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09 / 07 / 2015 | 7 vues
Catherine Ferrière / Membre
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Le projet de loi Rebsamen cherche-t-il à marginaliser le bilan social ?

La rationalisation des informations-consultations du comité d’entreprise est souhaitée par la quasi-totalité des représentants du personnel. Diverses options sont possibles pour le faire. La plus naturelle serait d’opérer un regroupement sur la base de la date de disponibilité des documents sur lesquels le CE doit se prononcer.

Or, le projet de réforme Rebsamen fait une impasse totale sur les questions de calendrier. Il propose un regroupement thématique qui a pour premier inconvénient une segmentation rigide entre les thèmes « situation économique et financière », « orientations stratégiques » et « politique sociale », alors que leur mise en perspective est indispensable pour produire des analyses pertinentes. À titre d’exemple, les élus du CE devront, de fait, désormais dissocier « comptes de l’entreprise » et « indicateurs sociaux ». Ceci ne semble pas très approprié, lorsque l’on connaît les questions qu’ils se posent : les effectifs ont-ils évolué dans la même proportion que l’activité ? Comment se répartissent les gains de productivité ? Que représentent les montants perçus par l’entreprise au titre du CICE, comparativement aux augmentations de salaires ? Quel est le poids des rémunérations les plus élevées dans les frais de personnel ? Etc.

Enjeux de calendrier

La dimension chronologique ne peut pas passer au second plan.
Revenons maintenant aux enjeux de calendrier : il n’est pas raisonnable de décider « d’en haut » d’un regroupement des consultations en 3 thématiques, sans se préoccuper des dates de disponibilité des informations concernées. Si l’on se réfère au droit européen, comme au droit français, il importe que les consultations soient effectuées « en temps utile ». De notre point de vue, une consultation, lorsqu’elle est trop tardive, ne répond plus à cette exigence légale. La dimension chronologique ne peut donc pas passer au second plan. S’agissant du bilan social, obligatoire pour les entités d’au moins 300 salariés, cette négation des réalités de terrain n’est pas neutre puisque ce document se trouve désormais marginalisé dans une consultation fleuve (la « consultation annuelle sur la politique sociale ») et perd de son intérêt puisque d’évidence, ladite consultation interviendra tardivement.

  • Il ne s’agit pas d’un sujet mineur. En effet, le bilan social, est solidement installé dans le décor de l’entreprise comme outil privilégié du dialogue social. C’est d’ailleurs à cette fin qu’il a été créé par la loi du 12 juillet 1977, dans la continuité du rapport Sudreau de 1975 sur la réforme de l'entreprise. Pour le patronat de l’époque, l’instauration d’un véritable dialogue social s’imposait : l’objectif était d’éviter un nouveau mai 68. Dans ce contexte, le bilan social se fixait dès l’origine comme finalité « de donner une base chiffrée au dialogue entre les partenaires de l’entreprise, permettant de mesurer l’effort accompli en la matière et de mieux situer les objectifs ».


Cet objectif de « dialogue social », inhérent au bilan social, correspond à l’objectif affiché du projet de loi Rebsamen. Pourtant, il n’en est rien : ce dernier passe à la trappe l’actuel article L2323-72 du Code du travail qui stipule que le CE doit disposer de ce document au plus tard le 15 avril (15 juin pour les CCE). En levant la contrainte calendaire, il rend la date de publication du bilan social aléatoire, avec les conséquences que chacun peut deviner...

Signe de l’importance que le législateur accorde à ce jour au bilan social, l’article L2328-2 du Code du travail lui est spécifiquement dédié en matière de délit d’entrave. L’utilité de ce document n’est plus à démontrer. Les représentants du personnel l’attendent avec impatience, ne serait-ce que pour cerner dans le détail l’évolution des effectifs et du recours aux travailleurs précaires. Ou encore pour connaître le montant des 10 rémunérations les plus élevées.

Symptomatique de la solidité de l’ancrage du bilan social dans la pratique des élus, l’ouvrage le plus récemment publié sur les comités d’entreprise [1] lui consacre un chapitre entier, avec notamment pour conclusions que « le bilan social constitue, pour les représentants du personnel, un excellent outil pour argumenter face à la direction » et que « le CE doit s’assurer que son expert comptable intègre le bilan social dans ses analyses et le met en corrélation avec les données financières dont il dispose ». Cette dernière recommandation illustre très à propos les méfaits d’une segmentation des consultations enfermant les problématiques sociales dans un bloc à part.

À travers le projet de loi Rebsamen, le ministère du Travail mésestime l’intérêt du bilan social. Gageons que le seul objectif ne soit pas d’alléger les règles légales, jugées trop contraignantes pour les employeurs, en espérant naïvement que ceux-ci daigneront créer des emplois en contrepartie...


[1] Élus du comité d'entreprise : les bonnes pratiques, par Olivier Sévéon, Éditions Gereso (guide paru en février 2015).

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