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28 / 09 / 2017
Philippe Pihet / Membre
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Retraites et réformes systémiques : quelles leçons tirer des expériences étrangères ?

Pour compléter le large tour d'horizon effectué sur le dossier retraite et les réflexions les plus diverses qui circulent depuis des mois (pour ne pas dire plus), il est intéressant de jeter un regard très concret sur ce qui a pu se passer dans quelques pays européens souvent cités comme des « exemples ». Qu'en est-il vraiment ?

Transition vers un régime en points : l’exemple de l’Allemagne

L’Allemagne a transformé son régime de retraite en annuités en un régime en points en 1992 :

  • la formule de calcul de la pension de retraite appliquée entre 1957 et 1992 utilisait un taux d’annuité fixe à 1,5 % du salaire moyen de l’ensemble de la carrière (et non des meilleures ou des dernières années) et les droits accumulés et les pensions liquidées évoluaient comme les salaires bruts ;
  • en 1992, la formule de calcul de la pension a été modifiée pour prendre sa forme actuelle, sans que le montant des pensions soit modifié au moment de la transition (la valeur du point représente la part de pension mensuelle accordée pour une année de cotisation avec une rémunération égale au salaire moyen) mais la valeur du point est indexée sur les salaires nets depuis cette date.

Cette transition instantanée, qui ne nécessitait pas de dispositif particulier de reconnaissance des droits acquis dans l’ancien système, a été possible car le salaire de référence du régime en annuités correspondait au salaire moyen de l’ensemble de la carrière. Le régime en points allemand se différencie notamment des régimes complémentaires en points français, au sens où le nombre de points acquis au cours d’une période est calculé à partir des salaires perçus et non des cotisations versées.

Des réformes intervenues en 2001 et 2004 ont en outre fait évoluer la valeur du point de retraite allemand sur la base de l’évolution des salaires nets, corrigée par un mécanisme d’équilibre prenant en compte l’évolution du rapport démographique du régime (nombre de cotisants/nombre de retraités) : il était donc possible que les pensions évoluent négativement en cours de service. Toutefois, la formule n’a jamais été entièrement appliquée, même si la valeur du point a été gelée pendant trois ans entre 2004 et 2006. Une loi de 2008 garantit dorénavant la valeur nominale du point. Enfin, le pilotage du système allemand vise à garantir trois objectifs principaux : un montant minimum de réserves, un taux de remplacement minimum et un taux de cotisation maximum.

Transition vers un régime en comptes notionnels

Parmi les cinq premiers pays qui ont opté pour la technique des comptes notionnels, seule la Lettonie a choisi une transition immédiate et estimé un capital virtuel initial sur toute la carrière des assurés. La Pologne et la Suède ont fait le choix de calculer un capital virtuel initial sur une partie de la carrière des assurés et ont opté pour une transition relativement rapide. L’Italie et le Kirghizstan ont fait le choix de ne pas calculer de capital virtuel initial et ont, par conséquent, adopté une transition relativement lente.

L’exemple de la Suède

Le nouveau système est introduit progressivement au fil des générations (avec affiliation simultanée à l’ancien et au nouveau régime pour les générations de la transition) et il coexistera pendant plusieurs années encore avec l’ancien système, même si la transition est assez rapide (sur dix-sept générations) : les Suédois nés en 1954 (âgés de 44 ans au moment de la réforme en 1998) relèvent uniquement du nouveau système. La Suède remplissait plusieurs des conditions facilitant une transition relativement rapide de l’ancien système vers le nouveau régime en comptes notionnels, en particulier du fait de l’existence d’informations sur l’historique des rémunérations (permettant de valoriser les droits sur la base des cotisations passées) et de réserves financières relativement importantes, correspondant à cinq ans de prestations au moment de la réforme.

Dans le nouveau régime en comptes notionnels, le capital virtuel est revalorisé chaque année selon la croissance du revenu d’activité moyen des assurés des trois dernières années. L’âge minimal de départ à la retraite a été relevé de 60 à 61 ans, avec une suppression de l’âge maximal de départ à la retraite à 70 ans qui existait dans l’ancien régime.

