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29 / 04 / 2011 | 38 vues
Philippe Jaeger / Membre
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Au secours : où sont les adhérents des syndicats ?

Malgré les fanfaronnades récurrentes des leaders syndicaux pour galvaniser les têtes blanches de leurs congrès respectifs en annonçant des développements foudroyants, des progressions à deux chiffres de leur nombre d’adhérents, des créations de nombreuses nouvelles sections syndicales et un nouvel enthousiasme de la jeunesse pour le fait syndical, les faits sont têtus : le taux de syndicalisation stagne depuis des années.

  • D’après une étude récente de la direction des études statistiques du Ministère de l’Emploi, le nombre de syndiqués actifs est de 1,7 million sur 22,5 millions de salariés, soit un taux de 7,2 %, l'un des plus faibles d’Europe, que se disputent 7 à 8 organisations syndicales majeures. Et ce taux ne va pas s’améliorer dans les années à venir.

D’après l’APEC, 120 000 fonctionnaires vont partir à la retraite tous les ans, soit au moins 600 000 fonctionnaires dans les 5 ans à venir. Comme dans ce secteur, le taux d’adhérents est d’environ 15 %, plusieurs dizaines de milliers d’adhérents, souvent militants et parfois de très haut niveau, vont partir sans être remplacés puisqu’il est prévu de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux et que les jeunes se syndiquent moins que leurs aînés.

Paradoxalement, le secteur privé est sur ce plan un peu mieux loti car il est « protégé » par son faible taux de syndicalisation et parce que les départs démographiques de ces prochaines années seront, au minimum, compensés, mais comment peuvent vivre les syndicats avec moins de 5 % de salariés adhérents ?

La désaffection des adhésions se traduit dans les difficultés de financement des syndicats. L’exigence de transparence financière de la loi du 20 août fait apparaître que les ressources des organisation syndicales dépendent trop peu des adhérents (30 à 60 % suivant les structures), alors même que les salaires chargés des permanents ne sont pas comptabilisés dans leur budget, avantageant ainsi les syndicats très implantés dans la fonction publique où il est beaucoup plus facile d’obtenir un détachement que dans le secteur marchand.

  • Conscientes de ce problème, toutes les organisations syndicales font des opérations de développement depuis des années en y investissant des millions d’euros, consacrent à la promotion syndicale des équipes de militants, des séminaires et des congrès entiers, avec le maigre résultat qu’on connaît : au mieux, une stagnation du nombre de leurs adhérents.

Toutes les organisations « tirent » donc les salariés vers l’adhésion, mais sans effet sensible car personne ne les « pousse » à se syndiquer. Et ce n’est pas trop difficile à comprendre car il suffit de se demander aujourd’hui en France quel intérêt a un salarié à se syndiquer ? La réponse est simple et dramatique : aucun ! 

En effet, tout au moins dans le secteur marchand, les accords interprofessionnels, les conventions collectives, les accords de branche et d’entreprise, l’assurance chômage, la retraite, l’assurance maladie, la prévoyance, pourtant négociés et gérés par les partenaires sociaux, bénéficient à tous les salariés sans distinction. C’est ce qu’on appelle en droit l’effet « erga omnes ». Alors pourquoi payer une cotisation et être souvent marqué du sceau de l’infamie quand cela se sait, puisqu’il suffit d’être salarié pour profiter de l’ensemble des accords et des bénéfices des systèmes mis en place par les organisations syndicales ? 

Ailleurs

D’autres pays souvent cités en modèle quant à leur taux de syndicalisation ont trouvé la parade à ce souci, avec des solutions différentes. En Allemagne, renommée pour son pragmatisme, les adhérents des organisations syndicales bénéficient des avantages des conventions collectives, pas les autres salariés.

