Valorisation des parcours syndicaux dans les assurances : un accord loin d’aller dans le sens des intérêts des salariés et des syndicats
On pourrait se contenter d’affirmer que le texte qui a été mis à signature sous l’intitulé « valorisation des parcours syndicaux dans les sociétés d’assurances » ne fait qu'énumérer les dispositifs déjà existant et concernant ce qui s’appelle aujourd’hui le « dialogue social ». Cela serait, pour le moins, insuffisant et sur divers points erronés.
Collaboration de classe
En effet, cet accord, qui s’inscrit à la suite des rapports sur la valorisation des parcours syndicaux (…) et qui a été porté par l’association Dialogues, est beaucoup plus ambitieux que cela.
Ce texte surfe sur une conception des relations entre les entreprises et les syndicats que nous ne partageons pas mais que, d’une certaine forme, l’histoire nous a déjà servie. Cette conception est aujourd’hui conforme à la vision de la société défendue par Emmanuel Macron : celle de la collaboration de classe.
D’ailleurs, le préambule qui a pris une importance toute particulière depuis les ordonnances sur le travail, puisqu’il affirme la philosophie et conception des parties signataires du texte, est clair :
« Par la conclusion du présent accord, les signataires entendent affirmer leur conviction qu’un dialogue social de qualité est plus que jamais indispensable au développement de l’entreprise, à ses performances collectives et au bien-être de ses salariés ».
Décryptage
À quoi doit servir le dialogue social ?
- Au développement de l’entreprise,
- au développement de ses performances collectives,
- et au bien-être de ses salariés.
Autant les deux premiers points sont clairs (mais il n’aura échappé à personne que l’on parle, d’abord et avant tout ici, des entreprises), autant le dernier point qui cite les salariés est flou.
Qu'est-ce que le « bien-être » exactement ?
Pour le moins, c’est un état très subjectif et difficilement mesurable.
Nous aurions préféré que le texte aborde les questions du respect des salariés, d’un point de vue de la reconnaissance de ses qualifications, de la progression de son salaire sans aucune discrimination, de l’amélioration de ses conditions de travail, de ses libertés d’expression et de syndicalisation, conformément à l’alinéa 6 du préambule de la constitution (1) ou de l’article L. 2141-5 (non tronqué) du code du travail.
Mais presque rien n'est dit de tout cela et, quand cela est cité, c’est de façon travestie. Les accords de la branche s’inspireraient- ils de la « novlangue » qui caractérise la dystopie de George Orwell dans son roman 1984 ?
Intégration des syndicats
Mais cet accord affiche une autre volonté de la part des employeurs : celle de vouloir intégrer les syndicats au sein de l’entreprise. D’ailleurs, ils sont allés jusqu’à proposer des fiches de mandats (au même titre que les fiches de fonctions que nous connaissons tous dans nos entreprises). Or, il n’appartient pas aux entreprises de définir les mandats.
La loi donne un cadre juridique à certains mandats, notamment syndicaux. Les organisations syndicales et les salariés définissent, en leur sein, ce qu'un salarié porteur de mandat doit faire.
Mais tenter de circonscrire la définition des mandats dans une fiche (par ailleurs propre à chaque entreprise) est une façon de réinstaurer le lien de subordination qui, par ailleurs, caractérise le salariat. Or, aujourd’hui, dans l’exécution de son mandat, le salarié n’a pas de lien de subordination, ce qui lui permet d’être libre dans son rôle et d’effectuer ses prérogatives. Mais cette situation est bien souvent insupportable pour les entreprises, malgré la pression que subissent bien souvent les porteurs de mandats.
Cette pression souvent subie par les porteurs de mandats a un double rôle :
- tenter de faire admettre, de gré ou de force, que les porteurs de mandats doivent se soumettre aux desiderata de l’employeur,
- et faire peur aux salariés afin de les dissuader de s’engager dans le syndicalisme.
