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20 / 05 / 2020 | 355 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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L'employeur a beaucoup plus à craindre du code du travail que du droit pénal en matière d'exposition des salariés au covid-19

Le délit de mise en danger délibéré de la vie d’autrui défini à l’article 223-1 du Code pénal suppose la réunion quasi impossible de trois éléments constitutifs, mieux vaut alors jouer la carte du code du travail.
 

Avec le confinement et l’arrêt de l’économie, les salariés viennent de traverser une épreuve d’autant plus éprouvante qu’elle a été soudaine et non préparée. Cette épreuve a pu générer ou accentuer chez eux des facteurs de vulnérabilité. Le désastre économique qui menace peut aussi contribuer à l’émergence d’importants troubles psychologiques.
 

Or comme souvent dans les situations extraordinaires la tentation est grande d’assurer la sécurité et la santé des personnes en remettant en question les libertés fondamentales. Ou situer le curseur entre ces deux impératifs ? Le gouvernement a pris une série de mesures depuis l’émergence du corona virus qui impose de fait un droit d’exception dont la durée bornée jusqu’à la fin de l’année pourrait être prorogée. La dernière salve vient d’en être publiée avec les ordonnances du 2 mai restreignant à peau de chagrin, les délais de consultation des CSE. On peut s’en étonner. Car cette appropriation par le CSE était de nature à montrer aux salariés la prise en compte de l’impératif de sécurité et la recherche d’un consensus nécessaire.
 

Associer à cela une proposition d’impunité pénale pour l’entreprise et son dirigeant, ainsi que certains le recommandent, ne participe aucunement de la restauration du lien social et de la confiance légitime « employeurs – salariés », tout au contraire.
 

En effet, la Loi pénale est d’interprétation stricte d’une part, et d’autre part les infractions pénales applicables aux COVID-19 restent les infractions de droit commun, sauf exception résiduelle. Il s’ensuit que, seuls de véritables manquements se retrouveraient poursuivis au titre de la loi pénale. Pour autant, ce n’était pas la voie suivie par les Sénateurs qui avaient décidé d’instaurer une immunité pénale inédite en France du fait du COVID-19, en interdisant la mise en cause pénale
des « décideurs » en cas de faute caractérisée c’est à dire constituant un manquement évident et d’une certaine gravité, en connaissance de cause.

L’Assemblée Nationale en dernière lecture a fait le choix d’une disposition interprétative de la Loi pénale, renforçant l’obligation d’appréciation concrète de la situation qui s’impose aux juges sans pour autant créer une immunité pénale.

Le législateur a été bien inspiré de ne pas s’engager dans cette voie dangereuse qui au contraire pouvait laisser à penser qu’on cherchait « à faire taire » les plaignants, instillant l’idée qu’ils avaient peut-être raison, alors que dans la majorité des cas, l’action pénale demeurera d’un intérêt plus que relatif.

En effet, rappelons que le principal délit qui aurait vocation à s’appliquer à la prévention des risques en matière de COVID 19 est le délit de mise en danger délibéré de la vie d’autrui défini à l’article 223-1 du Code pénal qui suppose la réunion de trois éléments constitutifs.
 

  • La violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement 


Selon la Cour de cassation, il doit s'agir d'une obligation « objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet » qui doit être suffisamment précise pour que soit déterminable, sans équivoque, la conduite à tenir dans une situation donnée. Cette obligation doit ainsi permettre de situer et d’identifier aisément les écarts vis-à-vis de ce modèle comme hypothèse de mise en danger. Elle doit émaner ensuite d’une Loi ou d’un règlement, au sens strict.

En l’état le Code du travail ne prévoit à ce titre, aucune règle particulière liée à l’épidémie, à la différence du décret du 23 mars 2020 prescrivant des mesures précises d'hygiène et de distanciation sociale à observer, et qui s’impose aux employeurs. Ces mesures exceptionnelles pourraient éventuellement constituer les obligations particulières nécessaires à la caractérisation du délit de mise en danger de la vie d'autrui.

Pour autant, rien n’est moins sûr dès lors qu’il faut bien admettre que la définition des gestes « barrières » dans le décret demeure assez imprécise. Le débat concernant un port obligatoire et généralisé ou pas des masques montre également le caractère très évolutif des « obligations positives », ce que le droit pénal ne peut admettre au nom du principe de légalité. Ces développements valent également pour le délit d’homicide, blessures involontaires d’un salarié, de sorte que l’obligation particulière de sécurité qui aurait été méconnue, en relation avec la prévention du COVID 19 n’est pas, de prime abord, clairement définie.
 

  • Une exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures 
     

Il faut ensuite démontrer un risque immédiat de mort ou de blessures en lien de causalité entre l'obligation particulière violée et ce risque. Si le risque lié à la contamination au COVID-19 est établi, encore faut-il apporter la preuve qu'il résulte de la violation des obligations particulières susmentionnées pour caractériser le délit. Cette preuve apparait en l’état impossible à
administrer, à la différence des procès dit de « l’amiante » car l’épidémie touche toute la population. En effet, comment le salarié peut-il démontrer qu’il a contracté le virus sur son lieu de travail ?
 

  • Une violation manifestement délibérée de l’obligation 
     

La jurisprudence exige une intention spécifique c'est-à-dire la conscience de l'auteur de transgresser une obligation particulière de sécurité ou de prudence. Le juge devra établir que le résultat de l'acte volontairement et consciemment commis aura été prévisible, voire même prévu et envisagé comme possible, mais non délibérément recherché comme un but à atteindre. Il s’agit d’un élément essentiel dont la preuve est complexe à établir compte tenu du peu de connaissances acquises concernant le COVID-19.

A la réalité, ce délit qui garde une fonction dissuasive et punitive résiduelle, pourrait éventuellement frapper des employeurs qui manifesteraient un désintérêt exprimé pour les mesures de confinement et/ou de déconfinement. 

 

Délits obstacle
 

Il y a beaucoup plus à craindre pour l’employeur des délits obstacle, d’ores et déjà présents au code du travail concernant l’aménagement des locaux de travail pour garantir la sécurité des salariés ou encore la mise en place d’équipements de protection et le respect des consignes de sécurité, l’employeur étant tenu d’adapter les dispositifs en fonction du changement de circonstances, lesquels au surplus peuvent servir de fondement réglementaire à l’action en mise en danger délibéré de la vie d’autrui.

Nonobstant les déclarations des uns et des autres, incitant au dépôt de plaintes pour mise en danger délibéré de la vie d’autrui, l’instauration d’un fait justificatif « exceptionnel » du fait du COVID-19 en matière pénale, ne se justifiait aucunement, dès lors que nombres de plaintes pourraient être dépourvues de fondement et pourraient donner lieu à classement sans suite par le Parquet pour « infraction non caractérisée », voire même refus d’informer dument motivé par un juge d’instruction ou ordonnance de non-lieu in finé.

Instaurer un fait justificatif revenait en effet, à tolérer de manière générale, une impunité pénale qui n’est pas acceptable dans une société démocratique et surtout qui aurait créé un fossé entre les employeurs et les salariés alors même que nous sommes à un instant de l’humanité, où une « concorde » s’impose pour relancer l’activité économique dans la sécurité de tous !
 

Auteurs : 

  • Jean-Claude Delgenes, président fondateur du cabinet Technologia
  • Yves Moneris, avocat à la cour
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