La gestion comptable hospitalière publique est-elle menacée ?
La gestion comptable hospitalière publique est-elle menacée ? Voilà une question importante au regard du processus de réforme engagé il y a des mois par la Direction générale des finances publiques dans l'ensemble de ses secteurs d'activité. Le secteur hospitalier n'y échappe pas. En effet, depuis 2017 et en plus du nouveau réseau de proximité (NRP) et de la logique des groupements hospitaliers de territoires (GHT), que n'avons-nous pas enduré ?
- La tentative heureusement avortée d’agences comptables en secteur local et hospitalier dans le cadre du PLF 2019 (mais nous devons rester sur nos gardes contre toute velléité nouvelle) ;
- La montée en charge de la certification d’hôpitaux les plus importants par des opérateurs privés qui se paient grassement sur la bête.
Ce qui nous mène à aussi parler de l’externalisation toujours tentante dans le monde hospitalier de pans entiers de missions avec, par exemple, de plus en plus d’offres de services de relance spécifiquement dédiées aux impayés médicaux. Or, la DGFIP réagit-elle à ces attaques et défend-elle ses comptables ? On peut se poser la question.
D'autant que la DGFIP n’est pas à l’abri d’une loi (comme la loi ELAN applicable depuis le 1er janvier 2021 pour les offices publics de l'habitat (OPH) qui prévoirait le passage obligatoire en comptabilité commerciale de l’ensemble du secteur comptable de la santé.
Nous aimerions de véritables assurances sur le maintien des hôpitaux dans le giron public mais comment pourrions-nous encore croire une administration qui réduit ses implantations comptables de plus de 50 % en l’espace de seulement quatre ans et qui dégraisse son réseau spécialisé en passant de 658 trésoreries du secteur public local gérant des hôpitaux en 2017 à 156 trésoreries hospitalières en cible NRP 2023 ?
À cet égard, le groupe de travail auquel nous avons été conviés il y a quelques semaines sur l’activité du secteur hospitalier (particulièrement sur les trésoreries gérant des établissements publics de santé (EPS) n'est pas de nature à nous rassurer... Le moins que l’on puisse dire est que ce groupe de travail était fort attendu (aucune réunion depuis novembre 2017), tant ce secteur d’activité est à l'évidence délaissé dans les agendas au plan national.
Points à l’ordre du jour :
- « la rénovation de l’animation du réseau des comptables hospitaliers » ;
- « le rôle du comptable public dans la lutte contre les dérives de l’intérim médical » ;
- « le déploiement du dispositif remboursement des organismes complémentaires (ROC) ».
Pour autant, des sujets tels que la certification, la « DFTisation »(*), les flux des mutuelles ou encore les difficultés qu’ont d’importantes trésoreries hospitalières à avoir des extractions informatiques exploitables auraient du aussi avoir leur place lors de nos échanges avec la direction.
Notre syndicat est d'emblée revenu sur la sidération des comptables publics face aux dispositions de la loi sur le « mercenariat » médical et l’impréparation manifeste de ses dispositions. Nous avons aussi profité de la tribune qui nous était offerte pour, une fois de plus, dénoncer les dangers de la réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics qui sonne l’arrêt de mort de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables (RPP).
Dans ses réponses, le président de séance y a été de son couplet compassionnel envers le personnel des trésoreries hospitalières dont « la mobilisation a été essentielle » et de laquelle on peut avoir une « certaine fierté collective » avec des trains de paye assurés pendant toute la crise sanitaire. Il reconnaît que ce sont davantage les agences régionales de santé (ARS) qui ont été la cible de critiques durant cette période. Ayant vu leurs effectifs fondre d’année en année, les agents ont été écrêtés et beaucoup ont vu la « prime covid » leur passer sous leur nez, sur fond de départementalisation des trésoreries hospitalières ; ils apprécieront.
Sur le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics réputé remplacer la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics (RPP) et en réponse à nos critiques sur la forme et sur le fond, le président nous affirme que « quelqu’un qui suit les lignes ne devra pas être inquiété » et que tout sera prévu concernant les ordonnances. Bref, de quoi nous inquiétons-nous ?
On peut se le demander, compte tenu de la manière dont ce dossier a été dévoilé, sans pratiquement aucune concertation sérieuse. En effet, sur ce dossier comme sur beaucoup d'autres, de véritables échanges ouverts sans à priori avec des comptables publics, experts d’organisations syndicales n’auraient peut-être pas été inutiles lors des discussions menées bien en amont de cette annonce de suppression de la RPP, en septembre. Ces échanges auraient pu mener un autre point de vue et d’autres perspectives pour une RPP dont l’arrêt de mort aura été signé un soir de novembre 2021 en 23 mn à l’Assemblée nationale.
Face aux critiques des organisations syndicales sur la place que la loi contre les dérives de l’interim médical confère au comptable public et sur des consignes de la DGFIP arrivées tardivement, cette dernière se justifie de nombreuses discussions entre elle et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et rappelle qu’elle ne peut s’opposer au législateur. Des précisions chiffrées ont suivi sur la montée en charge du dispositif « débit intervenant après le parcours de soins (DIAPASON) qui permet au patient, avant sa sortie de l’hôpital, d’insérer sa carte bancaire dans un TPE pour générer une autorisation de débit ultérieure sur son compte pour laquelle il donnera ou non son accord lorsque le reste à charge définitif sera connu.
