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25 / 01 / 2011 | 3 vues
Marie Christine Soula / Membre
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Inscrit(e) le 21 / 04 / 2009

Risques psychosociaux : une fédération peut-elle fédérer dans tous les cas ?

Le mois de décembre 2010 a vu naître une nouvelle fédération : la FIRPS (fédération des intervenants en risques psychosociaux). Cette création nous conduit à quelques réflexions quant à la possibilité de fédérer les différents acteurs de la santé au travail.

Depuis 2002, la santé au travail a découvert un nouveau type de risques : les risques psychosociaux. Depuis 2009, le terme est omniprésent dans la sphère médiatique. Cependant, comme le rappelle (Combalbert, Favard & Bardouil-Lemaire, 2008). Il ne fait pas l’objet d’une définition standardisée. L’une des explications possibles est la multitude d’approches touchant à cette problématique.

Un effort de taxonomie ou classification reste donc à faire. Pour aller dans ce sens, nous allons présenter les niveaux d’analyse. Leur prise en compte permettra de créer un dialogue sur les points communs et les spécificités de chacune des approches.

  • Il nous semble qu’une telle démarche permettrait d’arriver, à terme, à une unité qui passera nécessairement par la pluridisciplinarité.

De l’individuel au collectif : les niveaux d’analyse

La première dimension est celle présentée par Doise (1982), qui distingue quatre niveaux d’explication en psychologie sociale. Ces niveaux peuvent néanmoins être appliqués à l’analyse d’une problématique particulière. Ainsi, les risques psychosociaux peuvent être analysés au regard d’un niveau intra-individuel, d’un niveau inter-individuel, d’un niveau positionnel ou situationnel et d’un niveau idéologique.

  • Au niveau intra-individuel, on va s’intéresser aux déterminants individuels, aux processus que l’individu isolé met en œuvre dans la perception de son environnement de travail et dans l’action sur celui-ci.
  • Au second niveau d’explication (inter-individuel), c’est l’interaction sociale au travail qui va être étudiée. L’individu pourra être observateur, acteur ou co-acteur... L’interaction est étudiée en temps qu’unité. C’est-à-dire que les explications ne vont pas prendre en compte les rôles ou les significations que portent les individus en dehors de cette interaction.
  • Au niveau positionnel, on prend en compte les rôles sociaux des individus, on s’intéresse alors à leur position sociale, qui renvoie plus largement aux rapports inter-groupe.
  • Au niveau idéologique, on s’intéresse aux dimensions socio-historiques en jeu dans les rapports sociaux. On va s’intéresser aux représentations, aux croyances et aux normes qui justifient et maintiennent les rapports sociaux.

Cette catégorisation est particulièrement pertinente pour les risques psychosociaux, car comme le rappelle Alain Lancry (2009), les RPS sont la résultante de trois éléments : une personne avec son histoire, son vécu, sa personnalité ; une situation c’est-à-dire à un environnement social, à des conditions de travail, à l’activité du travail ; une structure de travail (organisation, mode de management, culture...).

Ainsi, nous pouvons passer d’une analyse organisationnelle et sociologique des RPS au sein d’une entreprise, à une approche centrée sur les difficultés psychiques des collaborateurs en souffrance dans cette structure.

À un niveau intermédiaire (qui n’est en aucun cas un compromis), une analyse centrée sur les différences d’adaptation et d’ajustement des individus aux contraintes organisationnelle est réalisable. Cette dernière approche est dite « transactionnelle ».

Des exemples d’approche selon les niveaux d’analyse

  • Approche psychosociologique

La psychologie sociale est la discipline qui étudie l’influence d’autrui sur l’individu. L’influence que peut exercer autrui va toucher les pensées et les comportements de l’individu. Autrui est ici à entendre au sens large, il peut être réel, imaginaire, implicite ou explicite. Serge Moscovici (1984) précise cette définition en proposant un cadre à l’analyse psychosociale. Pour lui, c’est un regard particulier sur les faits qui la caractérise. Il avance qu’il existe une relation entre l’individu et le monde. Cette relation sera médiatisée par autrui. Dans le cas des risques psychosociaux, c’est la relation entre un individu et son travail au sens large qui va retenir notre attention et plus précisément la médiatisation par autrui de cette relation.

  • Approche transactionnelle

À un niveau inter-individuel on peut envisager une approche transactionnelle (Bruchon-Schweitzer, 2002)  donc le but est d’analyser la différenciation des comportements de santé en fonction des situations (ici de travail). Celle-ci prend à la fois en compte les facteurs environnementaux, les facteurs individuels, ainsi que les facteurs processuels (les transactions entre l’individu et environnement). Elle met  à la fois en avant les effets directs des variables individuelles et environnementales sur l’état de santé, mais aussi les effets indirects au travers de processus transactionnels qui pourraient moduler l’effet des antécédents environnementaux et individuels.

Les perspectives centrées sur l’individu vont surtout appréhender les difficultés psychologiques des individus en souffrance afin de leur proposer des aides psychothérapeutiques adaptées. La difficulté est que cette approche reste centrée surtout sur l’individu et rentre principalement dans le cadre de prévention secondaire à caractère individuel.

Des exemples d’approche selon les outils théoriques

Au-delà des niveaux d’analyse, les approches diffèrent quant aux fondements théoriques liés aux fonctionnements psychologiques /psychiques des individus.

