L’Assurance façon « Big Brother » implique la discrimination sociale
Les services publics comme les entreprises privées sont passés au « tout virtuel » ou presque. Certains y trouveront leur compte. Mais le tout n’est pas sans danger, pour les plus exclus du monde numérique comme pour le reste de la population.
Dans ce monde virtuel, les contribuables, les assurés, les usagers, les clients et autres sociétaires se voient attribuer des espaces de compte personnel au sein des sites internet des administrations et sociétés privées.
La relation humaine directe n’est plus la norme, que ce soit en présentiel ou par téléphone. Il est certain que de plus en plus de gens préfèrent régler achats et démarches administratives en quelques « clics », quitte à discuter avec un BOT… et tant pis pour les plus âgés ou les plus pauvres, étrangers à ce monde nouveau.
Le trésor qu’est la DATA
Mais ce faisant, des millions d’individus hyperconnectés, des peuples entiers « d’internautes » plus ou moins consentants, pris dans les entrelacs complexes de cette toile d’araignée planétaire si séduisante, y piègent pour toujours des bribes de leur vie, de leur intimité, de leur personnalité. Ces informations cruciales sont exploitées par les acteurs dominants du système économique mondial. La mise à disposition de nos DATA, cet or nouveau, devient un fait généralement accepté, banalisé, malgré les tentatives d’y mettre des bornes légales.
Interconnexion des espaces internet
L’interconnexion des services informatisés est déjà très avancée. Qui pourrait contester l’utilité de la relation directe entre notre compte ameli et notre mutuelle pour une fluidité remarquable du tiers-payant ?
A partir de ce consensus général, les autorités renforcent la présence du privé sur les plates-bandes de la Sécurité sociale que le gouvernement au service du capital veut détruire. La première tentative se nommait « Dossier Médical Partagé ». Il a échoué. Aujourd’hui, ce compte parallèle de collecte, de stockage et d’exploitation des données personnelles de santé, revient sous la forme du MES (Mon Espace Santé).
L’alibi est une amélioration du service, la réalité est bassement commerciale. D’ailleurs, la plateforme MES comporte un espace nommé le « store » (la boutique).
La Sécu, espace publicitaire des Assurances
Les assureurs pourront être visibles « sur le MES ». Le directeur de Swiss Life Prévoyance note qu’il « sera important pour un assureur santé d’être visible pour les assurés sur la plateforme, et les premiers présents profiteront sans doute d’une sorte de prime » (L’Argus de l’Assurance, avril 2022). Mieux encore, ils auront accès en temps réel aux données de leurs clients avec le pouvoir de proposer des services complémentaires en rapport immédiat avec les différentes situations, tout en maîtrisant le risque plus précisément évalué que jamais.
La directrice de la transformation chez Swiss Life France (L’Argus de l’Assurance, avril 2022) explique : « plutôt que d’envoyer simultanément à l’ensemble de nos assurés un courriel générique, nous pourrons prochainement, via le store, transmettre des informations plus pertinentes au bon moment… ». Elle omet d’exposer le vrai objectif pour ne parler que d’amélioration du service…
En résumé, les sociétaires de la Sécurité sociale deviennent les prospects permanents des assurances privées infiltrées en son coeur pour y faire leurs affaires. Elle devient un outil de vente des assurances, jusqu’au jour où, peut-être, si l’on n’y prend garde, elles l’auront totalement supplantée.
Les objets connectés changent la donne
Les données individuelles sont donc une manne dont nous faisons cadeau à ceux qui les exploitent. Mais avec les objets connectés, une nouvelle étape est franchie. Leur utilisation, notamment par les pouvoirs publics ou les assureurs, pourrait conduire les citoyens à accepter, voire à réclamer eux-mêmes, un « monitoring » permanent, supposément dans leur propre intérêt !
Et rien n’empêche d’imaginer que les informations remontées par les objets connectés pourraient s’implémenter automatiquement sur la plateforme MES…
Entre dérive sécuritaire pour justifier le contrôle de la population par des autorités désavouées que le
spectre de l’insurrection terrifie, et la course aux profits des Assurances déterminées à éliminer « le risque » et dont le rôle sociétal est déterminant, l’exploitation des objets connectés est un sujet d’une extrême importance.
Selon l’étude 2017 Global Digital IQ Survey (1) les entreprises considèrent l’IoT comme la technologie la plus disruptive des cinq prochaines années.
L’individualisation du risque
Des spots publicitaires d’assureurs interrogent déjà la population : pourquoi payer pour les mauvais conducteurs ? Pourquoi payer pour ceux qui roulent plus, donc risquent plus ?
L’extrapolation est évidente...
Côté santé, pourquoi payer pour les fragiles, les fumeurs, les buveurs, les « mal-bouffeurs », les téméraires, les trop sédentaires, etc. ? Cette bascule vers l’individualisation du risque qui serait une promesse de baisse du coût des assurances pour les clients « responsables », implique un contrôle personnalisé, donc invasif, de ce risque. Mais les assureurs le présentent comme un outil de protection et de sécurité qui pourra sauver des vies.
En effet, les outils connectés permettraient de détecter les situations à risque et de déclencher des alertes ou des conseils personnalisés de la part de l’assurance.
C’est déjà ce qu’envisage Swiss Life Prévoyance. Les objets connectés sont le moyen de contrôle idéal et ils existent déjà :
- les systèmes embarqués des automobiles pouvant transmettre les informations relatives aux comportements du conducteur en plus de pouvoir le géolocaliser et lui envoyer un dépanneur ;
- la domotique et autres téléalarmes au domicile des particuliers capables d’analyser la salubrité d’un logement ou les risques d’accidents domestiques ;
- les montres et les smartphones transmettant les données physiologiques et monitorant les activités physiques…
Lorsque ces objets seront devenus des outils quotidiens et banalisés, il semble évident que les réfractaires représenteront un risque assuranciel inacceptable par comparaison avec les assurés monitorés au jour le jour.
La baisse des prix pour les personnes connectées se reportera sur les non connectés qui, à terme, n’auront plus les moyens de refuser le contrôle. Les « non connectés », soupçonnés de dissimulation et donc de représenter un danger plus grand pour eux-mêmes ou les autres, ne pourront plus s’assurer ou à un prix prohibitif.
Mais les « monitorés » seront-il mieux assurés pour autant ?
En réalité, chaque prise de risque de l’assuré, chaque alerte (ou conseil) de santé ou de sécurité transmise par l’assurance et ignorée par l’assuré pourrait constituer un motif de refus de prise en charge ou d’augmentation de la prime d’assurance.
S’achemine- t-on vers une société aseptisée sous surveillance où l’on ne fait plus rien sans autorisation de peur de déclencher une alarme chez Big Brother ?
La résistance commence par les salariés de l’Assurance
La transmission, le stockage, l’analyse et l’exploitation automatisés des données, appuyés par l’intelligence artificielle, impliquent, à terme, des suppressions d’emplois importantes. Mais au-delà de la problématique de l’emploi, les salariés de l’assurance et leurs représentants FO vont être aux premières loges pour observer le développement et les possibles dérives de l’individualisation des risques en relation avec les nouvelles technologies. La résistance peut et doit commencer au sein des Assurances. Il faut nous préparer à ce nouveau défi, un tournant majeur dans les métiers de l’Assurance et, plus largement, un bouleversement de notre civilisation.
[1] https://www.pwc.com/us/en/advisory-services/digital-iq/assets/pwc-digital-iq-report.pdf