Alors que la pression sur les salariés et les syndiqués est reconnue, le texte ose même affirmer que l’un des objectifs de l’accord est de « favoriser l’implantation syndicale et de valoriser les parcours syndicaux des salariés concernés ». Les signataires de l’accord pensent certainement arriver à ces résultats par un dialogue social de qualité. Mais qu’est-ce qu'un dialogue social de qualité ?
Dialogue de qualité
Du point de vue des entreprises, c’est celui dans lequel les intérêts à prendre en compte sont uniquement ceux des entreprises. Pour cela, il faut faire disparaître les électrons libres que représentent les porteurs de mandats. En réduisant progressivement toute protection pour ces salariés qui osent, au nom du collectif des travailleurs, s’opposer à l’employeur.
Sans aucun doute, « l’importance d’un dialogue social de qualité au sein des entreprises », tel qu'inscrit dans le texte, est la paix sociale :
- des salariés dociles encadrés par des représentants attentifs au « bien-être » de l’entreprise.
Comment y arriver ?
Aucune innovation. Un simple liste des dispositifs existants. Mais une présentation travestie, certes de manière subtile, dans le sens (vous l’aurez deviné) des entreprises.
Exemples
Dès le préambule, le texte évite soigneusement de rappeler l’alinéa 6 du préambule de la Constitution, comme nous l’avons déjà dit.
Le texte évite aussi de citer l’intégralité de l’article L. 2141-5 du code du travail, notamment ce passage : « Il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail... ».
On constate la multiplication des entretiens avec le manager et/ou les RH, dans le cadre d’une évaluation des compétences qui, par ailleurs, sont prédéfinies par l’employeur concernant l’exécution des mandats. On pourrait nous objecter notre mauvaise foi. Cependant, les entretiens prévus par la loi concernant l’activité syndicale (prise de mandat, fin de mandat…) sont facultatifs et à la demande du salarié. Or, dans certaines entreprises, ces entretiens deviennent obligatoires et avec la présence du manager et souvent des RH.
Occasion manquée
En effet, bien que nous ne fussions pas demandeurs de cette négociation (on réalise bien pourquoi), cela aurait pu permettre de remettre une vraie revendication au centre de la négociation de branche, celle du développement d’une formation professionnelle permettant une réelle promotion sociale. Cela ne concerne évidemment pas que les militants syndicaux mais bien tous les salariés.
Aujourd’hui, la formation n’est malheureusement envisagée que sous l’angle de son utilité dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, c’est-à-dire dans l’unique intérêt des entreprises qui doivent pouvoir avoir accès à des salariés correspondant à leurs besoins changeants.
Or, pour notre organisation syndicale, il faut donner les moyens à chacun d’enrichir ses connaissances et qualifications (reconnues nationalement) et non de mettre en place des dispositifs qui disent à chaque salarié comment il doit penser et agir.
Ce ne sont hélas pas les orientations qui sont développées dans ce texte, bien au contraire. Les signataires de ce texte vont jusqu’à proposer que les employeurs et les représentants syndicaux suivent des formations communes (cela sera bien la première fois que des parties dans une négociation se réunissent avant afin de tomber d’accord. Même dans une négociation commerciale les parties négocient dans l’intérêt respectif de leurs mandants…).
Mais il est vrai que les signataires de ce texte sont persuadés que l’employeur et les syndicats défendent les mêmes intérêts (nous en revenons à la collaboration de classe). Si pour certains cela ne devrait pas les gêner, nous concernant, nous craignons que les salariés ne soient les dindons de la farce…
En fin de compte, cet accord est un vrai miroir aux alouettes. En effet, les entreprises ne prennent aucun engagement vis-à-vis des militants qui leur feraient valoir leurs compétences et qualifications. La méthode retenue pour évaluer les compétences ou qualifications des militants est plus que sujette à controverse. Effectivement, faire évaluer par les DRH les militants auxquels elles sont confrontées pendant toute la durée du mandat préjuge mal de l’issue de cette évaluation.
Il ne revient pas plus aux organisations syndicales de noter leurs militants auprès des DRH que de se substituer aux DRH, ce qui poserait alors la question de l’indépendance des organisations syndicales…
(1) Alinéa 6 du préambule de la constitution de 1946 : « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».