Au 1er janvier 2020, ce dispositif a donc généré en cumulé 567 000 paiements pour 26 millions d'euros ; la projection 2021 est de 350 à 400 000 paiements pour 15 millions d'euros. Quant à l’application HERA (faciliter le traitement des virements bancaires décrits dans le compas d’un poste comptable gérant au moins un EPS), la DGFIP va la moderniser, d’où une suspension de son déploiement en 2021. Une évolution d’HELIOS est en développement pour intégrer les fonctionnalités d’HERA au profit de l’ensemble des trésoreries.
Les risques de la loi Rist (*)
Devant la pression syndicale, l’administration accepte d’aborder les conséquences de l’article 33 de la loi du 26 avril 2021 codifiée à l’article L.6146-4 du Code de la santé publique (dite aussi « loi Rist » du nom de la députée rapporteur de la loi), qui a fait couler beaucoup d’encre parmi les comptables hospitaliers.
De quoi parle-t-on ?
Il s’agit d’une loi contre les dérives de l’intérim médical, prévoyant de plafonner la rémunération des médecins intérimaires à environ 900 euros nets pour 24 heures, là où certains praticiens (qualifiés de « mercenaires ») peuvent obtenir jusqu’à 3 000 euros pour 24 heures.
Nous ne pouvons qu’approuver cette loi qui part d’un bon sentiment en encadrant les pratiques de l’intérim médical. En effet, à titre d’exemple, le service des urgences de l’hôpital d’Arles fonctionne avec 40 % d’intérimaires et ce cas n’est pas isolé. En Bretagne, l’intérim médical représente 30 % des dépenses de personnel médical.
Un rôle de censeur inhabituel
Là où le bât blesse, c’est que l’article 33 de cette loi oblige le comptable public à un contrôle de légalité interne a priori sur les prestations d’intérim médical et les contrats de gré à gré conclus entre un hôpital et un praticien. Ce faisant, le comptable public devra rejeter les paies illégales qui dépasseraient les plafonds réglementaires. Ce dernier joue désormais un rôle de censeur qui n’est habituellement pas le sien puisque le comptable n’est pas juge de la légalité des actes.
Notre syndicat a tenu à se faire le porte-parole des comptables hospitaliers décontenancés par ce type de contrôle hors décret GBCP (décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique) du 7 novembre 2012 qu’ils devaient, dixit la loi, mettre en œuvre dès le 28 octobre et sans consignes d’application claires du ministère, ni de la direction générale. Il a fallu attendre le communiqué de presse d’Olivier Véran du 21 octobre reportant la stricte application de la réforme à une date « dès que possible en 2022 », expression reprise dans une lettre conjointe des ministres Olivier Dussopt et Olivier Véran du 26 octobre à la destination de la DGFIP et de la DGOS.
Nous avons vivement réagi à cette formule qui permettra, dans l’absolu, de lancer cette réforme dès le 2 janvier 2022 ou tout au long de l’année prochaine ; de quoi amener du zen parmi les collègues des trésoreries hospitalières.
Autres points de difficultés
- Exercice exhaustif du contrôle a priori compliqué, compte tenu du délai extrêmement court entre la réception de la paie et sa mise en paiement, d’autant plus qu’il est souvent impossible techniquement de faire un train de paie différent pour ces praticiens.
- Temps très court pour repérer ces paies dans XEMELIOS et pour obtenir les pièces jointes associées (contrat-tableau de service pour le nombre d’heures etc.) afin de vérifier la liquidation et le respect du plafond car, actuellement, les comptables disposent rarement de l’exhaustivité des pièces jointes permettant ce contrôle.
- Quid du respect des contrats en cours ? Certains intérims se déroulent sur plusieurs mois et des collègues ont déjà commencé de payer.
- Comment absorber cette charge de travail supplémentaire dans un contexte de NRP couplé à la nécessité de caler en cible les trésoreries sur le périmètre des GHT ?
- Quelle responsabilité du comptable en cas de manquement qui serait hors champ du décret GBCP du 7 novembre 2012 ?
Loin de répondre à toutes nos questions, l’administration a quand même précisé que les contrôles ne seront pas exhaustifs. Une circulaire conjointe DGOS/DGFIP comportant la mention projet va être assez rapidement diffusée, de même qu’une note expliquant de manière précise comment les contrôles doivent faits par les trésoreries.
Une charge nouvelle sans moyen supplémentaire
Le président a noté avec intérêt la proposition de notre syndicat de prendre l’attache de l’École de la santé publique afin que ses enseignants en RH-personnel médical puissent intervenir dans le cadre d’un dispositif de formation dispensé au profit des collègues des trésoreries qui auront à faire ces contrôles. Le président reconnaît enfin que c’est bien une charge nouvelle pour les postes hospitaliers.
