Classifications: Poussons la grille !
La Direction Générale du Travail (DGT) vient d’éditer un « guide des classifications professionnelles à l’usage des négociateurs de branche » (1). Une initiative qui ne doit rien au hasard et qu’il convient de saluer, sans la surévaluer.
Déjà publié et déjà en retard !
Ce guide est en effet une traduction opérationnelle de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise. Cet accord a fait l’objet d’un acte de transposition par la loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023, laquelle met à la charge des branches professionnelles une obligation de révision des grilles de classifications d’ici… à fin 2023.
Cette échéance est toutefois à relativiser dans la mesure où le thème de négociation de branche des classifications doit être mis à l’ordre du jour du calendrier social tous les cinq ans au minimum. En outre, mis à part l’arme de restructuration forcée de la branche professionnelle défaillante, cette obligation n’est pas sanctionnée (2) .
Un point de repère dans un agenda chargé
Par ailleurs, cette échéance s’insère dans un agenda très chargé.
Ainsi et de manière comparable, à la suite de l’ANI du 10 février 2023 et de la loi du 29 novembre 2023, les branches professionnelles ont l’obligation d’ouvrir, d’ici au 30 juin 2024, une négociation sur le partage de la valeur dans les entreprises de moins de 50 salariés. Des courriers ont récemment été adressés aux branches professionnelles afin de leur rappeler cette commande. Le ministère du Travail a récemment pu convoquer des branches professionnelles afin de leur signifier que certains de leurs minima conventionnels se situaient, de manière structurelle, en deçà du niveau du SMIC. Ces convocations trouvent un écho avec celles de la période Covid, lors du début de la flambée de l’inflation. Elles font suite à la Conférence sociale du 16 octobre 2023, et sont placées de manière incohérente sous la double menace de la suppression d’aides publiques et de la fusion administrée des branches professionnelles (3) .
D’un point de vue politique donc, ce guide a de fortes probabilités de ne pas trouver l’écho qu’il devrait avoir. Il constitue toutefois une initiative à saluer de la part des services de l’Etat. Même si l’on peut nourrir quelques regrets, l’utilisateur du guide y trouvera un cadre d’intervention, des exemples concrets et des rappels utiles.
Rôle de la négociation collective sur les classifications
L’obligation de négocier périodiquement les grilles de classification répond à l’impératif d’accompagner les transformations des métiers et de progression des rémunérations des salariés. Cette négociation est cruciale et doit dynamiser d’autres aspects de la négociation collective. Elle est d’autant plus importante en période de restructuration des branches, malgré la pause imposée par les services de l’État.
Ainsi, dans le périmètre de la Section fédérale des services, nombre de branches ont renégocié leur grille de classification en raison de la fusion des branches. C’est le cas de la nouvelle branche des professions réglementées auprès des juridictions, ou encore de la nouvelle branche des commissaires de justice.
La grille de classification des salariés des cabinets d’avocats est en cours de négociation. La grille de classification de la branche de l’Habitat et du Logement adapté (ex-branches des foyers et services pour jeunes travailleurs et des Pact-Arim / Soliha), également en cours de fusion, est en cours de négociation.
Ainsi, certaines branches professionnelles sont très impactées par le contexte de restructuration des branches. Avec l’exercice de renégociation des conventions collectives, c’est un travail aussi fin que lourd qu’elles doivent réaliser s’agissant des grilles de classifications. En théorie sans sacrifier les autres thèmes de négociation collective…
Classification et salaires minima
La grille de classification constitue le préalable et le support indispensable à la négociation des salaires minima hiérarchiques. En effet, la négociation des minima consiste à déterminer, pour chaque niveau de la grille de classification, la rémunération minimale que le travailleur doit percevoir. Comme le souligne le guide, le soin apporté à l’actualisation régulière de la grille de classification constitue un remède au phénomène de resserrement des grilles salariales observé ces dernières années. Contrairement à ce que le guide affirme, plus qu’un soutien au pouvoir d’achat des salariés, la grille constitue une reconnaissance minimale de l’activité professionnelle confiée au travailleur. Par ailleurs, la grille de classification favorise l’égalité salariale dans la branche professionnelle et les entreprises.
