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Santé et assurance : Mutations décrypte les effets de l’intelligence artificielle
Comment l'intelligence artificielle (IA) modifie-t-elle la relation client en assurance ? Faut-il craindre une individualisation du risque ? Quelles sont les applications en santé ? Dans son numéro de janvier 2019, le magazine Mutations, édité par la Mutualité Française, s'est plus particulièrement intéressé aux effets de l'intelligence artificielle en matière de santé et d’assurance.
Paula Ferreira, de l'Agence fédérale d’information mutualiste (AFIM), en a fait une synthèse intéressante. Le monde de l'assurance, qui brasse un grand nombre de données, est touché par l'arrivée d'une vague d'algorithmes innovants. Leur traduction concrète modifie notamment la relation client, à l'instar des serveurs d'e-mails automatiques. « Le jour même de sa mise en place, notre solution a permis de diminuer de 90 % les tâches de réattribution d'e-mails à la bonne personne », se félicite Christophe Dany, cofondateur et président d'OWI, une société spécialiste du traitement automatique du langage (TAL) qui accompagne des mutuelles et des assureurs français. Cette technologie a également contribué à la multiplication des chatbots, des agents conversationnels pouvant tenir une conversation avec un client et lui fournir une réponse adaptée, comme s'il s'agissait d'une personne réelle. Par exemple, la MGEN fournit des conseils de vie quotidienne via un chatbot conçu par la start-up Jam à ses adhérents étudiants. En dépit de ces innovations, les effets de l'IA ne bouleversent pas encore le cœur de métier des assureurs, c'est-à-dire le calcul actuariel et la tarification des produits. « Nous avons toujours utilisé des algorithmes. Ce qui change, c'est leur complexité », témoigne David Dubois, président de l'Institut des actuaires. « L'IA permet simplement d'objectiver davantage », précise-t-il. « Pour l'instant, il n'y a pas de traduction dans le monde de l'assurance de prouesses telles que la victoire AlphaGo sur le champion de jeu de go Lee Sedol en 2016. Ou s'il y en a, je ne l'ai pas croisée », ajoute Djamel Souami, président de l'Union des directeurs de l'assurance et de la protection sociale.
C'est davantage la complémentarité entre le travail de l'humain et l'IA qui semble source d'opportunités. Ainsi, Axa XL, une division du groupe Axa dédiée aux grandes entreprises et à leurs risques, recourt à l'IA pour traiter automatiquement des rapports de 50 à 100 pages rédigés par des ingénieurs préventionnistes. Il peut y avoir plusieurs rapports par client. « L'IA lit tous ces documents et en tire un sommaire du risque sur une page où se trouvent toutes les données. Nous comptons utiliser la même technologie pour analyser notre portefeuille de contrats », indique Hélène Stanway, digital leader chez Axa XL. Ces évolutions doivent s'accompagner de pratiques éthiques pour éviter toute discrimination. Outre-Atlantique, « il n'est pas choquant de voir que, sur certains marchés, les consommateurs sont sélectionnés sur la base de leur risque et que ceux qui ont le meilleur risque paient moins cher », observe David Dubois. Les États-Unis constituent aussi l'Eldorado des « assurtechs », des start-ups qui s'appuient sur l'IA pour proposer aux assureurs des solutions visant à détecter les fraudes. Pour éviter les dérives, « l'Europe a mis en place l'environnement le plus protecteur au monde, garantissant le droit à la protection des données personnelles », rappelle David Gruson, fondateur de l'initiative Ethik-IA et membre du comité de direction de la chaire santé de Sciences Po Paris. En France, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a complété le dispositif juridique. « Recueillir le consentement éclairé et informer sur l'usage des données est capital, si l'on souhaite que l'intelligence artificielle devienne un projet de société », estime Anne-Charlotte Cornut, rapporteur de la mission Villani « Donner un sens à l'intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne ».
Mais David Gruson met en garde : « Une lecture trop formaliste du RGPD risque de ralentir le partage des données les moins sensibles, donc de freiner les gains de qualité et d'efficience du système pour les patients, et de ne pas être assez attentif à une protection des données renforcée de celles qui le sont ». Pour lui, toutes les informations ne se valent pas : « Entre celles du smartphone et celles du génome, il y a une grande différence ». En Chine, pays qui s'est fixé comme objectif de « devenir leader mondial de l'IA en 2030 », le marché de la santé numérique « s'est rapidement élargi à partir de 2014, générant plus de 10 milliards de yuans (soit 1,27 milliard d'euros) en 2017 », note Aifang Ma, doctorante et enseignante au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po Paris. « La santé est le domaine prioritaire de l'application de l'IA », déclare-t-elle. En France, l'utilisation de l'IA en santé est également en plein essor. Le reportage du trimestriel Mutations est consacré à une équipe de chercheurs de l'institut Gustave-Roussy (Val-de-Marne). Leurs travaux consistent à déterminer un score prédictif de l'efficacité d'un traitement par immunothérapie chez les patients atteints d'un cancer. Le modèle permettant de réaliser cette prédiction a été conçu en coopération avec Centrale Supélec, la start-up TheraPanacea, l'INSERM et l'Université Paris-Sud. « Les tumeurs peuvent renfermer des globules blancs, les lymphocytes T, qui sont les principaux acteurs de la réponse immunitaire. Mais ceux-ci sont inhibés par les cellules cancéreuses. En les réveillant, l'immunothérapie restaure la capacité du corps à éliminer ces dernières », explique le Professeur Éric Deutsch, chef du département de radiothérapie de Gustave-Roussy. Étant donné que cette thérapie ne fonctionne que dans 15 à 30 % des cas, il importe de savoir lesquels. « L'analyse combinée d'un grand nombre de données, qui appartiennent à des espaces disparates, comme un séquençage génomique, un scanner, l'historique du patient ou son histologie, n'est pas réalisable par le cerveau humain », assure Nikos Paragios, professeur de mathématiques à Centrale Supélec et fondateur de TheraPanacea. Autre illustration des apports de l'IA en médecine : un télésuivi plus efficace des patients porteurs d'un pacemaker ou d'un défibrillateur connecté, grâce à la start-up d'informatique médicale Implicity.
« Jusqu'à présent, les médecins pouvaient se retrouver noyés par une masse d'informations issue des dispositifs médicaux connectés », raconte Arnaud Rosier, cardiologue et docteur en informatique. Pour le fondateur d'Implicity, « le tri effectué par les algorithmes évite 84 % des alertes inutiles » et permet au contraire « d'immédiatement adapter la prise en charge des patients pour lesquels un risque est décelé ».
- Protection sociale parrainé par MNH