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Modification législative sur l'absence d’acquisition de droits à retraite de base en chômage partiel
Fin avril, une note de Secafi (Groupe Alpha) alertait sur le risque de perte de trimestres de retraite pour de nombreux salariés dans le cadre du recours massif à l’activité partielle, dû à la crise sanitaire.
Le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19 présenté en conseil des ministres le 7 mai dernier devrait apporter une réponse : il prévoit notamment une habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnances pour prendre des mesures « permettant, pour les salariés placés en position d’activité partielle, la constitution de droits à retraite dans les régimes obligatoires de base au titre des périodes en cause ».
Interview de Luc Bérard de Malavas (juriste et expert au sein du cabinet Secafi) et d'Antoine Rémond (directeur adjoint du Centre d'études & prospective du groupe Alpha), co-auteurs, avec Philippe Gervais, de cette note pour comprendre l’incidence du dispositif actuel d’activité partielle sur les droits à retraite et le changement nécessaire.
Pourquoi avez-vous publié une note sur l’incidence du chômage partiel sur la retraite ?
Luc Bérard de Malavas : Dès mi-mars, Secafi s’est fortement mobilisé pour accompagner les salariés et leurs représentants (CSE et syndicats) au mieux en cette période compliquée. Ainsi, sur notre site, nous avons mis à disposition de nombreux dossiers techniques spéciaux sur les effets du covid-19 (sur la sécurité des travailleurs et du public, les aspects financiers, organisationnels, sociaux etc., avec des outils et supports spécifiques par secteur d’activité), des webinaires thématiques et une publication hebdomadaire de notre e-letter d’informations Traits d’Union. En approfondissant l’analyse du chômage partiel (ou « activité partielle », son nouvel intitulé) pour établir un dossier complet sur le sujet, nous avons réalisé que la règle sur les droits à retraite de base créés par l’activité partielle n’était pas claire du tout ; nous avons donc étudié le sujet plus avant. Après approfondissement sur le plan technique et échanges avec des administrateurs syndicaux de la CNAV (que nous remercions pour leur aide afin d’obtenir une position officielle de la direction de la CNAV sur le sujet), nous avons conclu que le régime actuel de l’activité partielle est susceptible de léser de nombreux salariés pour leur retraite. Il nous a donc semblé indispensable de porter une alerte publique via cette note pour inciter les pouvoirs publics à ajuster le dispositif légal. Certaines organisations syndicales avaient commencé d'interpeller les pouvoirs publics.
Quel a été l’écho de votre alerte sur le sujet ?
Antoine Rémond : L’AFP s’est saisie de notre alerte dans une dépêche du 30 avril, qui citait plusieurs extraits de notre note et elle a interviewé plusieurs représentants d’organisations syndicales. Cela a permis de donner un plus large écho à cette problématique. Cela a été largement repris dans la presse, cf. notamment un article de LCI et un reportage de France Info.
Concrètement, quel est l’effet de l’activité partielle sur la retraite dans le dispositif actuel ?
L. B. d. M. : Le calcul de la pension dans le régime général (CNAV) s’effectue à partir d’une durée cotisée exprimée en trimestres et d’un salaire de référence. Les revenus de remplacement ne sont pas pris en compte dans le salaire de référence qui est constitué de la moyenne des 25 meilleurs salaires annuels perçus au cours de la carrière. La période d’activité partielle n’est pas soumise à cotisations sociales, sauf à partir de 4,5 SMIC depuis le 1er mai 2020 (en application de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020) pour le complément éventuel versé par l’employeur au-delà des 70 % de la rémunération brute. N’étant pas soumise à cotisations sociales, l’indemnité légale d’activité partielle ne génère pas de droits à retraite de base, en l’absence de texte prévoyant expressément une acquisition hors cotisation. Elle n’est pas non plus prise en compte dans le salaire de référence pour la détermination des 25 meilleures années.
Comment se fait le calcul sur les trimestres validés ?
A. R. : En application de l’article R.551-9 du Code de la Sécurité sociale, une rémunération (cotisée) de 150 heures de SMIC permet de valider un trimestre, une rémunération (cotisée) de 600 heures de SMIC permet de valider quatre trimestres. Un salarié rémunéré au-delà du plafond mensuel de la Sécurité sociale (PMSS) voit son salaire pris en compte dans la limite de ce plafond (3 428 euros) pour l’acquisition de droits au régime général. Sachant que le SMIC horaire est de 10,15 euros bruts en 2020, il valide quatre trimestres en un peu moins de deux mois. En revanche, un salarié rémunéré au SMIC (1 539,42 euros bruts) devra travailler près de 4 mois pour valider 4 trimestres. À cela s’ajoute la situation des salariés à temps partiel pour lesquels la durée nécessaire à la validation de quatre trimestres est plus importante que pour les salariés à temps plein. On voit ainsi l’effet d’une longue période d’activité partielle qui pourrait faire perdre des trimestres de retraite de base aux salariés des secteurs les plus durement touchés par la crise sanitaire, plus intensément pour les salariés aux rémunérations les plus faibles et aux salariés à temps partiel.
Qu’en est-il de l’effet de l’activité partielle sur la retraite complémentaire ?
L. B. d. M. : En application de l’article 67 de l’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017, les périodes d'activité partielle subies par un salarié permettraient à ce dernier d’acquérir des points de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO, sans contrepartie de cotisations, à condition que les périodes sans activité aient été indemnisées par l’employeur et que leur durée dépasse 60 heures dans l’année civile. Au-delà de la 60e heure, les points sont calculés sur la base du salaire perdu par le salarié, du fait de l’absence d’activité et des taux de cotisation pratiqués par l’entreprise.
L’effet de l’activité partielle sur la retraite diffère donc entre la retraite de base et la retraite complémentaire ?
A. R. : Oui. Il convient de prendre différents cas de figure en compte. Le tableau ci-dessous résume la situation :
Comment se fait-il que cette problématique n’ait pas déjà été soulevée plus tôt ?
L. B. d. M. : Le dispositif de chômage partiel a été profondément modifié en 2013, en devenant l’activité partielle. Avant cette réforme, le chômage partiel générait bien des droits à retraite de base, par assimilation au chômage complet. Par ailleurs, l’activité partielle est mise en œuvre sur une durée relativement courte la plupart du temps, provoquant ainsi une incidence nulle ou très faible sur les droits à retraite des salariés. Mais, avec la crise sanitaire liée au covid-19, le recours à l’activité partielle est susceptible de durer longtemps, en particulier pour certains secteurs, d’où un effet plus notable à corriger.
Le 6 mai, Muriel Pénicaud a annoncé une réforme législative pour adapter le dispositif d’activité partielle en créant des droits à retraite de base. Le souci est donc désormais réglé ?
A. R. : Suite notamment à notre alerte et à celle des syndicats, le gouvernement a effectivement annoncé une évolution législative en ce sens. Le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19 présenté en conseil des ministres le 7 mai dernier prévoit notamment une habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnances pour prendre des mesures « permettant, pour les salariés placés en position d’activité partielle, la constitution de droits à retraite dans les régimes obligatoires de base au titre des périodes en cause ». La mesure pourrait être rétroactive au 12 mars pour couvrir toute la période de crise sanitaire. Pour autant, nous ne connaissons pas encore le texte du projet d’ordonnance qui corrigera le dispositif, sachant que plusieurs options sont envisageables.
Quelles sont les possibilités d’évolution du dispositif concernant la retraite et quelles sont vos préconisations ?
L. B. d. M. : Une première possibilité serait d’acquérir seulement des trimestres, sur le modèle en vigueur pour les gens au chômage. Cette logique minimaliste serait certes préférable à la situation actuelle mais elle ne nous paraîtrait pas idéale car elle ne tiendrait pas compte des spécificités de l’activité partielle, lors de laquelle les salariés peuvent effectuer une partie de leur activité et l’entreprise majorer l’allocation de l’État. De plus, elle resterait socialement inéquitable et le mécanisme d’acquisition de droits resterait nettement moins favorable que pour la retraite complémentaire (AGIRC-ARRCO) et désavantagerait ainsi les basses rémunérations.
Dès lors, nous préconisons de suivre une logique d’alignement sur l’AGIRC-ARRCO avec une acquisition complète de droits (trimestres et salaires portés au compte) sur la base du salaire perdu.