Le guide liste des conditions essentielles pour garantir cette égalité, et redonne des rappels précieux. Par exemple, il rappelle que les organisations professionnelles doivent produire un rapport sur l’égalité, afin de réduire les écarts de rémunération et encourager la mixité des emplois.
Concernant le périmètre de la Section Fédérale, notre Organisation, dans la branche des Prestataires de services, élabore chaque année un projet d’accord sur les salaires minima hiérarchiques, en commandant une étude pour connaître la répartition des salariés par niveau de classification et la proximité des salaires réels avec les salaires minima. Malgré cette revendication incluse dans le projet, elle n’a jamais été acceptée.
Ce guide servira de rappel supplémentaire que les négociations sont étroitement liées.
Classification et formation professionnelle Le guide souligne le lien entre la classification et la formation professionnelle, rappelant l’évolution de la reconnaissance de la qualification vers la compétence. Il ne mentionne cependant pas les changements apportés par la loi du 5 septembre 2018, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui ont progressivement limité l’accès des salariés à la formation professionnelle : suppression du congé individuel de formation (CIF) dès l’adoption de la loi, introduction d’une participation obligatoire de 100 € pour le compte personnel de formation (CPF) en 20244, et projet de suppression de la ProA (dispositif permettant aux salariés de partir en formation).
Impact de la révision des classifications
Or, la grille de classification est principalement un outil destiné aux salariés en emploi, visant à favoriser leur évolution sociale et professionnelle. Le projet de formation pour les travailleurs privés d’emploi réduit l’impact des grilles de classification.
Le guide rappelle utilement que la révision des classifications peut produire plusieurs effets et notamment :
• les salariés peuvent voir leur qualification réévaluée sans garantie de maintien, ce qui peut nécessiter des mécanismes pour prévenir les baisses de rémunération. C’est l’effet désigné sous l’appellation « absence de droit au maintien de la qualification » ;
• il est possible de prévoir des clauses de sauvegarde pour protéger les salariés contre une diminution de leur rémunération lors de la mise en œuvre des nouvelles grilles de classification.
Ce sont les « mécanismes de sauvegarde », qui sont, par exemple, appelés à la rescousse cette année à l’occasion de l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective de la Métallurgie.
Ces éléments rappellent que la négociation des grilles de classification n’est pas sans impact et témoignent de la nécessité, pour les négociateurs de branche, d’allier un haut niveau d’expertise et une connaissance intime des métiers de la branche .
Focus sur l’assiette des salaires minima
Le guide propose de nombreux points d’attention pour mieux comprendre les aspects liés à la négociation des grilles de classification.
Parmi ces points, il aborde ce qu’il reste de la hiérarchie des normes (et du principe de faveur), ainsi que la question de l’assiette des salaires minima hiérarchiques.
Bien que les services de l’État rappellent la décision du Conseil d’État sur les prérogatives des branches professionnelles pour définir cette assiette, ils ne mentionnent pas les difficultés rencontrées par nos négociateurs de branche pour la déterminer dans le contexte actuel.
En effet, les négociateurs de branche peuvent déterminer les éléments entrant dans la définition des minima salariaux de branche, mais ne peuvent imposer que les entreprises versent aux salariés les éléments inscrits dans cette définition…
Concrètement, il est possible d’intégrer une prime de treizième mois dans la définition des salaires minima de branche, sans contraindre les entreprises à verser un treizième mois, même si ce droit est inscrit dans la convention collective…
(1) Guide des Classifications Professionnelles à l’Usage des Négociateurs de Branche, Direction Générale du Travail, mai 2024. Disponible ci-contre.
(2). Dans son guide, la DGT constate que, à mai 2024, 94 branches sur 171 n’avaient pas révisé leurs classifications depuis plus de cinq ans.
(3). Sur cette Conférence, voir Debout n°171, décembre 2023.
(4)Voir Debout n°174, mars 2024.