Former les dirigeants à la garde à vue sur le budget formation n'est pas éthique
Utiliser le budget de formation de l'entreprise pour former ses dirigeants à la garde à vue me choque profondément.
Un de mes « amis » m'a recommandé la lecture d'un livre parmi d'autres qui fleurissent comme muguet au mois de mai : Vade Mecum de la garde à vue pour dirigeants, en 33 questions et réponses pratiques (Haas Société d'Avocats).
Pour bien vendre ce guide pratique pour dirigeants « stressés », le site met en exergue le nombre de gardes à vue (chiffre que je n'ai pas vérifié car ce n'est pas mon propos ) : « 500 000 gardes à vue chaque année... Du verre de trop à l'ABS, connaissez vos droits avant ! »
Les débats sur la réforme de la garde à vue, les mises en garde à vue de dirigeants et de journalistes avec fouille au corps etc., bref toutes ces affaires qui font la « une » des médias rendent ce sujet porteur, et certains n'ont pas hésité à s'y engouffrer en proposant des formations pour préparer les responsables d'entreprise à la garde à vue.
Sur Rue89 qui a consacré un article sur le sujet, on peut lire : « Ce type de prestation a le vent en poupe ».
À la tête de Parthenia (une société de conseils aux entreprises), François Beauchêne, un ancien directeur juridique de grands groupes français, a lancé un séminaire intitulé : « Le dirigeant et la garde à vue ».
Créée il y a deux ans, cette formation marche de mieux en mieux. Pourtant, comme il le note : « En France, c'est encore assez mal vu. C'est comme si on avait quelque chose à se reprocher ».
Encore une fois, mon propos n'est pas de débattre du nombre, des conditions ou de la nécessité de réformer la garde à vue, car je laisse aux spécialistes le soin de le faire (je recommande l'interview de Maître Eolas sur le sujet - Le Monde du 16 février 2010, ainsi que la visite de son blog), mais d'attirer votre attention sur un phénomène nouveau qui me choque profondément au niveau éthique : à savoir que les dirigeants d'entreprise n'hésitent pas à prélever sur le budget de la formation continue de l'entreprise pour se « former » à la garde à vue .
Qu'ils le fassent sur leur deniers personnels, je n'ai rien à redire, mais utiliser le budget de formation de l'entreprise, qui n'est pas un budget extensible et qui répond à des exigences légales et réglementaires, me choque profondément.
Bien que cette utilisation ne soit a priori pas illégale, le budget de formation doit à mon sens être utilisé dans l'intérêt général de l'entreprise et non pour « préparer » les cadres dirigeants à une éventuelle garde à vue...
Voici le programme de formation proposé par Parthénia...
Coût : aux alentours de 800 euros pour une journée de « formation » en groupe (les coûts sont bien évidemment plus élevés pour une formation intra muros, dans l'entreprise).
- Préparer de façon pragmatique les membres du client à vivre cette situation inhabituelle (déroulement de la garde à vue, conduite à tenir, réactions à éviter, pratiques et usages de ses interlocuteurs etc.).
- L’informer de ses droits et du déroulement de la procédure, afin de diminuer l’appréhension et le stress induits par ce type d’épreuve.
- L’armer psychologiquement pour contrer les réactions psychologiques contre-productives, être le plus efficace et en contrôle possible, être résilient.
Il s’agit d’une action d'adaptation et de développement des compétences et d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances (article L 6313-1 à 11 du Code du Travail).
Matin :
1/ Décryptage d'une GAV
- Ça n'arrive pas qu'aux autres.
- La 4ème dimension juridique.
- Le film.
Après-midi :
2/ Maître de soi face à des maîtres du jeu : le triangle des Bermudes psychologique.
- Rester le pilote dans l'avion.
- Garder le cap.
Intervenants
François Beauchêne, PDG de Parthenia, ancien directeur juridique de grandes entreprises comme les AGF, la Société Générale ou AXA, ayant lui-même vécu 20 GAV à titre professionnel et ayant préparé de nombreux dirigeants dont Claude Bébéar (ancien PDG d’AXA) à la GAV.
Nelly Soussan, PDG de The Coach, coach, consultante et formatrice pour dirigeants, VIP et équipes, spécialisée dans le développement des aptitudes humaines à gérer les crises et les risques.
Sur Rue89, on peut encore lire : « Ce genre d'exercice n'est pas du goût de tous ». Sylvie Feucher du syndicat des commissaires de la Police Nationale trouve que « tout cela, c'est un peu de la poudre aux yeux. Dans les affaires financières, quand il y a une GAV, c'est que le dossier est déjà bouclé ».
L'enjeu pour le gardé à vue n'est donc pas très important. « Ça me fait sourire. Il y a certainement plus utile que de faire du commerce avec ça », ajoute Yannick Danio, délégué national du syndicat Unité SGP Police.
Mais l'engouement est là. Pourquoi ? L'avocate Marie-Laure Ingouf, du cabinet Montbrial rappelle le contexte : « Longtemps, les dirigeants se sont crus à l'abri. Puis, avec des juges comme Eric Halphen, Eva Joly, Renaud Van Ruymbeke, beaucoup d'affaires ont éclaté dans les années 1990. Maintenant, il y a une vraie lutte contre la délinquance financière ».
Personnellement, j'interpelle les dirigeants d'entreprises sur l'utilisation du budget pour ce type de formation d'un genre bien particulier !
Et si on préparait les salariés à perdre leur job ?
En temps de crise, le risque de licenciement et de chômage est plus important que le risque de mise en garde à vue...
Tous les salariés sont aujourd'hui sous pression à l'idée de perdre leur emploi. Alors pourquoi ne pas les mettre en situation et les préparer psychologiquement à cette éventualité ? Ils travailleraient peut-être de manière plus détendue et seraient plus performants ! L'idée n'est pas plus absurde que celle de préparer psychologiquement les dirigeants à une garde à vue !
Oui mais voilà... Les risques de garde à vue touchent les dirigeants, alors que les licenciements sans parachute doré touchent les sans-grade et j'entends par là tous ceux qui sont dans le même bateau et qui font les frais de la crise : ouvriers, employés, cadres...