où l’on peut produire de la nuance. C’est l’une des seules institutions où nous pouvons échanger avec des gens qui ne pensent pas du tout comme nous, et cheminer ensemble pour trouver des réponses et des solutions. »

 

Une autre innovation intéressante est portée par l’étude sur l’expérimentation d’une méthode de clarification des controverses testée sur Quelle place pour le nucléaire dans le mix énergétique français ?
 

En conclusion : Cette étude avait l’objectif d’expérimenter une méthode innovante qui pourrait contribuer et sortir des affrontements parfois violents et souvent stériles entre « experts ». De par sa composition et sa capacité à faire dialoguer les parties en présence, le CESE a essayé de démontrer que l’on peut dépasser les postures pour se mettre d’accord sur les principaux clivages, apprendre à s’écouter et commencer à rapprocher les points de vue.

 

On le voit, la loi organique de 2021 et les impulsions données ces dernières années à son travail initient un nouveau cycle pour les services que le CESE peut apporter à notre démocratie.

 

Espérons que la connaissance de nos concitoyens pour sa composition, ses missions et son fonctionnement s’en trouvera encore renforcée (7).

 

Espérons qu’ils mobiliseront les dispositions nouvellement ouvertes sur les questions les plus pertinentes. Gardons à l’esprit que ce nouveau cycle pourrait n’être qu’un balbutiement vers une véritable institutionnalisation des conventions citoyennes (8).


Observons avec attention et vigilance ces orientations nouvelles. Et prenons le risque de nous aventurer jusque sur la voie de propositions pour de futures évolutions !

 

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

(*) rappel: https://www.lecese.fr/decouvrir-cese/historique

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

1) Organisations syndicales, représentants des entreprises, des professions libérales, d’associations, d’O.N.G. environnementales, etc

2) Parmi eux notamment : le Conseil national du développement durable ; le Centre d’analyse stratégique et le Centre d’études prospectives et d’informations internationales ; le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale;  le Conseil d’orientation pour l’emploi ; le Conseil d’analyse économique ; le Conseil d’analyse de la société. D’autres auraient, sans doute, pu être également mentionnés, comme le Conseil d’orientation des retraites.

3) En 2019, un groupe de trente citoyens tirés au sort élabore donc un avis qui se voit intégré à celui de la Commission temporaire « Fractures et transitions ». En 2020, un processus très similaire conduit à l’avis « Générations nouvelles » sur la solidarité intergénérationnelle.

4) Il ne faut pas manquer de souligner qu’avec la composition actuelle du CESE, l’offensive du bloc inédit, détaillé par l’article du Monde évoqué plus haut, n’aurait pas abouti et le « rapport annuel sur l’état de la France » pour 2013 aurait été aisément adopté.

5) Un comité ad hoc est prévu pour proposer régulièrement des évolutions de la composition du Conseil. Le rapport Combrexelle, est le fruit de ce comité en 2021. 

6) Article 4.3 de la loi organique nº 2021- 27 du 15 janvier 2021 : « Art. 4-3.-Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale ou du président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation. A cette fin, il nomme un ou plusieurs garants tenus à une obligation de neutralité et d’impartialité, chargés de veiller au respect des garanties mentionnées à l’article 4-2. « La procédure de tirage au sort assure une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer, et garantit la parité entre les femmes et les hommes parmi les participants. « Le Conseil publie les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat. »

7) Une enquête Opinionway pour le CEVIPOF de février 2021 confirme la confiance que les Français placent dans le CESE.

8) Plusieurs projets de loi constitutionnelle ont été déposé dans ce sens mais sans suite jusqu’à présent. Voir notamment le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ou le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

Pas encore de commentaires