  • Ceci se traduit concrètement par des salaires d’embauche pour les ingénieurs et cadres adhérents à la VAA (équivalent de la CFE-CGC chimie en France) d’environ 20 % supérieurs aux non-syndiqués. À cela se rajoutent des droits de préavis plus longs en cas de licenciement et des indemnités de non-concurrence de 100 % du dernier salaire pendant 2 ans. Avec un tel système, non seulement le taux de syndicalisation est de plus de 80 % mais le financement du syndicat peut reposer exclusivement sur les cotisations. 
  • Le Brésil finance les syndicats grâce à un système original mis en place le 1er mai 1943. Il y a d’abord une « journée  de solidarité » destinée aux syndicats : tous les salariés sont tenus, par le code du travail, de donner la rémunération d’un jour de travail par an. Le montant est prélevé directement sur la fiche de paye par l’employeur, cadres supérieurs compris, et versé au syndicat. De plus, une « cotisation d’assistance » est fixée après chaque signature d’un accord d’entreprise. Le montant de la cotisation est décidé par une assemblée générale de salariés. Cette assemblée reconnaît l’efficacité du syndicat et évalue le bénéfice de l’accord pour les salariés. En général, la cotisation varie de 3 à 10 euros par accord et par salarié. Cette cotisation rendue obligatoire par l’assemblée générale est prélevée sur la fiche de paye de tous les salariés qu’ils soient syndiqués ou non. 
  • Les pays du nord de l’Europe réservent aux adhérents des syndicats l’assurance chômage ou encore des systèmes de protection sociale : mutuelle, prévoyance. Là aussi, le taux de syndicalisation est enviable par rapport à la position française.

La clause oubliée de la position commune

Il y a donc urgence pour tous les syndicats français, d’abord ceux qui ont une forte représentation dans le public, mais aussi pour les autres, à trouver de nouveaux adhérents.

Les confédérations pourraient alors disposer d’un vivier de militants convaincus dans lequel elles pourraient détecter des responsables qualifiés pour faire vivre ce corps intermédiaire de la démocratie que tout le monde appelle de ses vœux, sans pour autant lui donner les moyens d’être pertinent et efficace. La loi du 20 août 2008 sur la représentativité aurait pu apporter une solution à cette désaffection syndicale. 

  • En effet, la position commune du mois d’avril 2008 qui a présidé à la rédaction de la loi, comportait une clause qui stipulait que les signataires constitueraient un groupe de travail paritaire pour examiner et faire des propositions sur le développement des adhésions aux organisations syndicales. Mais la loi sur la représentativité a « oublié » cette disposition alors qu’elle a transposé pratiquement mot à mot tous les autres paragraphes de la position commune.

Et deux ans et demi après, aucune initiative n’a été prise dans ce domaine, ni par les deux organisations syndicales de salariés signataires, ni par le MEDEF ou la CGPME pourtant les premiers à prôner l’intérêt de l’adhésion, sur laquelle repose effectivement leur propre représentativité, d’organisations d’employeurs !

  • Cette position commune précisait aussi que « la réservation de certains avantages conventionnels aux adhérents des organisations syndicales de salariés pourrait constituer une piste à explorer de nature à développer les adhésions syndicales ».

Pas de rupture d'égalité

Pourquoi donc ne pas réserver le bénéfice de certains accords d’entreprise, aux adhérents des organisations syndicales représentatives ? À ceux qui verraient dans cette rupture de l’effet « erga omnes » une atteinte à la liberté individuelle de se syndiquer ou une rupture d’égalité, nous rappelons qu’à l’image d’accords de branche non étendus qui ne profitent qu’aux salariés des entreprises adhérentes à la chambre patronale, ce principe laisse au salarié le choix ou non d’adhérer et n’est pas coercitif. Les effets bénéfiques collatéraux de la mise en place d’un tel principe seraient nombreux :

  • décomplexer l’adhésion syndicale puisque chaque salarié devrait se déclarer à son employeur avec la légitimité difficilement contestable de vouloir bénéficier d’un accord collectif ;
  • enclencher le principe d’un cercle vertueux qui renforcerait plutôt les syndicats signataires d’accords intéressant vraiment les salariés en s’éloignant de considérations politiciennes ou dogmatiques ;
  • assurer un financement des organisations syndicales sur un socle prépondérant de cotisations.

Les syndicats pourraient alors solliciter des militants et des responsables, à partir d’une base d’adhérents désormais conséquente, qui pourraient pratiquer un dialogue social constructif et responsable au niveau des entreprises, des branches et de l’interprofessionnel et contribuer efficacement à faire vivre ce corps intermédiaire indispensable à la démocratie. Il ne resterait alors aux organisations syndicales qu’à être les plus attractives et séduisantes pour attirer le plus grand nombre d’adhérents parmi les salariés désormais motivés et décomplexés pour se syndiquer.

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