  • Approches cognitivo-comportementales

D’autres démarches sont centrées sur l’analyse des comportements et des pensées des individus. Ces approches cognitivo-comportementales posent les comportements et les pensées comme des « faits » à analyser (qu’ils soient explicites ou subjectifs). Dès lors, il suffira dans cette démarche de déterminer quand les comportements et les pensées liés à la souffrance apparaissent et quand ils disparaissent. L’analyse est donc centrée sur la subjectivité rationnelle et consciente des individus.

  • Approches psychodynamiques

D’autres approches centrées sur l’individu ne vont pas se fonder sur l’étude de mécanismes cognitifs d’adaptation mais sur une approche globale de chaque sujet. Ces approches psychodynamiques mettent en évidence le rôle fort de la construction identitaire par le travail et ont permis de mettre en évidence que lorsque le plaisir au travail n’était pas atteint, apparaissait la « souffrance » (Souffrance en France, de Christophe Dejours).
En complément, Yves Clot permet d’analyser la clinique de l’activité du travail et d’apporter une autre vision enrichie de l’évaluation de l’existant du vécu de travail.

Enfin, les approches peuvent différer quant à l’objet considéré. Par définition, les risques psychosociaux supposent que l’on soit centré sur une analyse de la souffrance, du stress des difficultés. Or, dans un second temps, il est possible de se concentrer sur des aspects non pathologiques et/ou pathogènes. Nous pourrions alors envisager de parler de bien-être au travail, de qualité de vie, ce qui nécessiterait un autre article.

  • N’oublions pas d’autres approches, telles les analyses économique (coût/efficacité production) juridique, philosophique… Mais cette liste ne se veut pas exhaustive et doit être développée par les professionnels en question.

Utilités de la complémentarité des approches


Le « travailler ensemble » a pour objectif de renforcer l’efficacité collective et d’être au service de l’existant du travail et de le mettre en visibilité.

Une action de prévention efficace démarre par une analyse de la demande et du constat de l’existant de l’entreprise, son histoire, ses valeurs réelles ou prescrites…

Globalement, la prévention de risques professionnels nécessite des approches diversifiées. Les risques classiques (tels les risques physiques ou chimiques) peuvent rentrer dans des cadres d’évaluation normés avec une approche sans discussion possible autour de la quantification du danger, du facteur de risque, voire de la probabilité d’apparition du risque ou de sa récurrence.

Les risques psychosociaux, du fait de leur présence dans des contextes souvent difficiles en entreprise, doivent pouvoir être abordés avec des concepts différents, des professionnels utilisant des règles de métiers différentes, respectant les limites de leur activité et de leur déontologie.

C’est la confrontation des idées, des pratiques et des techniques qui permet de faire évoluer les pratiques, surtout dans un domaine d’action lié aux risques psychosociaux, à l’interface entre le subjectif et l’objectivable.

Les risques psychosociaux sont à la croisée entre des données issues de l’individuel, du collectif de travail, du contexte économique, social (voire sociétal), ceci imposent donc des abords possibles complémentaires et variés. Le dialogue social est inévitable à ce stade afin de prendre en compte toutes les facettes et toutes les dimensions individuelles et collectives du travail quels que soient la méthode et les concepts utilisés.

Fédérer, organiser des intervenants en RPS


Un bref retour sur les définitions s’impose :

  • une fédération a pour but de réunir les pratiquants d’un sport ou d’une activité, les acteurs d’une pratique professionnelle à une échelle donnée. Fédérer, c’est rassembler, regrouper pour unir, aller ensemble.
  • Un syndicat est une association qui regroupe des personnes physiques ou morales pour la défense ou la gestion d’intérêts communs.
  • Étymologiquement, un club désigne des groupements de personnes qui souhaitent se regrouper en vue d’une action commune.
  • Une société (du latin « societas ») est un rassemblement d’individus qui se trouvent ainsi unis.


Le choix de la fédération, qui a été fait par les créateurs de la FIRPS, impose une réflexion, une mise en débat et un élargissement afin de réellement « fédérer » les différents intervenants, ou son activité risque de s’assimiler à celle d’un club. Allons-nous nous donner les moyens et l’opportunité de réellement « fédérer » ?

Tous les acteurs « intervenant » en entreprise sur les risques psychosociaux y trouveront-ils leur « compte », leurs « ressources », leurs « repères », leur lieu de dialogue, d’échange, afin d’être au service de l’entreprise et de la préservation de la santé des salariés ?

Les enjeux

En 2011, les enjeux vont être de taille. La réforme des retraites a amené la pénibilité du travail sur le devant de la scène, et cette problématique va devoir s’ajouter ou être complémentaire à celle des risques psychosociaux.

De même, les débats sur le temps de travail vont entraîner un investissement encore plus important de la santé au travail.

Afin de pouvoir relever ces défis, il semble nécessaire de sortir des querelles théoriques et méthodologiques, afin de proposer des définitions claires et précises des différentes notions liées à la santé au travail. En effet, les travaux de Simon ont déjà mis en évidence que la définition des problèmes était une étape cruciale dans leur résolution. Pour finir, rappelons que « toute vie est résolution de problèmes » (Popper, 1999).

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La prévention des RPS et en particulier celui lié au harcèlement moral justifie l'intervention de médiateurs (cf. blog Michel Augras Harcèlement moral et médiation). Les médiateurs professionnels (www.cpmn.info) sont des interlocuteurs naturels des entreprises dans le domaine des RPS. Ils peuvent également participer de la démarche initiée par la FIRPS.

Michel Augras