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12 / 05 / 2023 | 316 vues
Frédéric Homez / Abonné
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Secteur automobile: l’emploi frappé par le choc électrique

En termes de changement industriel, rapidité va souvent de pair avec brutalité, en particulier pour les salariés. Outre les emplois menacés de disparition par l’avènement du véhicule électrique, il faut compter sur ceux qui qui n’existent pas encore et ceux dont l’évolution nécessitera une reconversion.  Pour le secteur, les enjeux sont énormes, mais la prise de conscience n’est pas encore générale et les moyens mobilisés trop faibles.

 

Fermeture du site Mahle de Chavanod (Haute-Savoie) et destruction de 108 emplois, disparition du site Benteler de Migennes (Yonne) avec 420 salariés concernés, fin de parcours pour l’usine BorgWarner d’Eyrein (Corrèze) et ses 368 salariés et PSE pour 143 postes sur Blois, 750 emplois de moins chez Bosch, à Rodez (Aveyron), sans oublier les nombreuses fonderies, comme la SAM, MBF Aluminium ou encore la Fonderie du Poitou Fonte : rien qu’en 2021, ce sont 2 856 emplois qui ont été supprimés chez les sous-traitants automobiles.

 

Amplifié par le Dieselgate puis les conséquences de la crise sanitaire, la tendance ne date pas d’hier. Selon le cabinet Trendeo, entre 2009 et 2019, 50 778 emplois du secteur automobile avaient déjà été perdus en France et la situation ne va pas s’arranger de sitôt.

 

Selon deux études publiées fin 2021, le nombre total d’emplois dans l’industrie automobile va encore se contracter sous l’effet de la transition vers le véhicule électrique, et le mouvement touchera surtout les équipementiers.

 

Les effectifs des constructeurs, des équipementiers et autres acteurs dont l’activité repose principalement sur les moteurs thermiques devraient être amputés de 630 000 collaborateurs à l’échelle européenne, estimait fin 2021 le cabinet Boston Consulting Group, en considérant que de 80 % en 2020, la part des moteurs thermiques dans les ventes automobiles neuves devrait descendre à moins de 5 % en 2030.

 

A contrario, l’augmentation de la demande en batteries et en infrastructures de recharge favoriserait la création de 580 000 emplois. Un gain de 65 000 emplois, notamment sur des postes d’ingénieurs, est également attendu en raison de l’évolution technologique dans les véhicules.
 

Le cabinet prévoit en effet une hausse de 11 % par an de la valeur des logiciels dans une voiture, passant d'environ 280 € par véhicule en 2020 à 760 € en 2030.
 

Mais pour recruter, il va falloir renforcer l’attractivité du secteur, notamment par des politiques salariales ambitieuses, pour lesquelles notre organisation se bat au quotidien. Il ne faut pas oublier que 100 000 emplois ont déjà été perdus en 20 ans du fait des délocalisations massives réalisées par les constructeurs et les équipementiers sur le thermique

 

Une saignée dans les effectifs ?

 

Au même moment, une étude menée par le cabinet Alix Partners et la PFA (Plateforme automobile, qui représente l'ensemble de la filière automobile : constructeurs, équipementiers, sous-traitants et distributeurs) estimait que, selon une hypothèse moyenne, près de 65 000 emplois étaient menacés en France par le passage du thermique à l’électrique, qui nécessite moins de main-d’œuvre.


Les sous-traitants spécialisés dans le décolletage-usinage, le traitement des métaux, la fonderie fonte, la forge, le caoutchouc, ou encore l’emboutissage seront les plus touchés par l’électrification, avec une activité en baisse de 20 à 70 % en fonction des scénarios retenus, qui prennent également en compte la probable baisse des volumes de production en Europe et les gains de productivité.

 

Il faudrait s’attendre à une baisse « structurelle » de 15 à 30 % des effectifs français de production, soit 46 000 à 87 000 emplois potentiellement supprimés, dont plus du tiers chez les sous-traitants, selon la vitesse de la transition vers le véhicule électrique.

 

Marc Mortureux, directeur général de la PFA, indique que « malheureusement, la fin du moteur thermique se traduira forcément par une réduction des emplois de production en France », qu’il juge « inévitable ». Tandis que la création, qui reste potentielle, de 11 000 nouveaux emplois liés à l’électrique ne permettra pas de compenser les licenciements.


Il considère cependant que la filière automobile pourrait se diversifier grâce à l’électro-chimie des cellules de batteries, les bornes de recharge, ainsi que la pile à combustible. Pourtant, sur ce point, l’étude ne se veut guère rassurante, puisqu’elle estime que 70 % de la production des groupes moto-propulseurs et batteries « semble fermée aux fournisseurs actuels de la filière française », ajoutant même qu’une transition trop rapide vers le véhicule électrique risque d’accentuer les externalisations de production hors de France : « plus on va vite vers la transition, plus le risque d’aller sourcer des composants dans des pays à bas coûts augmente. Potentiellement, 20 % de la valeur des composants pourraient être délocalisée ».

