Organisations
Comment anticiper et réagir face à une restructuration ?
Face à une très violente crise économique, touchant tous les secteurs et toutes les régions, suite à de nombreuses et récentes évolutions législatives, les entreprises disposent aujourd'hui de plusieurs outils pour faire face aux difficultés économiques, ce qui mène certaines à mixer les dispositifs. D’où la nécessité pour les représentants du personnel de s’inscrire dans une dynamique visant à mieux faire entendre le point de vue des salariés, notamment par la négociation, bien en amont, avant même la présentation du projet. Ce qui nécessite de disposer de toutes les informations pour comprendre et analyser la situation de l’entreprise et de ses marchés en vue de proposer des alternatives, de se former à tout l’arsenal existant et, si besoin, de se faire accompagner. « Face à une restructuration, il est essentiel de prendre le temps du diagnostic et de la recherche d’alternatives économiques, industrielles et sociales. Cette recherche doit précéder les discussions sur l’accompagnement social. Ce temps nécessite une bonne connaissance des dispositifs à la main de la direction, d’autant plus aujourd’hui qu’ils sont si variés », constate Luc Bérard de Malavas, jursite et expert de Secafi. Une direction sera d’autant plus disposée à prendre les propositions alternatives en compte que celles-ci sont présentées tôt dans le projet, avant que celui-ci ne soit totalement finalisé.
Dès cette phase, le rôle des représentants du personnel et des organisations syndicales sera majeur en vue de finalement concourir à la préservation de l’emploi, du pouvoir d’achat et des conditions de travail des salariés. « Pour ce faire, face au projet ou au pré-projet de restructuration de la direction, les élus du CSE doivent être en mesure de se forger leur propre diagnostic de l’entreprise. Car ce diagnostic est la base sur laquelle bâtir des propositions alternatives. Plus ces propositions alternatives interviennent tôt dans les échanges avec la direction, plus elles auront de chance de faire bouger les lignes et d‘influer sur le projet », poursuit Mathieu Vermel, expert de Secafi. « Le maître-mot est bien celui de l’anticipation pour pouvoir peser sur le projet de la direction », complète Florence Krivine, juriste et experte de Secafi. Cela passe par un diagnostic complet de la situation de l’entreprise et de ses problématiques, selon 5 axes : situation financière, stratégie, politique sociale, emploi et compétences, vision du marché et choix organisationnels (cf. schéma).
Ce diagnostic a pour but d’identifier des marges de manœuvre, où qu’elles soient : « avoir une vue plus précise de ces marges de manœuvre, c’est pouvoir ensuite identifier des alternatives sérieuses et les soumettre à discussion avec la direction », souligne Mathieu Vermel. À quels moments solliciter ce diagnostic ? Plusieurs cas sont possibles. Sans attendre l’annonce d’un projet explicite de restructuration, les représentants du personnel peuvent s’appuyer sur l’une des trois informations-consultations annuelles issues de la loi dite Rebsamen, qu’ils peuvent coupler avec un recours à expertise, cette dernière étant financée par l’entreprise à 100 % si elle porte sur sa situation économique et financière ou sur la politique sociale, l’emploi et les conditions de travail. Mais, dans d’autres situations, il sera trop tard : en cas de faits de nature préoccupante, le droit d’alerte économique est une prérogative du CSE, lui permettant d’être accompagné par un expert. Dans tous les cas, selon Luc Bérard de Malavas, « dès lors qu’un projet de restructuration est soumis au CSE, il importe de le défier selon les cinq dimensions du diagnostic, méthode la plus efficace selon nous pour le confronter à une autre réalité possible, grâce aux chiffres et aux données objectives dudit diagnostic, et de se faire accompagner par un expert, dans les cas prévus au Code du travail ». Mais quels cas ? Il existe maintenant six formes principales de réorganisation (cf. schéma), avec des visées différentes : maintenir l’emploi ou encadrer les ruptures de contrats de travail. Ces « nouvelles formes » de réorganisation sont, outre le PSE et le PDV, l’APC, l’APLD, la RCC et la GPEC, avec congé de mobilité qui peuvent être mises en place dans le cadre d’un accord majoritaire.
« Le dialogue social et la négociation ont un rôle essentiel sur la détermination des modalités les plus adaptées de ces restructurations, sur la limitation de leurs conséquences pour les salariés ainsi que sur l’obtention de contreparties suffisantes de la part des directions des entreprises et des actionnaires », constate Mathieu Vermel. Aux représentants du personnel, en fonction des caractéristiques de leur entreprise, de poser les questions qui s’imposent : à quel horizon un retour au niveau d’avant-crise est-il anticipé ? Est-il tout simplement possible ? Fait-on uniquement face à une difficulté passagère ou bien à une transformation structurelle du secteur sur le plan technologique ou commercial ? Dispose-t-on de capacités « d’ajustement » moins brutales, telles que des départs en retraite ou des possibilités d’évolution et de développement des compétences ? « Tout doit être mis sur la table car le contexte mérite une transparence complète. Les représentants du personnel doivent tout passer au crible et se placer en situation de pouvoir négocier un accord qui aménage le calendrier et leur permette de disposer des moyens nécessaires à l’exercice de leurs prérogatives. Cela leur donne un rôle central dans les négociations à venir. Certes, le contexte sanitaire est exceptionnel mais, dès lors que la forme retenue de restructuration nécessite un accord majoritaire, les représentants du personnel ont les moyens de demander que les négociations de cet accord se fassent dans de bonnes conditions », souligne Luc Bérard de Malavas.
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