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28 / 12 / 2022 | 153 vues
Jean Gatel / Membre
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Le combat de l'Economie Sociale et Solidaire : refuser de venir en supplétif d’un néolibéralisme mortifère

Le sentiment qui prévaut en cette fin d’année est celui de l’inquiétude mêlée à de la sidération: plus personne n’est en mesure de prévoir comment la société humaine va vivre les prochaines décennies. Le mode de développement imposé depuis la révolution industrielle au monde entier par la colonisation militaire et économique est en train de révéler sa vraie nature pour ceux qui, aveugles, ne l’avaient pas vue.

 

Le capitalisme financier qui a exploité sans mesure les hommes et la planète est désormais confronté à des contradictions telles que personne ne sait ce qui peut se produire. Mu par la recherche du profit pour une infime minorité, ce système a eu pour seul pilote le productivisme. Le marché roi a investi toute l’humanité et toutes les sphères de l’activité humaine jusqu’à l’intime.

 

Trop occupés à jouir du moment présent dans le luxe et le pouvoir, les classes dirigeantes des pays dits riches ont oublié que toute activité humaine a des conséquences sur la nature et que l’on ne peut pas indéfiniment réduire certains peuples à un quasiservage et à des conditions de vie jugées inacceptables dans un monde devenu transparent.

 

La machine se grippe de partout : la moitié de l’humanité croule sous le règne des objets du Black Friday et l’autre moitié n’a pas le nécessaire.

 

La production de masse sous entendait énergie bon marché : elle ne l’est plus et durablement. La terre a été pillée, le climat transformé avec sa cohorte de catastrophes, de la rareté de l’eau à des migrations incontrôlables, mers et océans sont devenus des poubelles et la rupture entre l’humain et la nature engendre des pandémies répétitives. La mondialisation imposée par des multinationales, aidées par des traités de libre-échange léonins a mis la plupart des pays en situation de dépendance totale y compris pour l’approvisionnement alimentaire et les biens vitaux. Toutes les crises que nous subissons à une cadence de plus en plus rapide ne sont que les différentes facettes d’une crise systémique.

 

Le caractère inédit et dangereux de la situation actuelle nous amène à dépasser le dilemme révolution ou réforme qui a structuré le débat politique du XXe siècle. La voie révolutionnaire, en promettant le paradis pour le lendemain du grand soir, a dévalorisé toutes les initiatives de résistance avant de s’enfermer dans un dogmatisme qui a conduit au totalitarisme. La voie réformiste s’est contentée de gérer la redistribution entérinant ainsi une dépendance à la croissance marchande qui l’a ensuite réduite à un sociallibéralisme.

 

Un débat refondateur est donc nécessaire

 

Il importe pour nous, acteurs de l’économie sociale et solidaire, d’abord d’en prendre pleine conscience et de refuser de venir en supplétif d’un néolibéralisme mortifère.

 

L’histoire a tranché : l’économie sociale et solidaire (ESS) ne peut plus être de réparation.

 

Elle ne peut s’inscrire que dans la transformation et elle doit arrêter de se faire toute petite face à l’idéologie dominante. 40millions de budget pour 2023 sur un budget total de 480 milliards, ce chiffre montre bien le mépris dans lequel le président Macron et tout son gouvernement tiennent les 2,6M de salariés du secteur. Ils sont une véritable provocation que le pouvoir essaie de faire avaler à grand renfort de flatteries.

 

157 Milliards ont été versés en 2019 aux entreprises privées et les économistes néolibéraux continuent à assener que les entreprises de l’ESS seraient marginales et assistées ! Il faut crier haut et fort notre révolte !

 

La rupture indispensable doit aussi être dans les mots et les actes. Elle suppose de ne pas éluder les problèmes clefs. - Le premier réside dans la croyance qu’il suffit d’invoquer un vague « socialisme écologique » pour une « sociale écologie » tout aussi floue.


Ce n’est pas d’un nouveau slogan dont nous avons besoin mais d’un véritable travail de fond. Il existe deux sensibilités distinctes héritées de l’histoire et qui se sont souvent ignoré ou opposé dans le passé. Certes, des auteurs pionniers Theodor Adorno et Max Horkheimer jusqu’à André Gorz, ont mis en exergue le caractère intriqué des questions écologique et sociale.


Nous pouvons nous appuyer sur leurs apports et nous devons les confronter aux enseignements fournis par les initiatives citoyennes qui, de plus en plus nombreuses, essaient d’agir conjointement sur les deux dimensions.

