La programmation pluriannuelle de l'énergie n'est elle pas obsolète ?
En avril de cette année, le gouvernement a approuvé la programmation pluriannuelle de l’énergie. Mais compte tenu des répercussions économiques de la pandémie, on peut se demander si elle n’est pas obsolète avant de commencer.
Des voix s’élèvent dans ce sens ou plutôt dans des sens divergents : pour certains, cette crise doit être l’occasion de s’engager dans la voie d’une société plus sobre et plus verte ; sans mettre les objectifs fondamentaux en cause, d'autres veulent être plus économes dans les moyens.
La situation économique n’a pas de précédent car elle est causée par l’arrêt de toute activité réelle par une décision politique. L’ensemble du système fonctionnait, pas parfaitement sans doute, mais il tournait ; il s’est brutalement arrêté mais il fonctionne toujours. Les crises (celle de 1929 et d’autres) résultaient essentiellement de déséquilibres financiers plus ou moins bien corrigés par la suite. Les capacités de production existaient mais ne trouvaient pas à tourner.
Après la dernière guerre, il fallait au contraire reconstituer tout l’appareil de production, les capacités ne suffisaient pas à répondre aux besoins, d’ou les programmes d’investissement, notamment pour les services de base (énergie) mais ce n’est pas le problème du jour.
En 1968, le pays a été bloqué mais n'a pas été immobile et il y avait l'outil de l'inflation sur le plan financier. Les citoyens avaient envie d’avancer et la demande existait, les gens avaient envie de consommer et il n’y avait pas de secteur plus touché qu’un autre.
La crise actuelle cumule beaucoup de difficultés : tout le système physique est à l’arrêt et il va falloir que les secteurs arrivent à démarrer de façon harmonieuse. Les citoyens n’ont pas le moral et certains secteurs ne vont pas démarrer de suite (tourisme, aéronautique...) en partie pour des raisons sanitaires mais aussi parce que beaucoup ont perdu l’envie de voyager ou de consommer.
L’urgence est certainement de redonner confiance et les aides doivent apporter des effets rapides plutôt que des programmes à long terme aux effets lents, même si justifiés.
Pour éviter l’effondrement, le gouvernement et l’Europe annoncent des torrents financiers, dont la source est difficile à comprendre pour un profane. Certains moyens relèvent de mécanismes financiers (prêts garantis) pour éviter les problèmes de trésorerie et ne rentrent pas directement dans les comptes de l’État.
En revanche, la conjoncture et les aides annoncées propulsent le déficit budgétaire vers des sommets : au lieu d’environ 100 milliards prévus, les estimations actuelles se situent autour de 200 milliards. L’endettement a dépassé 100 % du PNB pour aller vers 120 %. Il ne faut pas oublier la Sécurité sociale mais ce n’est pas le budget de l’État proprement dit. Sauf à agir sur la TVA, les prélèvements fiscaux possibles ne sont pas à la hauteur du problème et peuvent être contraires au redémarrage de l’économie.
Avec l’euro, le gouvernement n’a plus la ≪ planche a billets ≫ à sa disposition, laquelle noyait le problème dans l’inflation. Il va donc falloir examiner les dépenses et, comme il y a une grande masse quasiment incompressible (même si c’est regrettable), il va falloir se pencher sur les programmes que l’État peut ralentir voire supprimer en essayant de préserver les objectifs fondamentaux.
Le budget de la transition écologique est l'un des plus importants, avec 31,2 milliards d’euros (dont 60 % pour l’énergie et le climat). Il est presque à la hauteur de celui des armées (37,5 milliards d’euros), bien supérieur à celui de l’enseignement supérieur (16,3 milliards d’euros) et encore plus de la justice (7,5 milliards d’euros). Tous ces secteurs sont pourtant aussi essentiels pour la société.
La transition énergétique n’a donc aucune chance ni aucune raison d’échapper à l’examen critique visant à préserver les objectifs avec le minimum de dépenses. La consommation d’énergie était déjà prévue en baisse dans la PPE ; la crise actuelle devrait plutôt accentuer cette tendance.
Quand un secteur est en baisse, on ne développe pas de capacités. Les investissements ne doivent normalement viser que les remplacements nécessités par la vétusté ou des améliorations économiques ou environnementales.
L’objectif fondamental de la politique énergétique est la neutralité carbone en 2050 et c’est le maintien de cet objectif qu’il faut préserver dans un examen critique des mesures prévues. Les aides au niveau de la demande n’appellent pas de remarques particulières, même si leur efficacité mériterait d’être examinée car, dans la foule des procédures, certaines sont plus efficaces que d’autres. Les moyens à mettre en œuvre sont nombreux mais d’importance réduite et relèvent d’une discussion budgétaire relativement classique.
En revanche, au niveau de la production, il y a une option fondamentale dans la PPE : le retrait du nucléaire jusqu’a la limite mythique des 50 % et le développement d’énergies renouvelables. Les sommes sont considérables puisque la PPE (en plus de 95 milliards d’euros déjà engagés) prévoit de 30 a 40 milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour la période 2018-2028.
Il faut ajouter les dépenses et pertes liées à la fermeture de centrales nucléaires qui pourraient poursuivre leur activité. La seule fermeture de Fessenheim représente plusieurs milliards d’euros pour la collectivité.
Le problème est que le bénéfice pour le climat dans une telle substitution est nul. Il est même négatif car les nouveaux investissements sont sources de gaz à effet de serre. Les effets de ces programmes sont à long terme et n’apportent sans doute que peu au rebond immédiat de l’activité générale.
Il serait donc raisonnable de réanimer la programmation avec deux idées principales : ne pas fermer ce qui peut fonctionner de façon rentable et ne pas faire d’investissements non nécessaires pour assurer l’approvisionnement du réseau et qui n’apportent rien dans le bilan CO2 car se substituant à une production décarbonée.
Pour sortir de la situation actuelle, il faut sans doute une certaine dose de rêve mais il faut aussi réalisme et rigueur et ne pas confondre objectifs et moyens. Finalement, dépenser utile.
- Réflexions publiées dans La Revue de l’Énergie, n° 650 de juin 2020.