Formation : a-t-on vraiment tout essayé ?
Beaucoup se souviennent encore ce mot du Président Mitterrand en 1993 concernant le chômage " en matière de lutte contre le chômage on a tout essayé". Depuis 20 ans maintenant la France tente vainement de réformer sa formation, relancer l'éducation des adultes. Quatre lois ont été votées, des centaines de rapports, livres blancs, enquêtes publiées et pourtant les compétences des Français régressent fortement dans un monde définitivement concurrentiel, exigent qui transforme l'éducation et la formation en actif ou en capital essentiel pour les individus, les organisations et les pays.
- En mars 2000 la France signa les attendus du sommet de Lisbonne visant à faire de l'Europe "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi..."
- En 2004 la France vota la loi pour la formation tout au long de la vie en introduisant un concept révolutionnaire mais incompris : le droit individuel à la formation permettant en théorie à chacun de se former 20 heures par an
- En 2009 une nouvelle loi tentait de rendre le Droit à la formation portable
- En 2014 il s'agissait via la troisième loi formation de sécuriser les emplois et de développer le dialogue social avec un successeur pour le Droit à la formation : le CPF, un compteur d'heures de formation transportable tout au long de la vie professionnelle
- En 2018 quatrième loi formation (pour la liberté de choisir son avenir professionnel) : les OPCA disparaissent, l'Etat reprend totalement en main la formation (France Compétence) les anciens dispositifs de formation sont transformés et le CPF est exprimé en euros, automatisé et " désintermédié"
Quatre lois formation qui n'auront servi à rien tant les blocages éducatifs sont installés
- La France et les Français ne sont plus au niveau des meilleurs économies mondiales. Pour l'éducation des adultes nous oscillons entre le 22e et le 25e rang des pays de l'OCDE,
- Une France fortement désindustrialisée, qui a tout misé sur son secteur tertiaire en estimant qu'il était plus économique d'importer les biens, services et produits que les autres pouvaient produire à bon compte,
- Des entreprises qui ont perdu l'essentiel de leur repères formation : plus de service formation (incorporé dans des RH noyés eux-mêmes dans le Code du Travail), plus de budget mutualisé (un système ancien, lourd et critiquable mais qui avait le mérite d'exister). Les cotisations qui ont été transformées en impôt formation pour les plus de 50 salariés et enfin une pénalité potentielle de 3 000 euros par salarié non formé à l'échéance du 31 décembre 2020
- Un système éducatif initial de plus en plus absent de la sphère professionnelle, qui tout en gardant très longtemps les jeunes sous son aile ne les prépare plus au monde du travail
Toutes les réformes de la formation partent de postulat faux, illusoires ou incantatoires
- La logique adéquationniste (ou mécaniste): de la formation découlerait l'emploi. Si un chômeur n'a pas de travail c'est parce qu'il n'a pas la bonne formation. Il suffirait de mettre en face de chaque chômeur la bonne formation pour résoudre le problème du chômage en France. Les plans 500 000 de F Hollande et le PIC d'E Macron ont tenté cette approche rationnelle (et simpliste) d'un chômage simplement conjoncturel
- La logique redistributive : la formation, tout comme les revenus, dépendrait d'une meilleure allocation des ressources. Certains seraient trop bien servis, d'autres ne disposeraient que des miettes. Au nom de cette redistribution on a désargenté les grandes entreprises (dès 50 salariés) pour financer la formation des PME et des chômeurs.
- La logique mélangiste : Sous le nouveau vocable de "compétences" on mélange tous les dossiers, les dispositifs, les bénéficiaires et les financeurs : la formation des chômeurs de longue durée, des jeunes sans qualification, des apprentis, des travailleurs en reconversion, des salariés devant développer leurs compétences... tout cela doit être mélangé et nivelé,
- La Logique comptable : La jaune budgétaire permettrait d'additionner toutes les dépenses formation (celle des chômeurs, des lycées professionnels, des fonctionnaires, des entreprises, de l'apprentissage, des rémunérations des stagiaires...). En additionnant le tout on disposerait d'une manne financière énorme, souvent détournée ou mal utilisée dont il suffirait de changer la répartition pour mettre à jour ce trésor caché (1% du PIB environ)
La formation dans le secteur privé ne dispose pas des moyens nécessaires à l'accompagnement de 20 millions de salariés
Deux députés (G. Cherpion et JP Gille) ont rapporté en 2016, que la formation des entreprises n'était ni un immense gâchis ni cette manne extraordinaire que certains dénonçaient : "La somme de 32 milliards d’euros que l’on présente souvent comme celle investie dans la formation professionnelle est une addition « de choux et de carottes ». Elle inclut par exemple la formation dispensée dans les lycées professionnels, les salaires d’un certain nombre d’enseignants, etc. Le montant des sommes investies par les entreprises dans la pure formation professionnelle représente environ 6 milliards d’euros. C’est sur cette somme qu’il faut travailler. Il reste des choses à faire mais la formation professionnelle n’est pas un immense gâchis"
300 € par an et par salarié pour entrer dans le monde incertain, complexe, concurrentiel du post-Covid
Il y a en France presque 20 millions de salariés et les 6 milliards d'euros pour 20 millions de "bénéficiaires" représentent donc 300 € par an et par personne.
