Organisations
SAP : un groupe sans unité de direction en France ?
Le 15 novembre dernier, le tribunal d’instance de Cannes a caractérisé SAP comme groupe sans unité de direction en France : « Si l’organisation de groupe ressort à l’évidence (…) avec la mise en place d’orientations stratégiques au niveau mondial, aucun élément n’y démontre une quelconque concentration de pouvoirs au sein de trois sociétés ».
Les trois sociétés en questions sont SAP France Holding, SAP France et SAP Labs France. La première, société consolidante du groupe en France, n’a pas d’activité propre. La deuxième commercialise les logiciels informatiques du groupe SAP et assure également une forte activité de recherche et de développement sur le territoire français. La troisième exerce une petite activité de recherche, de développement et de maintenance sur les logiciels SAP.
- Le 1er juin 2010, le tribunal d'instance de Paris a constaté l'existence d'une UES entre SAP France Holding et SAP France.
Le jugement peut étonner tous ceux qui sont en relation avec SAP. Mais ils seront encore plus surpris d’apprendre que c’est SAP qui a délibérément plaidé l’absence d’unité de direction devant le juge du fond.
Certes, il s’agissait de s’opposer à la demande de la CGT de SAP tendant à faire reconnaître une unité économique et sociale (UES) entre les trois filiales françaises du groupe informatique : « Les trois sociétés (…) ont déclaré que les conditions de l’unité économique n’étaient pas réunies sous prétexte que les pouvoirs de direction des trois sociétés n’étaient pas concentrées, qu’aucune identité ou complémentarité ne caractérisait leurs activités ».
Le jugement du tribunal et la position soutenue par SAP appellent plusieurs remarques. La vérité juridique issue du jugement du TI de Cannes témoigne d’une réalité peu connue du fonctionnement de SAP.
Organisation interne de SAP
Ainsi, dans l’ordre interne de SAP, Marc Genevois est le « MD de la MU » (« managing director » de la « market unit ») sur le territoire français. Il a sous sa responsabilité les équipes commerciales qui développent le chiffre d’affaires lié aux ventes de logiciels. Mais il n’est pas le chef des 500 développeurs de SAP France qui participent à la création des logiciels SAP. D’autre part, Marc Genevois a pour supérieur hiérarchique direct Frank Cohen, président de la structure EMEA (est, Moyen-Orient et Afrique) du groupe SAP.
L’organisation juridique de SAP montre une autre image. Le Kbis de SAP France indique que Marc Genevois est directeur général de la société SAP France. À ce titre, il est « investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société » selon l’article L225-56 du code de commerce. Marc Genevois est donc l’employeur des 1 500 salariés de SAP France, développeurs compris. Il est donc l’employeur de salariés qui ne sont pas sous sa responsabilité opérationnelle.
Par ailleurs, Frank Cohen est un salarié de la société SAP France. Marc Genevois a donc comme employé son responsable hiérarchique.
La société d’expertise comptable Syndex, agissant pour le comité d’entreprise, a identifié que les organisations transversales et matricielles compliquent le fonctionnement du groupe SAP et rendent particulièrement difficile la compréhension des structures de décisions. Les institutions représentatives du personnel vivent ce capharnaüm à chaque réunion d’élus. Les représentants du personnel sont rarement confrontés aux décideurs ; ce sont le plus souvent des cadres supérieurs, exécutants ou simples porte-paroles, qui représentent « la direction » en réunion du comité d’entreprise.
Dans une telle configuration, qui se répète à l’envi au sein du groupe SAP, il n’est pas aisé de démontrer une unité de direction autrement que par l’identification des flux financiers. Cependant le juge du fond n’a pas été sensible à cet argument ; il n’a pas reconnu d’unité de direction au sein du groupe SAP en France.
Le slogan « one SAP »
S’il n’y a pas de concentration de pouvoirs dans les filiales françaises, pourquoi y en aurait-il dans les filiales étrangères ailleurs dans le monde ?
SAP a plaidé l’absence d’unité économique et de direction. Son objectif consistait à contrer une demande syndicale. Il s’agissait d’éviter la définition d’une représentation du personnel adaptée au périmètre d’une UES appropriée.
SAP a su défendre l’image d’une gestion décentralisée à l’intérieur du groupe. Les sociétés d’un groupe ont des personnalités distinctes. Par conséquent, les engagements pris par une société n’engagent pas nécessairement les autres sociétés du groupe.
SAP a réussi à le démontrer devant un tribunal d’instance. SAP saura le refaire devant toute autre juridiction, commerciale ou administrative. Comme les salariés, les autres actionnaires, clients fournisseurs ou États pourront se voir opposer par SAP les arguments de la diversité des traitements et de l’autonomie de gestion de multiples entités au sein du groupe.