Le rendement escompté du capital virtuel intervenant dans le coefficient de conversion de ce capital en pension est fixé à 1,6 %. Les pensions, en termes réels (soit hors inflation), sont revalorisées chaque année suivant l’évolution réelle du revenu d’activité moyen des assurés (soit l’indice de revalorisation du capital virtuel) amputée d’un taux de 1,6 %, considéré comme la tendance à long terme de la croissance réelle du revenu moyen. Elles sont donc indexées sur l’inflation en moyenne mais elles peuvent évoluer différemment selon les années :

  • les années où le salaire réel croît à un taux supérieur à 1,6 %, les retraités bénéficient d’un gain de pouvoir d’achat ;
  • les années au cours desquelles le salaire réel croît à un taux inférieur à 1,6 %, les retraités enregistrent des pertes de pouvoir d’achat.

De plus, la Suède a instauré en 2001 un mécanisme automatique d’équilibre qui se déclenche dès que le rapport entre les réserves financières augmentées des cotisations à recevoir par le régime (soit les recettes actuelles et futures) et les engagements de pension du régime (soit les dépenses actuelles et futures) est inférieur à 1. Le ratio de solvabilité du régime de retraite suédois est inférieur à 1 pour la première fois depuis 2009. Cette dégradation tient surtout à la baisse des réserves liée à la crise financière. Les autorités suédoises ont décidé de changer le mode de valorisation des réserves financières (moyenne de la valeur des réserves sur les trois dernières années plutôt que leurs valeurs en n-1) afin de lisser les évolutions du ratio d’équilibre. Ce changement entraîne une hausse du ratio d’équilibre qui atténue la baisse nominale des pensions pour l’année 2010 (3 % au lieu de 4,5 % sans changement de la valorisation des réserves financières).

Ainsi, en période de récession comme actuellement, ces mécanismes conduisent à réduire le montant des pensions : dès 2009, les pensions baissaient de 4,5 %, de 11 % en cumulé 2009/2010 et de 40 % en 5 ans. Sans intervention de l’État, s’entend ! De fait, dès 2009, celui-ci devait intervenir pour limiter la baisse à 3,5 %.

Le système de retraite suédois est présenté comme un exemple à suivre par plusieurs organisations internationales : de nombreux pays s’en sont ouvertement inspirés, notamment la Pologne ainsi que l’Italie et la Lettonie. Pourtant, selon les récentes déclarations de son ancien directeur, Gustaf Scherman, le système de retraite suédois n’est pas l’exemple à suivre car il aurait exagérément transféré le risque financier sur les assurés sans tenir compte des perspectives d’emploi des plus âgés. Selon lui, il convient de «trouver un équilibre équitable entre les pensions, l’âge de la retraite et les cotisations », un équilibre qui a disparu des objectifs de la réforme suédoise au profit d’un système « progressivement automatisé » et « piloté par des formules ».

L’exemple de l’Italie

Au début des années 1990, l’Italie disposait d’un système de retraite par répartition fortement éclaté et hétérogène, offrant en matière de droits à la retraite des conditions considérées comme très avantageuses bien que disparates selon les régimes. Le système de retraite était déficitaire dès les années 1990 et n’avait pas accumulé de réserves. Après une première réforme paramétrique en 1992, les autorités italiennes ont instauré un nouveau régime de retraite en comptes notionnels, visant notamment à unifier les différents régimes existants.

Dans le nouveau régime en comptes notionnels, le capital virtuel est revalorisé chaque année selon la croissance du PIB des cinq dernières années. Avec le nouveau système, l’assuré peut partir à la retraite au sein d’une plage allant de 57 ans à 65 ans. Le rendement escompté du capital virtuel intervenant dans le coefficient de conversion de ce capital en pension est fixé à 1,5 % par an ; l’évaluation de l’espérance de vie intervenant dans le coefficient de conversion, initialement décennale, est triennale depuis la réforme Prodi de 2007. Les pensions, une fois liquidées, sont revalorisées chaque année suivant l’évolution des prix.