Avec ces 6 milliards les entreprises de France sont censées
- Réaliser (et renouveler très régulièrement toutes les formations obligatoires (sécurité, hygiène, permis, habilitations, parité...),
- Payer les salaires des stagiaires se formant se déroulant sur le temps de travail
- Former tous leurs salariés avec le risque d'une pénalité de 3 000 € pour les seules entreprises de plus de 50 salariés,
- Reconvertir des centaines de milliers de travailleurs chaque année du fait de la crise, de l'automatisation, des restructurations,
- Mettre à niveau les 25 % de travailleurs insuffisamment qualifiés sur les compétences de base (français, calcul, informatique...)
Notre pays consacre 25 fois moins de fonds à la formation continue des salariés qu'à celle en éducation initiale
Si l'éducation initiale au sens large (y compris les facs et l'apprentissage) disposent d'environ 150 milliards d'euros par an pour 20 millions d'écoliers, apprentis, lycéens et étudiants les entreprises et les organismes de formation disposent quant à eux de 6 milliards pour le même nombre de bénéficiaires, soit 25 fois moins de fonds pour leur formation.
Depuis la première loi formation de 1971 la France a pratiqué le saupoudrage dans la formation des adultes
Ayant tout misé sur son école et l'éducation initiale (tout se jouant avant 20 ans) la France n'a jamais pris la mesure de ce qu'impliquait une "formation tout au long de la vie" (qui était pourtant l'intitulé d'une loi en 2004) : une autre répartition des dépenses éducatives du pays privilégiant les pratiques professionnelles, la formation en situation de travail, l'apprentissage permanent, l'entremêlement de la théorie et de la pratique professionnelle, la mise en avant du travail manuel, l'insertion de l'école dans le monde des entreprises...
Les faux semblants d'une formation élitiste et incapable de se généraliser aurait pu perdurer quelques années encore sans la crise du Covid-19
Quand peu après l'examen de la loi formation de 2018 le numéro 2 du ministère du travail déclara que le Compte Personnel de formation (CPF) visait au maximum (et d'ici 2022) à former 3 ou 4 % des salariés on comprenait que la réforme n'avait en fait ni les moyens ni même l'ambition de réhausser le niveau éducatif des travailleurs (tout au plus de former un peu plus de chômeurs et d'apprentis). La crise sanitaire (et désormais économique) de mars 2020 change totalement la donne : des millions de travailleurs vont être soutenus financièrement par l'Etat pendant 1 an ou 1 an 1/2 (jusqu'à fin 2021). Ces travailleurs ne pourront être mis sous cloche, les entreprises perfusées financièrement sans qu'une réelle et forte montée en compétences (notamment des 5 à 6 millions de travailleurs non qualifiés) soit rapidement mise en œuvre.
1) L'Etat doit tenir ses promesses financières : l'Etat (qui était le seul aux commandes pour la loi formation de 2018) a promis 500 € chaque année à 20 millions de travailleurs. Cela représente 10 milliards d'€ pour l'année 2019 et autant pour l'année 2020. Ces 20 milliards doivent être exemptés de TVA et accessibles dès la rentrée de septembre, à la disposition du monde du travail (entreprises ET salariés) pour développer les compétences et l'employabilité.
2) Les entreprises doivent jouer le jeu et former tous leurs salariés. Les services RH et formation doivent être mobilisés pour la formation de tous. Un ratio très simple pourrait être adopté : pour chaque euro dépensé par l'Etat en formation les entreprises abondent d'un montant équivalent. Si elles ne le font pas elles doivent prouver avant le 31/12/20 qu'elles ont formé au moins 100 heures chaque salarié.
3) Les salariés doivent mettre à profit le temps non travaillé (temps libre ou temps de chômage partiel) pour se remettre à niveau à raison d'au moins 100 h par an pour les moins qualifiés (10 % du temps travaillé). Le temps non travaillé doit aussi être consacré à la formation, les travailleurs en ont besoin.