Organisations
Faut-il supprimer les syndicats ?
La lecture du dernier ouvrage de l’économiste américain James K. Galbraith, éclaire la nature des rapports qui peuvent exister entre ces conservateurs (fondateurs de l’économie libérale mondialisée) et les syndicats. Ces orthodoxes de l’économie prédatrice « ne reconnaissent pas aux syndicats le droit de tenir un rôle dans l’action publique et d’être invités à la table des négociations au moment où les conservateurs du monde entier en étaient arrivés à la conclusion qu’il serait plus simple et plus efficace de détruire le mouvement syndical que de coopérer avec lui » [1].
Pour les conservateurs partisans du marché libre, l’État c’est l’horreur ; seul le marché est bon. Or, l’État fort négocie avec les syndicats les droits sociaux et la répartition des salaires. L’augmentation des salaires est un frein aux profits. Ceux qui sont opposés au marché sont forcément contre. Il faut les détruire. C’est ainsi que les libéraux « ont créé une économie désyndicalisée, beaucoup plus inégalitaire qu’avant » [2]. Depuis sa naissance, le syndicalisme est devenu la proie de tous les prédateurs.
Ainsi, le syndicat ringard, qui ne comprend rien à la modernité du monde, qui est corporatiste et ne pense qu’à lui, source de conflit et de désordre, devient l’exutoire d’un peuple asséché d’espérance. Il se fond et épouse le plus souvent inconsciemment le langage du conservatisme le plus affiné pour libérer encore davantage les profits d’une économie toute puissante. Les États sont sous contrôle, les partis politiques se fondent dans « le possible » ; quant au peuple, il se noie dans le prêt-à-penser de ce libéralisme mondialisé. C’est le nouveau monde moderne.
Le monstre doux de Raffaele Simone [3], décrit parfaitement cette nouvelle forme de domination qui « dégraderait les hommes sans les tourmenter ». Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s'associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à « un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d'assurer leur jouissance (…) et ne cherche qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète. » [4].
Lorsque le message de cet intellectuel percute les tympans, il devient impossible de garder son verre de coca à la main et de regarder fixement les images qui défilent, tel un canard gras devant son entonnoir de maïs concassé.
Ou les soutenir ?
Le chemin du syndicalisme libre reste étroit.
D’un côté, l’oncle Milton de Galbraith [5] veut détruire les syndicats ; d’un autre, les partis politiques veulent les transformer à leur cause et la droite extrême veut les intégrer à l’appareil d’État.
Léon Jouhaux [6] répondra : « Si l’homme veut être une personnalité libre, les organisations qu’il constitue doivent, elles aussi, être des organisations libres ».
Le syndicalisme est une œuvre commune qui s’oppose par nature à l’individualisme.
Le « tous pareils » est une façon de justifier l’inertie et d’épargner le courage nécessaire qu’il faut pour s’extraire du conformisme ambiant, rechercher la vérité et la dire.
La condition de salarié ne peut passer ni par le combat du libéralisme prédateur, ni par l’aliénation à un parti, ni par l’intégrisme fascisant de la droite extrême, ni par la soumission du travail à l’individualisation du salaire, œuvre terminale du libéralisme exacerbé.
C’est à chacun des salariés de comprendre cela, d’engager son action pour conquérir sa liberté dans l’indépendance pour ne pas servir de chausse-pied aux prédateurs.
Rester immobile ne peut servir que les plus redoutables d’entre eux !
[1] James K. Galbraith, L’État prédateur, éditions le Seuil, septembre 2009, pp. 76-77.
[2] ibid., p. 78.
[3] Raffaele Simone, Le monstre doux, éditions Gallimard 2010.
[4] Raffaele Simone, extrait d’un entretien au journal Le Monde, 12 septembre 2010.
[5] J.K. Galbraith désigne ainsi Milton Friedman (chapitre 4, « La guerre de l’oncle Milton »), p. 71. Milton Friedman défendit le retrait des États du marché des changes et promut les taux de change flottants. Sa théorie : la réduction du rôle de l'État dans une économie de marché est le seul moyen d'atteindre la liberté politique et économique.
[6] Léon Jouhaux, prix Nobel de la paix en 1951, secrétaire général de la CGT depuis 1909, défendant sans cesse les principes de la charte d'Amiens de 1906, qui prônent l'indépendance syndicale vis-à-vis des partis politiques, de l'État et des Églises, il s'oppose aux différentes tentatives de contrôle du syndicat par la SFIO (en 1911) ou par les « bolchéviques » (en 1922). Il sera le président d’honneur de Force Ouvrière et père du Conseil Économique et Social, dont il sera le président jusqu’à sa mort en 1954.