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Mise en cause personnelle des agents publics : la reconnaissance d’un problème... des solutions qui restent à apporter
Depuis octobre 2024, le Cercle s’est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet de la mise en cause personnelle des agents publics. (1)
La publication, le 17 avril 2025, d’une circulaire du Premier ministre sur l’accompagnement des agents publics mis en cause au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics l’amène à y revenir pour apporter son analyse sur cette question extrêmement sensible pour les responsables publics et névralgique dans le fonctionnement général de l’Etat.
Pour le Cercle, la responsabilité, dans ces différentes dimensions, est essentielle à la fois pour la bonne gestion des deniers publics et en tant qu’outil de management pour que tous les agents publics puissent s’investir dans leurs missions. La responsabilité juridique est nécessaire mais doit être mise en œuvre dans un cadre clair, connu et compatible avec la prise de risques qu’exige souvent l’efficacité de l’action publique.
Le 29 janvier dernier, le Conseil d’Etat, se fondant sur les textes législatifs en vigueur, a rendu une décision confirmant les termes de l’instruction du Secrétaire général du Gouvernement du 24 avril 2024 selon laquelle les gestionnaires publics mis en cause dans le cadre de la responsabilité financière ne peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle qui existe dans les procédures civiles et pénales. Il considère dans le même temps que, lorsqu'un agent public est mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes, « il est toujours loisible à l'administration de lui apporter un soutien, notamment par un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de sa défense » (CE, 29 janvier 2025, n° 497840, sur conclusions contraires de Nicolas Agnoux.). La circulaire du Premier ministre du 17 avril 2025 fait suite à cette décision.
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Ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics
Depuis l’ordonnance du 23 mars 2022 un nouveau régime unifié de responsabilité financière a été créé pour tous les gestionnaires publics, qu’ils soient ordonnateurs ou comptables. Il s’est substitué à la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables devant la Cour des comptes et au système de la Cour de discipline budgétaire et financière. La responsabilité financière reconnue est sui generis, ne pouvant être assimilée ni à la responsabilité civile, ni à la responsabilité pénale.
L’ordonnance a également créé un ordre juridictionnel financier complet structuré autour d’une chambre contentieuse de la Cour des comptes, en plus des six chambres déjà existantes, du Procureur général qui dispose notamment du pouvoir d’engager les poursuites, d’une cour d’appel financière statuant en appel et du Conseil d’Etat statuant en cassation.
L’amende prononcée peut aller jusqu’à 6 mois de rémunération maximum de l’agent condamné.
--------------------------------------Protection fonctionnelle de l’agent public---------------------------------------------
Au regard des articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique, l’administration a l’obligation de protéger son agent contre les attaques dont il fait l’objet dans l’exercice de ses fonctions (violences, menaces, injures, diffamations, notamment) ou contre les mises en cause de sa responsabilité civile devant le juge civil et de sa responsabilité pénale devant le juge pénal en raison de faits qui n’ont pas le caractère de faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Les mesures prises pour
assurer cette protection sont diverses et comprennent, notamment, la prise en charge des honoraires d’avocat et des frais de procédure.
Cette protection est justifiée par le souci que l'agent n'ait pas à supporter la réparation d'un dommage causé exclusivement par une faute de service ou les conséquences liées directement à l’exercice de ses missions.
A la question de savoir si la protection fonctionnelle peut être accordée à un agent public poursuivi devant la chambre contentieuse de la Cour des comptes au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics, le Conseil d’Etat, dans sa décision n° 497840 du 29 janvier 2025, confirme la position de la Secrétaire générale du gouvernement dans sa note du 2 avril 2024 refusant cette possibilité.
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Cette circulaire comporte des points positifs mais les solutions qu’elle prévoit présentent un ensemble de limites et d’incertitudes.
Les points positifs
Au plan général, la publication de la circulaire traduit une prise de conscience que la situation actuelle où l’agent mis en cause ne bénéficie d’aucune protection ni soutien, est un problème réel : elle est « source de crainte et d’incertitude » et « risque d’inhiber l’action publique ». Les mots du Premier ministre sont explicites et particulièrement forts.
La dimension humaine du sujet est également reconnue. Il s’agit d’apporter un « accompagnement », un « appui », un « soutien » au gestionnaire public mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.
Au plan juridique, la circulaire apporte trois précisions intéressantes.
Elle reconnait d’abord qu’il existe deux types de fautes : celles qui ne justifient pas un soutien de l’administration mais aussi celle qui appellent un tel soutien ; la rédaction de la circulaire fait que la deuxième situation apparaît comme le droit commun et la première l’exception (« sauf lorsque vous estimez que l'agent a commis des fautes qui ne le justifient pas »). Ce faisant, elle fait reposer sur l’administration le choix de considérer que la faute ne justifie pas son soutien.
La circulaire met ensuite en place un triple devoir des administrations vis-à-vis de leurs agents :
- Elles « doivent (2) identifier en leur sein et faire connaître l’entité qui fonctionnera comme un centre de ressources et sera chargée de mettre en œuvre cet accompagnement », ce que la circulaire nomme « un interlocuteur dédié ».
