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Télétravail: Analyse de l’évolution des pratiques depuis la crise sanitaire
La DARES a publié deux études portant sur l'évolution du télétravail et son impact sur les conditions de travail des salariés. Ces analyses décrivent l'essor du télétravail et ses implications variées sur la qualité de vie au travail. Bilan des principaux enseignements de ces publications.
Une diffusion croissante du télétravail portée par les cadres
Entre 2019 et 2023, la pratique du télétravail a fortement augmenté en France. En 2019, seuls 9% des salariés y recouraient de manière occasionnelle. En 2023, ce taux atteint 26%. La crise sanitaire a bien-sûr favorisé cette tendance, avec un pic de 42 % de télétravailleurs pendant les confinements de 2020. Les cadres, en particulier, ont largement contribué à cette progression, leur taux de télétravail se stabilisant autour de 65 % en 2023.
Les métiers les plus propices au télétravail incluent notamment les ingénieurs en informatique et les cadres commerciaux et financiers, où le recours au télétravail est devenu un standard. Près de 91% des ingénieurs de l’informatique télétravaillent désormais, illustrant une tendance marquée vers des formes de travail hybride dans les secteurs de pointe.
Les effets du télétravail sur l’autonomie et l’intensité du travail
L’un des avantages principaux pour les cadres est l’augmentation de leur autonomie. En télétravail, 33% d'entre eux estiment pouvoir organiser plus facilement leurs tâches qu’en présentiel. En revanche, le soutien social – qu'il provienne de collègues ou de la hiérarchie – est perçu comme moindre à distance, en particulier dans la fonction publique où les échanges informels sont plus limités.
Le télétravail réduit également l'intensité du travail : les interruptions de tâches imprévues diminuent de 51 points en distanciel, permettant aux cadres de mieux structurer leur temps. Ce rythme allégé favorise une meilleure répartition des tâches, mais il s’accompagne parfois d’un sentiment d’isolement pour certains télétravailleurs.
Conditions matérielles et financières : une amélioration nécessaire
Les équipements pour le télétravail ont évolué depuis 2021, avec 75% des télétravailleurs déclarant plus de sept heures d'utilisation quotidienne d’outils numériques. Toutefois, en 2023, 61% des télétravailleurs déclarent ne pas percevoir de compensation pour les frais induits, un frein persistant pour les plus jeunes et les travailleurs en CDD.
Dans le secteur privé, les conditions matérielles semblent mieux adaptées au télétravail que dans le secteur public. Ce dernier enregistre des difficultés plus fréquentes dans la fourniture d’outils ou d’espaces dédiés, bien que la majorité des salariés télétravaillent principalement depuis leur domicile (98%).
Télétravail et articulation des temps de vie : des impacts contrastés
L’étude montre que le télétravail peut faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, en particulier pour les cadres en couple. Les hommes semblent en bénéficier davantage, fait illustré notamment par une diminution des plaintes de leurs proches au sujet des horaires. Les femmes, quant à elles, sont toujours fortement impliquées dans les tâches domestiques, même en télétravail, avec peu de changement dans la répartition des tâches familiales.
Le temps économisé grâce au télétravail est souvent réalloué différemment selon les genres. Les hommes y voient une opportunité pour les loisirs, tandis que les femmes tendent à consacrer ce temps au travail domestique. Les inégalités dans la charge mentale liée aux responsabilités familiales perdurent donc encore…
Télétravail et santé : un effet bénéfique, mais un présentéisme plus fréquent chez les femmes
Les télétravailleurs sont globalement en meilleure santé que ceux travaillant exclusivement sur site. En 2023, 31% des télétravailleurs rapportent un état de santé altéré contre 37% chez les non-télétravailleurs. Cependant, le phénomène de présentéisme est plus fréquent chez les femmes, qui continuent de travailler malgré des problèmes de santé. Ce comportement est en partie attribué à une meilleure flexibilité des horaires, permettant aux femmes d'ajuster leur emploi du temps sans interrompre leur activité professionnelle.
Les deux analyses de la DARES mettent donc en lumière les avantages et les limites du télétravail. L'amélioration de l'autonomie et une flexibilité accrue se heurtent à des défis, tels que la compensation des frais et l'isolement social. Pour les cadres, le télétravail se confirme comme un atout dans l’organisation du travail, mais des ajustements, notamment sur les conditions matérielles et le soutien psychologique, sont nécessaires. Enfin, malgré une meilleure articulation entre vie personnelle et professionnelle, les femmes continuent d’assumer une part plus importante des tâches domestiques, un déséquilibre que le télétravail peine encore à corriger.
Lien vers les analyses de la DARES :
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Le télétravail pourrait accentuer les inégalités territoriales
Une étude conjointe de France Stratégie et de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (1) retiendra l'attention pour nourrir les nécessaires réflexions sur le sujet...
Pour les auteurs de ce rapport..en conclusion:
" Le télétravail révolutionne les modes de vie des salariés concernés, transforme le monde du travail, l’organisation des entreprises et les services des bassins de vie. Mais il se développe inégalement dans les territoires et contribue à la recentralisation des pôles d’activité.
Le manque de données territorialisées sur les pratiques du télétravail empêche de confirmer si les tendances qui ont pu être observées sont durables.
Le premier enseignement de ce travail est donc la nécessité de disposer de données plus complètes sur les pratiques du télétravail.
L’introduction d’une question sur le télétravail et la possibilité de déclarer une double résidence dans le bulletin individuel du recensement de la population de l’Insee permettraient d’avancer sur ces points. Le télétravail produit des effets souvent diffus sur les territoires avec une accentuation, modeste, des tendances en cours :
-moins de déplacements domicile-travail, recours accru aux mobilités douces,
-davantage de déplacements en TER,
-réduction, même partielle, des surfaces de bureaux utilisées permettant aux entreprises une relocalisation dans les centralités ou des réaménagements qualitatifs des espaces de travail.
Même s’il est difficile de généraliser ces observations, il semble que, sous certaines conditions, le télétravail pourrait réellement contribuer plus efficacement aux objectifs d’aménagement du territoire, en particulier à l’adaptation et au renforcement de la chaîne des mobilités, à l’amélioration des transports collectifs et à la réduction des mobilités subies.
Une meilleure prise en compte des effets du télétravail dans les politiques publiques est nécessaire.
L’absence de régulation, de coopération intersectorielle et de coordination locale risque notamment d’accentuer les inégalités entre salariés, de perturber les marchés du logement dans les zones centrales ou touristiques et d’y créer des déséquilibres entre activités et habitat, de poser en périphérie des problèmes de reconversion de quartiers et de renouvellement urbain, ainsi que de générer une inadéquation temporelle entre offre et demande de services de transport et, de façon générale, de services publics. Les besoins en qualité et en surface des logements pourraient également s’accentuer.
En favorisant l’individualisation des rythmes de vie, le télétravail justifie un investissement important dans une politique des temps en parallèle des politiques spatiales.
C’est un autre enseignement de cette étude et peut-être celui qui porte le plus grand potentiel à court terme.
Des collectivités territoriales ont déjà développé des « bureaux des temps » visant à adapter les horaires des services publics et l’organisation temporelle du territoire en prenant mieux en compte les attentes des usagers.
La généralisation de ces démarches pourrait maximiser les eets positifs du télétravail, tant sur la qualité de vie des salariés que sur l’aménagement et l’équilibre territorial, en favorisant la lutte contre le dérèglement climatique"
(1) Plus de détails: