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15 / 10 / 2019 | 436 vues
Didier Cozin / Membre
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Compte personnel de formation : un supermarché pour les compétences ?

Avec la nouvelle réforme de 2018 (saison 4 d'une interminable série), les pouvoirs publics prétendent transformer les organismes de formation en « organismes prestataires d’actions concourant au développement des compétences (OPAC) ». Cette nouvelle désignation témoigne à la fois d'une méconnaissance des apprentissages en entreprise mais aussi d'un certain mépris pour ceux qui, tout en travaillant dans le secteur éducatif, ont le grand tort d'œuvrer dans le secteur éducatif privé.
 

Les compétences ne se vendent pas, ne s'achètent pas et ne s'échangent guère...
 

Dans une société très matérialiste où la qualité du travail importe bien moins que le pouvoir d'achat ou le niveau de vie, la formation peine à s'imposer depuis des lustres. En la transformant en un simili concours de beauté des compétences, les pouvoirs publics prouvent que les compétences leur font défaut pour promouvoir la formation au sein d'une économie devenue celle de la connaissance, de la fluidité et du changement.
 

Pour le spécialiste du concept de compétences Guy Le Boterf, les compétences sont d’abord une combinatoire.


Comment définir quelqu'un de compétent et dans quelles circonstances peut-on parler de compétences ?
 

  • L'intéressé sait combiner et mobiliser un ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...).
  • Ceci pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités d'exercice (critères d'orientation) et pour produire des résultats (services et produits) satisfaisant à certains critères de performances pour un client ou un destinataire.
     

Les compétences ne sont pas transportables dans le caddie d'un supermarché, ni transposables dans une application pour smartphone (même se proclamant le Trip Advisor de la formation).
 

« Nous sommes en train de construire un énorme supermarché numérique de la formation ; la mise en rayon des marchandises s’effectuerait à partir de septembre. L’application sera alors ouverte aux organismes de formation, qui pourront s’y référencer et déposer leur catalogue », a déclaré Laurent Durain, directeur de la formation professionnelle à la Caisse des dépôts et consignations, au cours de l'université 2019 de l’ANDRH, les 18 et 19 juin à Nantes.
 

En 2020, pourra-t-on s'offrir des kilogrammes de compétences avec son CPF ?

Depuis 2014, via ce concept d'un compteur national de formation, on a vu un droit légitime des travailleurs (le droit à la formation) devenir au fil du temps une monnaie d'échange syndicale (« je t'abandonne quelques droits du travail, tu m'offres des heures de formation »), un leurre social (la sécurisation des emplois avec 5 % des montants nécessaires à sa généralisation) et enfin une grande surface de la formation (une foire du trône de la formation) avec un CPF désormais « monétisé » (900 millions d'euros pour 18 millions de salariés, 0 euro pour 6 millions de fonctionnaires) et « désintermédié ». Les méchants organismes de formation qui vendaient cher leurs services obligés de vendre à prix cassé sur Internet, en s'asseyant au passage sur les 20 % de TVA.
 

La formation, « B to C » (du producteur au consommateur) ?
 

Non seulement la formation est censée se transformer en un vaste supermarché mais, pour faire bonne mesure (et plus « big bang »), elle se voit « désintermédiée ». Comme tout le monde dénonce la complexité aujourd'hui, les usines à gaz avaient été créés par les organismes de formation qui se complaisent dans la paperasse et adorent les formulaires, les lourdeurs et les délais.

Mais heureusement Zorro est arrivé : l'État, formidable simplificateur et fournisseur n° 1 de bienveillance réglementaire, devait mettre bon ordre dans la formation en « ubérisant » et en « désintermédiant ».
 

Former, se former et apprendre comme on consomme une pizza ?
 

Quel est le scénario de pizzaïolo imaginé par l'État pour la formation dans les prochaines années ? Un OPAC, certifié de qualité, imagine une nouvelle compétence, des apprentissages inédits ou un apprentissage intéressant (et donnant du travail). Peu après, ce même OPAC réserve un formateur et une salle puis (le même jour) communique sur le site de la Caisse des dépôts, mettant sa « trouvaille compétence » en ligne. Dans les 48 heures, des milliers de travailleurs/consommateurs avides de compétences s'inscrivent à la formation et peuvent enfin apprendre et (re-)devenir compétents.
 

On n'achète pas des compétences mais on achève bien la formation...
 

La compétence n'est pourtant ni une marchandise, ni même un service mais demeure une qualité et une quête intrinsèque à chaque travailleur, face à une situation donnée, des problèmes à résoudre (le travail consiste en général à résoudre des problèmes) afin de transformer des informations (l'élément le plus abondant sur terre avec le sable et l'eau) en connaissances puis en compétences et produire des richesses ou se mettre service des autres.
 

L'étatisation de la formation n'apportera que désillusion et procrastination
 

La vision étatique actuelle de la formation, consumériste, productiviste et adéquationniste ne date pas d'hier mais, avec la réforme de la formation (version 2018), notre pays pourrait encore plus s'éloigner des objectifs qu'il s'assignait en l'an 2000 (stratégie de Lisbonne) : gagner en compétitivité et fournir à tous un travail de qualité.

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