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20 / 08 / 2019 | 470 vues
Hélène Fauvel / Abonné
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Transformer la fonction publique ou transformer la République ?

La Loi dite de « transformation de la fonction publique » vient d'être publiée . À grand renfort de communication dans les médias et sur les réseaux sociaux, Olivier Dussopt, Secrétaire d’État à la Fonction publique auprès du Ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, on cherché à vendre leur  réforme comme étant la plus ambitieuse, la plus moderne, la plus innovante et surtout répondant le mieux aux aspirations des usagers et des agents publics, jamais proposée. Qu’en est-il ?

 

À travers un petit retour historique et une analyse des principaux points de ce projet de loi, nous allons voir que cette réforme qu’on nous dit ébouriffante de modernité constitue en réalité un retour en arrière et que, sous couvert de mieux respecter les valeurs de la fonction publique, son but est surtout de diminuer le nombre de fonctionnaires sous statut et qu’en fait ce sont les valeurs de la République qui vont s’en trouver modifiées.

 

Ainsi, le statut serait devenu source de complexité, serait même un frein à la reconnaissance du mérite des agents et enfin, ne répondrait plus aux aspirations de nos concitoyens qui souhaiteraient, selon les sondages, une fonction publique s’adaptant mieux aux évolutions de la société. Il faut bien comprendre qu’à ce stade, dès lors que l’on interroge les Français sur les fonctionnaires, des questions habilement posées permettent d’obtenir les réponses attendues tant les fonctionnaires ont été décriés et présentés comme des privilégiés aussi bien par les médias que par les gouvernements successifs.
 

Le statut doit-il disparaître dans les poubelles de l’Histoire ou faut-il, au contraire, le préserver ?
 

D'où vient ce statut tellement critiqué ? Quelles sont les raisons ayant justifié sa mise en place ? Doit-il disparaître dans les poubelles de l’Histoire ou faut-il au contraire le préserver ?
 

En France, la notion de fonction publique a toujours été liée au rôle et à la place de l’État. Sous l’Ancien Régime, alors que l’État était incarné par un monarque, le fonctionnaire se trouvait au service de ce même monarque dont l’intérêt propre se confondait avec l’intérêt général. La relation entre le fonctionnaire et le pouvoir a perduré après la Révolution et sous l’Empire. L’Assemblée constituante déclarait ainsi le 29 novembre 1789 que les fonctionnaires « doivent à la chose publique leurs travaux et leurs soins », l’intérêt général devenant alors l’affaire de l’État républicain.
 

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de nombreux députés ont donc proposé l’adoption d’un statut protecteur des abus d’autorité pour les fonctionnaires
 

L’idée d'alors donner un statut spécifique avait effleuré Napoléon et il préconisait déjà la permanence de l’emploi des fonctionnaires pour qu’ils puissent se consacrer au service de l’État en toute sécurité. Ainsi, la loi du 19 mai 1834 établissait pour les officiers une première distinction entre le grade et l’emploi. Dans chaque ministère, des textes ont accordé des garanties aux fonctionnaires en matière de limite d’âge de diplômes et d’avancement sans toutefois être suffisants pour limiter l’arbitraire. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de nombreux députés ont donc proposé l’adoption d’un statut protecteur des abus d’autorité pour les fonctionnaires. L’hostilité des gouvernements successifs a obéré toute possibilité d’aboutir à un vote de ce statut.
 

Au XXe siècle, dans le but unique de lutter contre l’émergence du syndicalisme dans la fonction publique (pour mémoire les fonctionnaires n’ont acquis le droit de se syndiquer qu’en 1924, avec beaucoup de restrictions notamment liées au droit de grève), les gouvernements ont repris l’idée d’un statut pour les fonctionnaires qui n’a pas abouti. Pourtant, en 1907, le député Jules Jeanneney disait : « La situation des fonctionnaires n’a de valeur que si elle n’est point précaire, que si elle est à l’abri des fantaisies, des injustices et de l’arbitraire toujours possible du pouvoir ».
 

« Le fonctionnaire ne devait plus être le domestique du gouvernement livré à l’arbitraire ou au favoritisme mais le serviteur de l’État et de la Nation »
 

Il a fallu attendre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le Conseil de la Résistance pour qu’enfin le statut général que nous connaissons aujourd’hui, qui a d’ailleurs été modifié et adapté depuis, voie le jour. À l’époque, Maurice Thorez, Ministre d’État chargé de la fonction publique a été chargé du projet lequel a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée constituante le 5 octobre 1946 et est devenu la loi du 19 octobre 1946.
 

Ce texte fixait les droits, garanties et obligations des fonctionnaires sur la base des principes démocratiques exprimés par la constitution de 1946. Selon les propos du Ministre Thorez : « le fonctionnaire ne devait plus être le domestique du gouvernement livré à l’arbitraire ou au favoritisme mais le serviteur de l’État et de la Nation, garanti dans ses droits, son avancement et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative ».
 