 

Cela nous amène à revenir sur la tétanisation de la pensée engendrée par la place accordée à la croissance, exigence non questionnable. Il est temps d’ouvrir la discussion en se libérant de ce tabou. C’est pourquoi nous abordons dans nos ouvrages respectifs les thèmes de la décroissance et du bien vivre


Ainsi, dans la préface à Demain il sera trop tard ! Vincent Liegey écrit « le projet de décroissance est avant tout celui d’une refonte de la démocratie. Il s’agit d’inventer, d’expérimenter de nouvelles manières d’être, de questionner nos besoins et la manière dont nous y répondons. Il s’agit de se réapproprier le sens que nous donnons à nos activités ».


Dans La fabrique de l’émancipation, c’est le concept de bien vivre qui est mis en avant. Il a été mobilisé en Amérique du Sud pour désigner un système économique qui préserve quatre équilibres : « l’équilibre des êtres humains en tant que personnes, entre être humains, des êtres humains avec la nature, entre les communautés d’êtres humains ».

 

Autre problème fondamental, la propriété du capital.
 

L ‘ESS le pose depuis le XIXe siècle : il faut amplifier la prégnance de ce modèle d’entreprendre ensemble dans un but partagé, dans le respect de la démocratie interne, dans la lucrativité limitée. Le développement actuel des coopératives avec de nouvelles formules comme les sociétés coopératives d’intérêt collectif est important ; les associations continuent à répondre à des besoins nouveaux de la société civile et prouvent chaque jour qu’ elles sont un élément fondamental du lien social, malgré tous les obstacles représentés par les appel à projets, les contrôles permanents, les discours lénifiants sur l’impact social, les incitations à un management technocratique, la fiscalité inappropriée, la diminution des subventions.

 

Il nous faut donc continuer sans relâche à imposer ce modèle et par là même, lentement, éroder le système capitaliste actuel.

 

Toutefois, cette érosion ne peut s’accélérer que si l’ESS analyse les ambiguïtés qu’elle a elle-même entretenu. Elle a trop cédé au mimétisme vis-à-vis du système dominant.


Un regain de crédibilité passe par le fait de s’assumer comme alternative et de se faire plus entendre en tant que telle.


Comme le montre l‘ouvrage L’économie solidaire en mouvement, les initiatives qui concrétisent depuis quelques décennies la rencontre de l’économie sociale et du développement local se multiplient : dans les établissements et services pour les jeunes enfants et les personnes âgées, dans les circuits courts alimentaires, dans les énergies renouvelables, dans les ressourceries-recycleries, dans les régies de quartier, dans le commerce équitable, dans les mobilités douces, ...

 

L’ESS qui refuse le managérialisme, la standardisation et l’uniformisation peut porter avec plus de force ces solutions spécifiques. Cela veut aussi dire qu’elle ne peut se contenter d’assimiler propriété collective et gouvernance démocratique.

 

Les statuts fournissent un socle indéniable mais ils ne génèrent un fonctionnement réellement démocratique que s’ils sont prolongés par des opportunités délibératives et participatives, pour les salariés comme pour les usagers et bénévoles.

 

En somme, l’ESS n’est pas qu’un ensemble d’entreprises ; elle exprime une dynamique citoyenne visant à démocratiser l’économie.


En l’occurrence sa portée transformatrice est liée au renforcement des alliances et des propositions faites avec les collectivités locales, dans la logique de mutualisation déjà mise en œuvre par le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES).

 

L’enjeu pour la transition écologique solidaire est l’évènement d’une nouvelle génération d’action publique basée sur la coopération conflictuelle entre réseaux citoyens d’une part, pouvoirs publics d’autre part.

Malgré les difficultés qu’elle soulève cette co- construction est une condition pour échapper à la morgue technocratique et à la démagogie autoritaire. Elle représente une voie de réactivation de la démocratie par l’arrimage entre ses registres représentatif et participatif.

 

C’est pourquoi, l’ESS qui représente un espoir est indissociablement économique et politique. Les projets visant à changer la société par le haut ont échoué. C’est par l’innovation de terrain et l’appropriation citoyenne de l’économie qui nous pouvons relever les défis d’aujourd’hui. 

 

  • Réflexions menées avec  Jean-Louis Laville, sociologue.
  • A lire : 
    • Jean Gatel et Jean-Louis Laville Jean Gatel, 2022, Demain il sera trop tard ! Comment sortir de la crise systémique du capitalisme, Paris, Éditions Libre et solidaire Bruno Frère,
    • Jean-Louis Laville, 2022, La Fabrique de l’émancipation. Repenser la critique du capitalisme à partir des expériences démocratiques, écologiques, solidaires, Paris, Le Seuil
    • Josette Combes, JeanLouis Laville, Bruno Lasnier (coord.), 2022, L’économie solidaire en mouvement, Toulouse, Erès. De la Revue du Trombino
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