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08 / 04 / 2021 | 814 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Iceberg

Départs individuels non remplacés : comment peser sur la face cachée des restructurations permanentes ?

Le 5 mars dernier, Miroir Social et Tandem Expertise organisaient un direct sur les conditions d’une meilleure régulation des micro-restructurations permanentes en œuvre dans de nombreuses entreprises et se déroulant sans information-consultation des CSE. Un cocktail explosif.



 

« Le besoin de vigilance des élus sur les réorganisations rampantes s’impose d’autant plus que les projecteurs sont aujourd’hui braqués sur les restructurations collectives (PSE, PDV, RCC, APC...) particulièrement médiatiques alors que ces dernières ne constituent que la partie émergée de l’iceberg des suppressions de postes et des inscriptions à Pôle Emploi. Le cocktail est particulièrement explosif à l’heure de la réforme de l’assurance-chômage, surtout pour les externes que sont les intérimaires, les CDD, les apprentis et les prestataires », estime Julien Sportes, président du cabinet Tandem Expertise pour planter le décor. Ces micro-restructurations permanentes se déroulent sans information-consultation des CSE et représentent au final le gros des départs à base de licenciements, démissions, ruptures conventionnelles, départs à la retraite, non-reconductions des CDD et des contrats d'intérim… Tous ces départs individuels quotidiens de l’entreprise sont loin d’être toujours remplacés.

Données déphasées

En jouant sur le niveau de l’intérim, les directions assurent des reports de charge sur les permanents. Une variable d’ajustement dont les représentants du personnel des entreprises utilisatrices d’intérim sont en difficulté de suivre l’évolution au-delà des points trimestriels en CSE sur la situation de l’emploi. « Il y a un déphasage total car beaucoup de contrats d’intérim se gèrent au jour le jour dans les entreprises, sans compter que les directions reportent les données en équivalents temps plein, ce qui est, là encore, en décalage avec la réalité », explique Wahiba Kherzi, administratrice CGT au Fonds d’action sociale de l’intérim (FASTT), où elle est d’ailleurs la seule représentante des intérimaires (les autres syndicats étant représentés par des salariés permanents des grandes entreprises d’intérim). « Il est essentiel de pouvoir se coordonner entre représentants des intérimaires et ceux des salariés des entreprises utilisatrices. C’est la seule solution pour peser dans le rapport de force avec la direction », souligne Wahiba Kherzi en rappelant que c’est cette convergence qui avait amené à la requalification de 120 contrats d’intérim en poste en CDI sur un plateau d’appel de l’ex-GDF, il y a dix ans.

Le levier juridique de la réintégration

L’action juridique est un moyen de peser, comme SUD s’y emploie particulièrement chez Mobipel, ex-filiale d’Iliad (maison mère de Free), cédée à Comdata en 2018 alors que les effectifs avaient été réduits de 60 %, passant de 711 à 287 salariés entre 2014 et 2017 sans aucun PSE, essentiellement pour fautes graves. En octobre 2020, Iliad a été condamnée pour délit d’entrave sur la réalité de la réduction des effectifs mais la direction avait préalablement proposé un budget transactions en contrepartie de l’engagement des syndicats et du CE à ne pas porter un dossier de réintégration en justice. « La baisse des effectifs sur la base de départs individuels continue depuis que nous sommes passés dans le giron de Comdata. Mais contrairement à avant, nous sommes cette fois une majorité syndicale à vouloir aller en justice pour demander la réintégration », annonce Anousome Um, délégué syndical SUD de Mobipel qui insiste sur le besoin d’entretenir un lien régulier avec l’Inspection du travail pour que celle-ci cherche à y voir plus clair sur ces départs non économiques donc non soumis au seuil des 9 départs dans le mois qui ne seraient pas remplacés.

Conséquences sur la charge de travail

« Nous notons une augmentation des licenciements pour fautes mais c’est avant tout le non-remplacement des salariés partant à la retraite qui permet pour le moment aux directions des établissements de réduire les effectifs au-delà des plans de départs volontaires. Il nous est très difficile de mesurer les conséquences de ces départs non remplacés sur la charge de travail de ceux qui restent, tant la polyvalence est poussée à l’extrême, notamment dans les agences », explique Frédéric Guyonnet, président du SNB CFE-CGC. Résultat des courses : il est quasiment impossible de faire le lien entre les transferts de charges liés aux départs individuels non remplacés et les réorganisations des services faisant l’objet d’une information-consultation en CSE.

Ne pas louper des changements structurels

Selon Julien Sportes, « il ne faut pas se contenter des points trimestriels sur l’emploi mais, au contraire, se montrer très insistant pour obtenir des informations sur les conditions des départs et des non-renouvellement de contrats des externes que sont les intérimaires, les indépendants, les CDD et les apprentis. Mettre en place une commission dédiée à leur suivi aurait du sens pour mieux appréhender  les conséquences de ces micro-restructurations permanentes sur la santé au travail ». Le manque de moyens des représentants des salariés pour suivre l’évolution des effectifs au fil des semaines se révèle d’autant plus quand les implantations de l’entreprise sont dispersées. La BDES devrait être le support de base mais, au mieux, elles sont mises à jour trimestriellement. « En définitive, il faudrait que les élus invitent les salariés à répondre à un questionnaire sur l’évolution de leur charge de travail après des départs non remplacés dans l’équipe », suggère Annie Jolivet, chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail du CNAM, qui ajoute : « les changements structurels à l’œuvre se trouvent masqués par la somme de ces départs qui échappent à un cadre de régulation collectif. Le cas du secteur bancaire en est une illustration ». Et Frédéric Guyonnet de conclure : « Il y a une destruction d’emploi grâce notamment à la pyramide des âges favorable du secteur mais la marge de manœuvre des départs à la retraite est en train de se réduire ».