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24 / 01 / 2023 | 454 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Gestionnaire public : « Nous passons d’un système de responsabilité objectif et sans faute à un système subjectif pour faute grave » - Lionel Le Gall, Président de l'AMF

Dans le cadre des profonds bouleversements qui se mettent en place suite à la suppression du Cautionnement et de la Responsabilité Personnelle et Pécuniaire des comptables publics (RPP) et qui ont déjà été évoqués dans ces colonnes ces derniers mois, entretien avec Lionel Le Gall, Président de l'AMF (Assurance Mutuelle des Fonctionnaires)...

 

L’AMF a été créée initialement pour assurer la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics. Pouvez vous nous rappeler le contexte de sa création et sa complémentarité avec l’Association Française de Cautionnement Mutuel (AFCM) ?

 

Lionel Le Gall: L’AMF est l’assureur de référence du risque financier des gestionnaires publics et propose des couvertures adaptées aux risques professionnels des agents publics depuis plus de 85 ans. Elle a été créée en 1936 par l’AFCM. Les comptables publics de l’époque se sont dit : « certes avec le cautionnement mutuel nous garantissons l’Etat du risque financier mais l’AFCM une fois la caution versée à l’Etat se retournera contre le comptable pour en demander le remboursement, le comptable personnellement n’est pas garanti ». Nos anciens ont donc créé l’AMF, une société d’assurance mutualiste pour couvrir les comptables publics de la mise en jeu de leur RPP. Il apparaît clairement ici la complémentarité des deux organismes.

 

L’ordonnance du 23 mars 2022, en instaurant un régime unifié de responsabilité financière des gestionnaires publics (RGP) à compter du 1er janvier 2023, en lieu et place du régime de la responsabilité personnelle et pécuniaire va bouleverser profondément le système.

 

Lionel Le Gall: En effet, nous passons d’un système de responsabilité objectif et sans faute à un système subjectif pour faute grave. Cela modifie profondément la logique du régime. La RPP dont le fondement avait pour un objet une logique réparatrice du préjudice cède la place à une logique répressive. Avec un système fondé uniquement sur la sanction, les pouvoirs publics ont estimé que le cautionnement des comptables publics ne se justifiait plus. A mon avis, l’absence de garantie fournie à la collectivité de la réparation du préjudice subi est l’angle mort de la réforme.


Dans ce régime dont l’emprunt au fonctionnement de la Cour de Discipline Budgétaire et Financière (CDBF) est manifeste, ce n’est plus le compte qui est jugé mais le gestionnaire public. Il n’incombera plus au gestionnaire public de rétablir la ligne de compte, mais il sera condamné à une amende pouvant aller jusqu’à 6 mois de rémunération s’il est prouvé qu’il aura commis une faute grave.


La notion de faute implique que la responsabilité de chacun soit recherché, contrairement à la RPP dont la responsabilité était une et indivisible (seul le comptable pouvait être mis en débet), la responsabilité devant la 7è chambre de la Cour des comptes se partagera entre les différents acteurs intervenu sur l’objet de l’infraction au droit public financier. C’est pourquoi notre contrat sera également ouvert aux agents de catégorie C et B .

 

Dans ce nouveau contexte, l’offre de l’AMF devra nécessairement s’adapter. Comment voyez-vous les choses ? Quelles sont les adaptations envisagées ?


Lionel Le Gall: Quel peut être le rôle de l’assurance dans un système où la sanction (l’amende) n’est pas assurable ? D'abord en matière de protection juridique. En effet, assis sur une vision répressive de l’action des gestionnaires publics, quasi-pénale pourrait-on dire, l’amende prononcée par le juge des comptes, sanction d’ordre public, ne sera ni rémissible, ni assurable. Toutefois ce régime en déjuridictionnalisant les erreurs qui seront traitées par le biais des sanctions managériales, va judiciariser la responsabilité financière. Autrefois, devant le juge des comptes il y avait rarement un intérêt à prendre un avocat. Le contrôle est plutôt formel (manque la pièce justificative) existence de mécanismes régulateur enfin la faute des tiers ne pouvait atténuer la responsabilité des comptables.

 

Ce n’est plus le cas dans ce nouveau système et comme il n’y a pas moyen d’atténuer les effets de la sanction (remises gracieuses, assurance), il faut minimiser cette sanction voire essayer d’obtenir la relaxe. La procédure est quasi-pénale, il y a nécessité de prendre un avocat, s’entraîner pour l’audience et essayer de faire apparaître les responsabilités de chacun. Il s’agit d’avocats spécialisés, la procédure est longue et coûteuse. Il peut y avoir l’appel, la cassation, une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Nous allons prévoir une garantie qui ira jusqu’à 70 000 €. Je précise que nous avons un réseau d’avocats que nous mettrons à disposition de nos sociétaires.

