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20 / 05 / 2024 | 94 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Le CESE : une passerelle entre le politique et la société...

Thierry Beaudet a pris la présidence du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) au moment où l'institution  devait s'engager dans une réforme significative. A mi-mandature, il a bien voulu répondre à mes questions pour faire le point  et  en tirer les enseignements ...

 

Vous avez été élu président du CESE le 18 mai 2021, quel bilan faites-vous de ces premières années de mandature ?

 

Trois ans après le début de la mandature, le chemin parcouru est important pour faire de notre assemblée un lieu de référence du débat apaisé et de l’innovation démocratique. J’ai été élu président du Conseil économique social et environnemental sur une double promesse, celle de l’utilité et de l’efficacité de notre institution.

 

J’ai souhaité que notre action soit orientée vers quatre priorités : mettre en œuvre toute la réforme de 2021, porter haut et fort la question démocratique, ouvrir le CESE à la société, et explorer de nouvelles façons de travailler pour mieux répondre aux exigences de l’époque. Grâce au travail et à l’engagement de ses membres et des organisations de la société civile qui le composent, je pense que le CESE apparait aujourd’hui comme un triple point de repère dans notre démocratie. Un point de repère dans le débat public pour défricher, éclairer, documenter les grands sujets qui traversent, et souvent fragmentent, notre société.

 

Un point de repère de référence sur la démocratie sociale et participative. Avec des dizaines de travaux associant des citoyens, avec l’organisation d’une convention citoyenne, la réforme de 2021 faisant du CESE le carrefour des consultations publiques a été largement déployée.

 

Un point de repère enfin, comme lieu de rencontres, d’échanges et de culture pour la société civile et le grand public. Je pense par exemple aux « Rencontres du CESE », nouveau format qui réunit membres du CESE, chercheurs, élus et acteurs de terrain sur des sujets complexes d’actualité comme le travail, l’immigration, le financement de la transition écologique, ou encore l’Europe avec l’audition d’une trentaine d’eurodéputés français à la veille des élections européennes.

 

Renforcer notre impact c’est aussi revoir notre propre façon de travailler pour gagner en transversalité, en expertise et en agilité. Trois nouvelles directions ont ainsi été créées au sein du CESE : la direction de la participation citoyenne, la direction des relations européennes et internationales et la direction de l’innovation, pour permettre au CESE de gagner en expertise et favoriser le rayonnement de ses travaux. 

 

Ces évolutions nous ont d’ailleurs permis de mener un certain nombre d’innovations. Je pense notamment à deux outils mis à disposition des organisations et du grand public : Mapmymep.lecese qui agrège et analyse les 19.000 votes du Parlement européen et Panoramic, une première utilisation de l’IA au service de la démocratie, qui permet à son utilisateur de revivre la convention citoyenne du CESE sur l’accompagnement de la fin de vie.

 

Quelles ont été les principaux faits marquants de la période et les principales thématiques que vous avez traitées ?

 

Le CESE, c’est une méthode. Celle de la recherche d’un consensus exigeant nourri par l’expertise de terrain. C’est ce que nous avons appliqué avec ténacité sur des sujets brûlants ces derniers mois, je pense au sujet de l’Europe et de l’immigration, du sens de la peine, de la gestion de l’eau, du renouvellement des générations en agriculture, des métiers en tension, du développement du parasport, des inégalités de genre dans la crise climatique, de la relance économique dans les Outre-mer, de la participation démocratique des jeunes, de la légalisation encadrée du cannabis ou encore de l’accompagnement de la fin de vie. 

 

Dans notre monde fracturé, aboutir à des consensus et des voies de passages sur ces sujets difficiles, ce n’est pas rien. Et c’est ce qui fait du CESE une institution d’avenir. Pour choisir les sujets dont nous nous saisissons, nous nous appuyons sur nos orientations stratégiques, fixées en début de mandature par la Conférence des enjeux qui a rassemblé conseillers du CESE et responsables des organisations. Par ailleurs, nous veillons dans nos travaux à systématiquement embrasser les dimensions locale, nationale et internationale.


Nous avons ainsi resserré nos liens avec les CESER. Aux niveaux européen et international, nous avons multiplié les initiatives et les partenariats avec le Comité économique et social européen, ainsi qu’avec nos homologues dans de nombreux pays, notamment dans le cadre de l’UCESIF (CES francophones). Un « Erasmus des sociétés civiles organisées » a été lancé en mai 2023 pour développer les échanges de bonnes pratiques entre membres de divers conseils européens à travers l’Europe.

 

Ce qui me frappe dans la période actuelle, c’est l’extrême polarisation de notre société et la très forte dégradation du débat public.


Tous les sujets sont devenus inflammables. Les crises successives, sanitaire, sociale, environnementale, géopolitique… ont profondément endommagé le tissu social et amplifié le sentiment de défiance, entrainant repli sur soi, amertume et refuge dans les extrêmes. Dans ce contexte, j’ai la conviction que les corps intermédiaires que sont les organisations de la société civile, les entreprises, les syndicats, les associations, les ONG, peuvent être les moteurs de la réconciliation de la société. A condition de les associer vraiment.

 

Vous avez fait de la question démocratique un axe fort de votre mandature, quels enseignements tirez-vous du contexte actuel ?

 

Le premier enseignement est selon moi celui de l’urgence à retrouver du souffle démocratique. Le CESE peut être un tiers de confiance pour cela. Car c’est bien en cultivant le sens du dialogue et le sens du futur que nous pourrons affronter collectivement les transformations et les transitions inéluctables.
 

Je retiens aussi que nos problématiques contemporaines sont multi-dimensionnelles. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le CESE est construit sur le triptyque économique, social et environnemental. Ces trois dynamiques doivent s’irriguer les unes les autres.  Oui, j’ai la conviction que la mère des batailles est celle de l’approfondissement de notre démocratie, pour qu’elle ne soit pas qu’un sport de combat. Lentement mais sûrement, les sphères sociales et politiques se déconnectent.

 

La première conséquence de cette déconnexion est l’appauvrissement de la démocratie, qui se retrouve comme empêchée de prospérer. Le sujet n’est pas qu’institutionnel, il est d’abord culturel. Je le dis souvent, c’est bien nos pratiques démocratiques qu’il nous faut mettre à jour pour des politiques publiques acceptées et applicables. Pour cela il nous faut associer davantage puissance publique, corps intermédiaires et citoyens. Le CESE peut être le lieu d’un nouveau temps politique, là où l’on commence par rechercher les terrains d’entente. Le CESE, par les organisations qui le composent, par sa méthode, est une passerelle entre le politique et la société. L’envie de participation est bien là, il est temps de mettre en face les outils qui lui permettront de s’exprimer. Sans quoi ce besoin de s’exprimer se transformera en autre chose, trouvant refuge chez ceux qui attisent les peurs et les colères.

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