Selon l’administration, il faudra une nouvelle approche des contrôles, donc des nouveaux contrôles et une foire aux questions est déjà prévue à cet effet. Il n’en demeure pas moins que, là comme ailleurs, plus de contrôles, moins de personnel, voilà l’ambition portée par notre direction générale.
Une animation à parfaire
La fiche sur la « rénovation de l’animation du réseau des comptables hospitaliers » a été l’occasion de rappeler l’existant : l’organisation du pilotage du réseau en centrale qui repose sur une approche fonctionnelle et pas « usagers ». Il n’y a ainsi pas de service consacré aux établissements publics de santé, strictement parlant.
La même approche existe au niveau local dans les divisions SPL. Pour la DGFIP, plus que le soutien technique au réseau, c’est le dispositif d’animation et de communication qui est à parfaire. Afin de promouvoir l’offre de service de la DGFIP vis à-vis des EPS, un document unique annuel conjoint DGFIP/DGOS sera élaboré afin de présenter la palette complète des besoins et prestations entre ordonnateurs et comptables, s’inscrivant dans un chantier de modernisation et d’axes prioritaires. Des flash d’actualité EPS vont être rapidement créés, une rubrique Ulysse consacrée à l’hospitalier et des webinaires périodiques seront lancés.
Sur le plan de l’appui technique des DR/DDFIP, comme les trésoreries spécialisées hospitalières sont quasiment toutes départementales, on peut légitimement se demander quel appui les directions pourront apporter aux comptables hospitaliers autrement que sur les outils (HELIOS, par exemple).
Sur le juridique, il est peu probable qu’une personne en direction qui travaille sur l’hospitalier quelques jours par an en saura plus que le comptable qui y est tous les jours.
Rappelons que, depuis le début du nouveau réseau de proximité, la DGFIP a toujours dit que les hôpitaux sont hors de la réforme dissociant conseil et gestion et ne disposent donc pas de conseiller aux décideurs locaux (pour information, c'est le métier de conseil créé dans le cadre du nouveau réseau de proximité et qui mène à une dissociation conseil/gestion aberrante) le comptable du poste, lui, n'en faisant plus.
Le rapport d’audit de septembre 2021 de la mission des risques d'audits (MRA), structure d'audit en administration centrale, qui intervient sur des thématiques précises, souvent sur ordre du DG, sur l’animation des comptables hospitaliers par la DGFIP, précise que dans les postes « mono-ordonnateur » à forts enjeux (Hospices civils de Lyon et AP-HP, par exemple ), « le rôle du comptable comme point d’entrée unique de l’offre de conseil est à préserver afin de conforter son positionnement vis-à-vis de l’ordonnateur ».
Quelques lignes plus haut dans ce rapport, la MRA écrit que l’on pourrait « circonscrire leur mise en place (de CDL) à des trésoreries hospitalières gérant plusieurs EPS ».
À l'évidence, le problème du périmètre se pose avec d’un coté des trésoreries hospitalières spécialisées et, de l’autre, des GHT qui sont parfois supra-départementaux.
Actuellement, il y a 137 trésoreries spécialisées en EPS et la projection cible du nouveau réseau de proximité en 2023 en prévoit 156. Pour mémoire, 658 trésoreries gérant des hôpitaux étaient implantées en 2017.
Autant dire que la concentration n’est pas terminée en continuant d’enlever des EPS souvent locaux (« hôpital local ») ou plus importants rattachés à des trésoreries de secteur public local pour constituer de grosses structures d'EPS en mode NRP.
En d’autres termes, la cible d’un comptable par GHT est-elle toujours d’actualité ? Nous avons aussi réitéré notre besoin d’un retour d’expérience sur les postes départementaux spécialisés « hébergés » et insisté (voir liminaire) sur le problème de gestion par les SGC d’hébergés au titre d’EHPAD M22 budgets annexes ou non de CCAS. Enfin, nous avons fait l’écho des collègues déplorant le manque de communication avec les agences régionales de santé et les CPAM.
Le sujet concernant déploiement du dispositif remboursement des organismes complémentaires n’a pas généré de commentaires particuliers.
Les participants ont tous reconnu l’avancée positive que le dispositif ROC permettra, lequel est actuellement expérimenté dans quelques trésoreries. Il simplifie et sécurise le tiers-payant sur la part complémentaire entre les établissements de santé et les complémentaires de santé en faisant converger l’ensemble des acteurs vers un format national unique d’échange et des processus unifiés. Il permet d’automatiser les échanges entre l’établissement de santé, les organismes complémentaires et les trésoreries hospitalières chargées du recouvrement des créances.
Au sortir de ce groupe de travail et malgré le calme affiché par l’administration, les quelques informations glanées ici et là ne sont pas franchement de nature à rassurer les collègues hospitaliers.
Ils devront continuer de faire avec la continuation de la massification des structures où GHT et NRP font bon ménage, du travail supplémentaire hors de notre périmètre traditionnel sans moyens supplémentaires alloués et une application « HELIOS » qui atteint quelques fois ses limites sur des EPS de très grande taille.