Les Italiens ont prévu une période transitoire extrêmement longue, de plus de quarante ans. La population des assurés a été répartie en trois groupes :

  • les assurés ayant validé plus de 18 annuités en 1995 relèvent en totalité de l’ancien système de calcul des droits à la retraite ;
  • les nouveaux assurés, entrant sur le marché du travail à partir de 1996, relèvent entièrement du nouveau système ;
  • les assurés ayant validé moins de 18 annuités en 1995 relèvent d’un système mixte : les droits acquis jusqu’au 31 décembre 1995 seront liquidés selon les règles de l’ancien système et les droits acquis après cette date seront liquidés selon la nouvelle législation.

Enfin, l’Italie n’a pas prévu de mécanisme de rééquilibrage du système se déclenchant en cas de déséquilibre financier. Dans la mesure où la part des retraites servies sur la base des droits acquis dans l’ancien système est encore très importante, le système de retraite italien reste structurellement déficitaire. La soutenabilité du nouveau système ne pourra vraiment s’apprécier qu’au moment où les premières pensions « mixtes » seront versées et davantage encore lorsque les nouvelles pensions servies ne relèveront que du nouveau système (au plus tôt en 2036).

Pays

Âge légal de la retraite

Allemagne

67 ans (âge normal de départ à la retraite).
Recul de l'âge légal entre 2012 et 2029 pour atteindre 67 ans pour les gens nés après 1963.

France

62 ans pour les gens nés à partir de 1955.

Italie

Hommes salariés du secteur privé, travailleurs indépendants : 66 ans et 7 mois ;
Hommes et femmes fonctionnaires: 66 ans et 7 mois ;
Femmes salariées du secteur privé: 65 ans et 7 mois ;
Femmes travailleuses indépendantes: 66 ans et 1 mois.
L'âge de la retraite est progressivement augmenté selon l'augmentation de l'espérance de vie :
- à compter de janvier 2021 : 67 ans pour hommes et femmes ;

- en 2050 : 69 ans et 9 mois.

Suède

Flexibilité entre 61 et 67 ans.

Le système de retraite flexible a été mis en place pour encourager des départs plus tardifs. Ce dispositif permet de prendre sa retraite dès l'âge de 61 ans à condition de remplir la condition de durée d'activité, mais le montant de la pension sera moins important qu'en cas de départ plus tardif.

Le projet de réforme « Macron » : une bonne solution pour la France ?

Non, si l’on en croit Henri Sterdyniak, directeur du département d'économie de la mondialisation à l’OFCE : « Même si elle ne prévoit pas une augmentation de l’âge du départ à la retraite, elle uniformisera les situations alors qu’elles ne sont pas similaires. L’espérance de vie d’un cadre et d’un ouvrier n’est pas la même. Cette réforme n’est donc pas juste, contrairement à ce qui est dit. Par ailleurs, la transition entre les deux systèmes risque d’être extrêmement longue, dans la mesure où beaucoup de gens ont déjà cotisé vingt ou trente ans avec l’ancien système. Il faudra un temps d’adaptation ».

Rappelons encore une fois que les promoteurs d’un système unique, voire universel, ont autre chose en tête que l'égalité de traitement. Rappelons aussi la faute politique, au vrai sens du terme, qui consiste à vouloir faire jouer aux systèmes de retraites ce pourquoi ils ne sont pas faits : ils ne peuvent à eux seuls corriger les injustices faites aux salariés durant leur vie active.

Le rôle d'un syndicat est d'améliorer les dispositifs de solidarité qui existent dans les régimes par répartition, particulièrement les dispositifs de réversion ou de majoration, de pensions comme de trimestres. Notre confédération restera vigilante et combative pour que la solidarité, interprofessionnelle et intergénérationnelle continue de produire des effets bénéfiques pour le plus grand nombre. Ça aussi, c'est la République sociale.

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