 

Certains indiquent que la protection fonctionnelle pourra être activée. Est-ce le cas ?

 

Lionel Le Gall: Selon l’article 11 de la loi de 1983 qui organise cette protection fonctionnelle il est écrit ceci : « la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire (…) dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de fait qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle. Nous serons rarement dans le cas d’une faute personnelle détachable du service mais la protection fonctionnelle ne jouera pas pour autant car devant la Cour des comptes, il ne s’agit pas de poursuites pénales. D’ailleurs, un rapporteur public dans une affaire en 2007 devant le Conseil Etat a développé un argumentaire sur l’inapplicabilité de la protection fonctionnelle aux fonctionnaires poursuivi devant la Cour des comptes.

 

Son octroi, non prévu par les textes serait un acte illicite qui peut être qualifié au mieux d’avantage injustifié octroyé à autrui passible de sanctions devant la 7ème chambre de la Cour des Comptes, voire de détournement de fonds publics. La cour de cassation dans une décision du 22 février 2012 a estimé que l’octroi à tort de la protection fonctionnelle était assimilable à un détournement de fonds publics. Il y a donc une insécurité juridique pour celui qui sollicite la protection fonctionnelle pour se la voir accorder mais surtout pour celui qui l’octroi et celui qui la paye. Je rappelle qu’une délibération ne couvre pas la qualification de complicité d’un délit.

 

Quid des pertes pécuniaires ?


Lionel Le Gall: Nous ne garantissons pas l’amende, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution nous l’a rappelé en avril lorsque nous l’avons rencontré pour exposer le produit d’assurance que nous allions créer. Il faut savoir relativiser ce n’est pas l’amende qui revient le plus cher dans ce type de procédure. Le montant moyen des amendes prononcées devant la CDBF est de 1700 € bien que le maximum prononçable devant cette juridiction est d’un an de traitement.

 

Par contre ce qui peut coûter cher se sont les frais de procédure (déplacements, nuitées hôtel etc…) pour se défendre que nous prendrons en charge ainsi que les sanctions managériales consécutives à la sanction de la Cour. Exemple : baisses de primes, fin de détachement, fin de détachement sur emploi fonctionnel, mutations avec prise en charge des frais de déménagement. Par ailleurs et cela est unique sur le marché nous rembourserons la valeur des jours de congés pris et posés pour se défendre à leur valeur réelle.

 

Quelles conséquences en matière de responsabilité civile ?

 

Lionel Le Gall: Normalement la collectivité doit prendre en charge le préjudice causé par son agent public mais il y a des différences de traitement entre comptable de l’Etat et agents comptables/ordonnateurs (art 32 de l’ordonnance). Il y a également énormément d’inconnu sur l’action récursoire. Dans quelles conditions la collectivité peut se retourner contre son agent pour demander réparation ? Précisément nous ne le savons pas en l'état et donc nous interviendrons dans ce domaine.

 

Je précise que nous allons proposer un contrat spécifique pour les régisseurs qui garantira uniquement cette responsabilité civile et cette action récursoire, dans les cas de déficit de caisse, vol, faux virement. Cela permettra également au régisseur de se prémunir contre la sanction managériale.

 

Nous complétons la responsabilité civile pour la faire fonctionner conformément à l’article L 131-19 al 2 de l’ordonnance. Cet article prévoit qu’en cas de réparation du dommage causé par le justiciable, le juge pourra accorder une dispense de peine.

 

Et enfin sur l’assistance psychologique
 

Lionel Le Gall: Comme la procédure peut s’avérer traumatisante, nous prévoyons la mise en œuvre d’une assistance avec des consultations psychologiques. C'est l'ensemble des évolutions que nous avons intégré et qui est proposé  aux gestionnaires publics depuis le 15 novembre 2022.


Une petite précision, tout agent public était justiciable de la CDBF (Cour de Discipline Budgétaire et Financière). La 7ème de la Cour des Comptes, chambre qui succède à la CDBF à pour maximum de peine (6 mois de rémunération) ce qui est inférieur au maximum de la CDBF (1 an de traitement) Le principe de rétroactivité de la loi répressive plus douce s’applique. Donc cette année et les années suivantes, les intéressés pourront  être mis en cause pour des faits remontant jusqu’à 5 années auparavant (délai de la prescription).


Pour ceux qui souhaiterons s’assurer en 2023 en souscrivant au nouveau contrat, l'AMF garantira  de manière rétroactive les actes commis antérieurement à la date de signature du contrat. Nous prenons ces engagements car l’AMF c’est avant tout une mutuelle et notre raison d’être c’est d’accompagner les agents publics dans l’assurance de leurs risques professionnels.

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