Sans revenir sur cette période trouble de notre histoire qui a précédé la naissance du statut, ce n’est pas un hasard si le statut général des fonctionnaires de l’État a vu le jour au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et de l'occupation. En 1952, le 28 avril, les agents communaux acquéraient un statut qui ne faisait pas pour autant d’eux des fonctionnaires. Une première refonte du statut originel fixant par ordonnance les garanties fondamentales a eu lieu en 1959 et au début des années 1980, la politique de décentralisation a mené le gouvernement de l’époque à unifier les règles applicables à l’ensemble des serviteurs de la République afin, déjà, de favoriser les mobilités entre fonctions publiques.
 

Le statut consacrait également le fait que les fonctionnaires ne sont pas tenus de faire allégeance au pouvoir en place mais de servir avec loyauté
 

Pour ce qui nous concerne, à la DGFIP, nous relevons du titre I du statut général soit de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 commune à tous les versants et du titre II soit de la loi du 11 janvier 1984 qui fixe les dispositions applicables aux fonctionnaires de l’État.
 

Ce statut reposait sur trois grands principes : égalité, indépendance et citoyenneté. Il fondait ainsi la règle du concours comme mode de recrutement et d’un traitement égal pour tous les fonctionnaires d’un même corps tout au long de leur carrière. Il consacrait également le fait que les fonctionnaires ne sont pas tenus de faire allégeance au pouvoir en place mais de servir avec loyauté ce qui n’a pas la même signification. En conséquence, ils ne doivent pas faire l’objet de pressions inadmissibles de la part du pouvoir politique comme des administrés d’où l’existence de la sécurité de l’emploi, des garanties statutaires et des principes de carrière et de séparation du grade et de l’emploi.
 

Les rapports concernant la fonction publique ne se comptent plus
 

Depuis, ce statut a subi de nombreuses modifications et adaptations notamment en 1987 où un projet devenu la loi du 13 juillet 1987 introduisait à côté de la notion de corps celle de « cadres d’emplois » et mettait sur le même plan concours sur titre et concours sur épreuves en supprimant le caractère dérogatoire du concours sur titre. De cette période jusqu’à aujourd’hui, les rapports préconisant d’aller vers une fonction publique de métiers et plus de corps ne se comptent plus. Nous citerons néanmoins le « livre blanc » de Jean-Ludovic Silicani en 2008 et le rapport Pêcheur en 2013. Le premier préconisait déjà, entre autres, de refonder l’organisation statutaire pour élaborer une fonction publique de métiers par grandes filières et plus par corps et de redéfinir la place et la nature du contrat pour davantage de souplesse dans les recrutements ou encore une modification des éléments de rémunération pour y introduire une part variable en fonction des résultats.
 

Le deuxième s’attachait notamment à la réduction du nombre de corps de fonctionnaires, au développement des affectations au profil, à l’abandon du diplôme comme critère exclusif et à une rénovation de la grille et à l’information du public en matière de déontologie des fonctionnaires Ce rapport devait aboutir à la loi 2016-483 du 30 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et, pour partie, au protocole PPCR.
 

Pour un gouvernement se présentant comme l’artisan de la naissance du « nouveau monde », il ne pouvait bien sûr être question de laisser les choses en l’état
 

Nous le voyons donc, l’existence du statut n’a jamais empêché de le réformer et, surtout, tous les gouvernements depuis un peu plus de dix ans n’ont eu de cesse de multiplier les dérogations, tout en reconnaissant les bienfaits du statut.
 

Loin d’être un frein aux évolutions, le statut général a apporté la preuve de son adaptabilité aux besoins nouveaux de la société, tout en préservant les garanties de neutralité et d’égalité de traitement pour nos concitoyens.
 

Cependant, pour un gouvernement se présentant comme l’artisan de la naissance du « nouveau monde », il ne pouvait bien sûr être question de laisser les choses en l’état. C’est ainsi que, devançant les conclusions du rapport du « comité CAP 2022 », un projet de réforme, pardon de transformation de la fonction publique était proposé aux organisations syndicales de fonctionnaires dès le mois de mars 2018.
 

Aujourd’hui, le Secrétaire d’État à la fonction publique se prévaut d’un dialogue ayant duré une année entière avec les représentants du personnel, les représentants de l’État, des collectivités territoriales et des établissements de la fonction publique hospitalière.
 

Ce faisant, il oublie de préciser que le projet de loi est arrivé devant les députés quasiment dans son état d’origine tant les remarques et observations des organisations syndicales ont été ignorées. À tel point qu'ils ont pour la plupart fini par renoncer à se rendre aux groupes de travail, refusant de cautionner ce projet qu’il était impossible de modifier, le gouvernement étant persuadé du bien-fondé de ses propositions.
 

