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15 / 09 / 2014 | 16 vues
Roman Bernier / Membre
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Les véritables enjeux des négociations sur Transavia

Huit ans de colère, d’impuissance, de concessions et de négociations

 

Au bout du compte, qu’ont-ils gagné ? Pour les pilotes d’Air France, la lumière au bout du tunnel tarde à paraître. Le fait est que chacun est à bout. Certains viendront probablement arguer que les pilotes français ont la « vie facile » par rapport à leurs homologues servant sur d'autres compagnies à bas coût, que les conditions salariales auxquelles ils aspirent sont d’une autre époque.

Ce serait mal connaître la situation complexe du marché des pilotes, auquel on ne s’intéresse souvent qu’à l’aune de révélations médiatiques sur tel ou tel plan social, de grèves nationales, dont les conséquences ne vont d’ailleurs pas plus loin que la grève suivante.

Qui aujourd’hui sait que les jeunes pilotes s’endettent tellement qu’ils vivent seulement dans l’espoir de pouvoir rembourser leurs emprunts un jour ? Qu’ils accumulent crédit revolving sur crédit revolving pour garder la tête hors de l’eau ?

Si ce n’est pas encore le cas en France, c’est déjà la réalité de beaucoup de jeunes aux Pays-Bas et ailleurs (voir le livre de Nienke Groenendijk, interviewée ici en anglais).

Souvent travesti en un banal conflit entre direction et salariés, ce pour quoi les pilotes d’Air France semblent vouloir se battre aujourd’hui, c’est une conception du métier de pilote à l’échelle européenne. Une base unique, celle d’un contrat Air France, qui tirerait vers le haut la profession battue en brèche ces dernières années. Mais (et c’est là que le bât blesse) les pilotes se battent pour un modèle qui n’existe déjà plus et avec lequel ils ne pourront pas, de facto, renouer.

 

Si le modèle est mort, c’est qu’il faut le réinventer

Certes, la situation des pilotes n’est pas très enviable. Pour autant, les pilotes d’Air France n’ont guère à rougir de leur direction. Si on la compare avec celle de Lufthansa, il n’y a qu’à voir comment cette dernière agit à la hussarde, en menaçant purement et simplement de se délester de Germanwings en cas d’échec ou en supprimant les retraites de son personnel.

En outre, le leadership de leur compagnie est aujourd’hui trop menacé sur ses terres pour ruer dans les brancards et rompre le dialogue. Le SNPL le sait : c’est certainement pour cette raison que les négociations se poursuivent avec la direction, malgré l’annulation de la réunion avec les salariés, comme nous informe dans un tweet la journaliste d’iTélé Nassira El Moaddem.

En outre, la lecture que l’on fait des relations actuelles avec les pilotes semble tronquée.

D’une part, parce que la position du « PNT » n’est pas une et indivisible : sur le sujet du contrat unique, ses membres ne sont pas unanimes, comme la séparation avec les pilotes de Hop, prêts à voler « gratuitement » pour minimiser les effets de la grève, le démontre.

D’autre part, parce que, malgré les désaccords, la position de la direction d’Air France–KLM est celle d’un dialogue constant, entrecoupé de durcissements mais qui appelle davantage à la construction commune qu’au piétinement des droits de son personnel.

Alors que faut-il comprendre ?

Dans leur colère et leur désespoir, les pilotes se tournent vers la direction qui leur laisse de faibles marges de manœuvre, car elle n'en a pas. La révolte n’en est pas moins contre-productive.

Objectivement, si Air France–KLM veut se réinventer et surtout être compétitive, cela passera forcément par un développement paneuropéen d’une Transavia indépendante, à l’image de Vueling au sein d’IAG, et d’une rationalisation des missions Hop/Air France.

Même en faisant cela, le groupe continuera de subir la pression exercée de chaque côté par les compagnies du golfe sur le long-courrier et les compagnies à bas coût sur le moyen-courrier, sur un secteur amené à être plus compétitif.

Certes, le mode de vie des pilotes comme on le connaît est mort : c’est qu’il faut désormais le réinventer. Cela ne signifie pas qu’il faudra tirer un trait sur la justice sociale, qui devrait être, inlassablement, le cheval de bataille de tout le personnel et de la direction dans un secteur où cette notion est de plus en plus malmenée. La construction de ce nouveau modèle passera par une douloureuse réduction des coûts et une uniformisation des métiers à l’échelle européenne, dans lesquelles les pilotes d’Air France ne pourront pas se prévaloir d’une position supérieure aux autres.

Mais c’est quand même encore mieux que de vivre dans un camping-car six mois dans l’année pour éviter de se faire débusquer par la gendarmerie, ou de devoir signer des contrats singapouriens pour pouvoir exercer sur le long-courrier, comme cela se passe ailleurs.

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