 

Alexandre Marian, directeur associé chez AlixPartners, nuance en relevant que « ce n’est pas forcément négatif pour la France car certaines co-entreprises s’installent » sur notre territoire, notamment pour la fabrication de batteries, mais cela serait tout de même préjudiciable pour les sous-traitants.


Luc Chatel, président de la PFA, résume : « Le passage de la technologie thermique au moteur électrique, de conception plus simple, va entraîner la disparition d'un certain nombre de métiers, avec, à la clé, des pertes d'emploi importantes.

 

En cinq ans, l'industrie automobile a déjà perdu 50 000 emploisOn estime que, a minima, 65 000 emplois sont menacés d'ici à 2030. Dans le même temps, d'autres métiers apparaissent. C'est tout l'enjeu de la bataille des reconversions et de la formation que nous livrons aux côtés des pouvoirs publics. » Pour le Boston Consulting Group, « au total, environ 2,4 millions de salariés en Europe auront des besoins de formation spécifiques tandis que le métier des 3,2 millions restants, sur le total de 5,6 millions en 2030, n'évoluera guère ».

 

En attendant, l’heure reste au déni ou au rafistolage pour beaucoup d’équipementiers. Et si la diversification d’activité peut empêcher le naufrage pour certains, elle n’est pas accessible à tous et ne constitue pas pour autant un remède miraculeux. Comme l’explique Patrick Thollin, qui participe aux travaux de la PFA au nom de la FIEV (Fédération des industries des équipements pour véhicules), cité par L’Argus, « beaucoup sont encore dans le déni et ne croient pas que le moteur thermique sera supprimé à l’horizon 2035. Ensuite, ce qui est préconisé en termes de diversification, c’est de s’orienter vers d’autres filières pour y appliquer nos compétences.

 

Mais la difficulté, c’est que le réseau commercial est spécifique à chaque filière. Prenons l’exemple d’une entreprise spécialisée à 100 % dans les capteurs auto et PL ; si demain elle veut aller faire des capteurs pour l’aéronautique, elle va devoir créer une structure technico-économique qui épouse les standards de l’aéronautique, qui sache comment lui parler et connaisse ses problématiques ».

 

Il n’est alors plus question de se diversifier mais plutôt de transformer complètement l’activité. Quant à se développer sur le créneau des nouveaux besoins liés à la voiture électrique, la partie est loin d’être gagnée, comme l’a démontré l’étude, qui fournit un chiffre donnant la mesure du problème : un tiers des fournisseurs interrogés par le cabinet AlixPartners n'a pas lancé de démarche pour se préparer à la bascule vers les voitures à batterie. Le réveil s'annonce difficile d'ici à quelques années…

 

Diversification

 

Si les récentes annonces de Renault et Stellantis visant à garder dans l’Hexagone l’industrialisation de produits électriques à « haute valeur ajoutée » font espérer des dégâts limités, elles restent insuffisantes pour sauver l’ensemble des emplois qui sont sur la sellette. Il en va de même des appels du gouvernement à maintenir en France les emplois à forte valeur ajoutée, ou encore des quelque 300 millions d’euros du fonds de soutien à la diversification des sous-traitants de la filière automobile (que se partagent déjà 81 entreprises).

 

La diversification n’est pourtant pas seulement l’accès à des activités qui permettraient aux sous-traitants dont le métier est déjà proche d e profiter des nouvelles opportunités offertes par l’électrification des véhicules, elle permettrait aussi dans ces cas-là d’effectuer des transferts de compétences d’une activité à l’autre et de sauver plusieurs milliers d’emplois.

 

Au-delà, elle pourrait fournir aux équipementiers les relais de croissance qu’ils recherchent à l’heure où leurs efforts pour atteindre une taille critique sont axés autour d’une seule idée : parvenir à financer une R&D indispensable pour rester les principaux créateurs de valeur dans l’automobile (voir article p. 8). Certains ont pourtant déjà pris le chemin de la diversification, comme Bosch Rodez, dont la ligne de fabrication d’injecteurs diesel fermera en 2023.

 

L’entreprise ne gardera que 500 de ses 1 250 salariés et lancera une nouvelle activité : l'assemblage de piles à combustible alimentant des moteurs à hydrogène de conteneurs frigorifiques (la phase d'industrialisation en série n'est attendue qu'à l'horizon 2025).

 

Environ 250 salariés y seront affectés, quand les 250 autres restants seront attachés aux équipements de moteurs diesel, comme les bougies de préchauffage du marché de la rechange, et aux produits pour les poids lourds. Valeo, de son côté, investit en précurseur les nouvelles mobilités et se fait un nom dans le vélo électrique, qui pourrait donner du travail aux fonderies, qui ne feraient plus de fonte mais de l’aluminium. Le tonnage nécessaire pour compenser les pertes découlant de l’arrêt des motorisations thermiques a cependant de quoi faire frémir.

 

Aujourd’hui, elles comptent parmi les sous-filières les plus à risque, qui tirent de l’automobile pas moins de 46 % (environ 9 milliards d’euros) de leur chiffre d’affaires. Un vide difficile à combler…

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