Permettre à la DGFIP de détacher d’office les agents d’une trésorerie municipale qui deviendrait une agence comptable, auprès de l'ordonnateur
 

Que dit ce projet ? Il n’est évidemment pas question de nous livrer ici à une analyse exhaustive du projet mais de relever les conséquences d’un certain nombre d’articles.
 

Si l’on s’en tient à l’exposé des motifs, passé le premier chapitre, dans lequel l’on flatte le sens du service public des agents publics, il s’agirait de garantir au personnel qui n’en demandait pas tant la prise en compte de ses prétendues aspirations en termes de mobilité inter-fonctions publiques ou encore de souplesse.
 

La lecture attentive du projet et celle des différents amendements intégrés au cours du débat parlementaire, témoigne au contraire que la souplesse sera surtout en direction des recruteurs qui finiront par ne rendre compte de leurs décisions que devant le juge administratif, au cas où un agent s’estimerait lésé.
 

Ainsi, l’article 21 tend à favoriser la mobilité des fonctionnaires de l’État vers les versants territoriaux et hospitaliers de la fonction publique. À titre d’exemple, cette disposition permettra à la DGFIP de détacher d’office les agents d’une trésorerie municipale qui deviendrait une agence comptable, auprès de l'ordonnateur.
 

Le contrat devient un mode de recrutement non dérogatoire

 

L’article 23 crée la portabilité du contrat à durée indéterminée entre les trois versants de la fonction publique. Autrement dit, il consacre le contrat comme devenant un mode de recrutement non dérogatoire. Ainsi, il ne serait pas nécessaire de détruire le statut mais de faire en sorte que, petit à petit, plus aucun agent public n’en relève. Cette disposition sera assortie d’une prime de précarité ce qui tend à démontrer que la précarité pourrait devenir la norme à terme dans le service public.
 

L’article 24 prévoit la rupture conventionnelle sur la base d’un mécanisme aligné sur celui du Code du travail s’agissant du personnel recruté sous contrat et une expérimentation de cinq ans pour les fonctionnaires.
 

Modifier sans aucun contrôle les affectations du personnel
 

L’article 3 prévoit de recentrer les attributions des CAP. Un certain nombre de compétences leur seraient ainsi retirées et elles n’auraient donc plus à émettre un avis préalable en matière de mutations, mobilités et avancements ce qui permettrait de modifier les affectations du personnel sans aucun contrôle.
 

Enfin, l’article 5 ouvre la possibilité de recruter sous contrat des gens n’ayant pas la qualité de fonctionnaire à des postes de cadres dirigeants.
 

Concrètement et à la lumière de ce qui précède sur l’histoire du statut général et des garanties qui l’accompagne, ce projet de loi se situe à l’opposé des principes du Conseil national de la résistance qui ont présidé à la rédaction du statut général.

 

Par le biais du recrutement sous contrat, de la rupture conventionnelle, de la suppression de certaines compétences pour les CAP, les pressions à l’encontre des fonctionnaires vont se multiplier. Quant aux contractuels, la déconcentration de la procédure de recrutement va à l’encontre du principe de l’égalité d’accès aux emplois publics et ils seront soumis à toutes les formes de pressions.
 

Remercier ceux qui traîneraient les pieds dans l’application des réformes
 

Ce projet de loi ouvre la voie à une autre fonction publique, dans laquelle, pour conserver son emploi, il ne suffira plus de servir avec loyauté mais faire allégeance au pouvoir politique. Le Président de la République ne s’en est d’ailleurs pas caché en disant haut et fort que les hauts fonctionnaires qui traîneraient les pieds dans la mise en œuvre des réformes seraient remerciés.
 

Pour notre organisation syndicale, la fonction publique sous statut constitue l'un des fondements de l’égalité républicaine et de la garantie de neutralité de traitement, donc de cohésion sociale. C’est donc bien d’une transformation radicale de la République qu’il s’agit.

 

Chiffres-clefs de la fonction publique

  • 5,5 millions d’agents publics intervenant à chaque moment de la vie,
  • 48 000 employeurs territoriaux, 
  • 5 500 employeurs hospitaliers,
  • 2,4 millions d’agents de la fonction publique d’État,
  • 1,9 million d’agents dans la fonction publique territoriale,
  • 1,2 million d’agents dans la fonction publique hospitalière,
  • 9 agents sur 10 au contact direct de la population,
  • 62 % de femmes agents contre 46 % dans le secteur privé,
  • 1/3 des agents ont plus de 50 ans,
  • 45 % d’agents de catégorie C,
  • 5,8 % des agents ont changé d’employeur public en 2016 (5,1 % pour un employeur au sein du même versant et 0,7 % pour un employeur d’un autre versant),
  • 489 900 recrutements et 497 500 départs de la fonction publique en 2017.
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