- Il leur « incombe » de permettre à l’agent « mis en cause et qui était en poste au moment des faits qui lui sont reprochés (…) de disposer des archives papier ou numériques de son service, notamment des notes, correspondances et échanges de courriers ou de messages à même d'éclairer la juridiction sur les décisions prises par lui et sur le contexte dans lesquels se sont inscrits ces faits ». Sauf si l’administration estime que l’agent a commis des fautes qui ne le justifient pas, il lui « appartient » « de mettre en place un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de la défense de l’agent »
- Un « centre de soutien doit être identifié ».
On peut noter l’utilisation répétée du terme « doit ».
En outre, la circulaire crée un droit spécial des agents publics, celui de saisir directement la Secrétaire générale du gouvernement, indépendamment de leur hiérarchie, en cas de difficultés dans la mise en œuvre des recommandations de la circulaire.
Pour la mise en œuvre concrète, le texte demande la création d’un dispositif de soutien et en donne l’organisation. Il reconnait l’existence du problème de l’accès aux archives pour les mis en cause, notamment lorsqu’ils ont quitté leurs fonctions où sont suspendus, problème dont le Cercle avait souligné l’importance pour l’exercice du contradictoire et le respect des droits de la défense. Il évoque la création, pour chaque administration, d’un centre de ressources et celle complémentaire d’une cellule d’appui (3).
-----------------------------------------Extrait de la circulaire du 17 avril 2025---------------------------------------------
« Il est néanmoins essentiel que ces agents se voient proposer un accompagnement par leur administration, adapté aux circonstances de chaque espèce. A ce titre les administrations doivent identifier en leur sein et faire connaître l'entité (placée au sein du secrétariat général ou de la direction des affaires
juridiques lorsqu'elle ne lui est pas rattachée, sans préjudice de la création complémentaire de cellules d'appui dans les directions métiers) qui fonctionnera comme un centre de ressources et sera chargée de mettre en œuvre cet accompagnement. Ainsi, les intéressés sauront vers qui se tourner, pourront bénéficier d'un interlocuteur dédié et seront informés des mesures susceptibles de servir leur défense qui peuvent leur être proposées »
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Au plan du statut du texte, un point important, et qui va au-delà du symbole, est qu’il est signé par le Premier ministre lui-même. Ce niveau d’importance est corroboré par le fait que le secrétariat général du gouvernement est chargé d’une fonction de centralisation (centralisation des données sur la jurisprudence, accompagnement des administrations) et c’est à lui que les agents sont « invités à signaler sans délai toute difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de ces recommandations ».
Limites et incertitudes
D’un point de vue général, l’appui préconisé n’est pas la protection fonctionnelle et n’y est pas assimilable. Il exclut totalement la prise en charge des frais d’avocat qui sont fréquemment élevés, ainsi que le Cercle l’avait montré et qui restent à sa charge, même si, en définitive, il est mis hors de cause. La complexité des sujets de fond et des procédures, voire l’enchevêtrement des différents types de responsabilités civile, pénale, financière et disciplinaire, nécessite l’intervention d’un avocat rompu à ces questions et suivant l’évolution d’une jurisprudence encore non stabilisée.
L’appui imaginé par la circulaire est utile mais partiel ; il offre en réalité à l’agent public une protection dégradée alors même que le texte affirme la réalité du problème.
D’un point général aussi, la circulaire prévoit d’abord des obligations (cf. l’utilisation répétée de termes ou d’expressions relevant du registre impératif, tels que « doit », « doivent », « incombe », « il vous appartient » soulignée ci-dessus) et donc pourrait présenter un caractère impératif mais elle utilise in fine et en gras le terme de « recommandations » (« toute difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de ces recommandations »), vraisemblablement dans l’objectif d’éviter toute annulation contentieuse.
Le gouvernement aurait pu aussi passer par la voie législative, soit de son propre chef, soit en utilisant l’occasion que présentait la proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale. Dans le cadre de l’examen en cours du projet de loi Simplification, des députés avaient déposé un amendement pour permettre aux agents publics poursuivis devant la Cour des comptes d’avoir droit à la protection fonctionnelle ; le gouvernement a opposé l’article 40 de la Constitution4, sans annoncer qu’il reprendrait à son compte la proposition dans un projet de loi (5).
Le fait que la circulaire ait été signée par le Premier ministre à un moment où certains ministères ou autorités tentaient de réouvrir au plus haut niveau la discussion sur la protection fonctionnelle a pu été interprété par des commentateurs comme visant à esquiver le sujet de la protection fonctionnelle et à tenter de clore tout débat devant le législateur.
Limites du champ d’application
Au regard des entités et personnes concernées
Si c’est pour l’ensemble des agents publics que le Premier ministre reconnaît la difficulté, la circulaire s’adresse aux ministres et les agents des collectivités locales ne sont pas visés (6). Les gestionnaires locaux ont pourtant en charge une part majeure de la dépense publique, désormais largement décentralisée et, le nombre des collectivités territoriales étant très élevé, celui des responsables concernés dans ces collectivités est vraisemblablement très supérieur à ce qu’il est dans l’Etat central et déconcentré.
La circulaire du premier ministre s’inscrit dans une logique de centralisation alors que la réalité est décentralisée. La situation est proche pour les gestionnaires des établissements publics sanitaires et médico-sociaux. S’adressant aux ministres chargés de la santé et de la solidarité qui exercent la tutelle sur ces établissements, la circulaire concerne en principe ces derniers mais les mécanismes qu’elle met en place leur sont de fait difficilement applicables (7).
Le système envisagé n’est pas adapté à la réalité actuelle des fonctions publiques et à l’échelle des dizaines de milliers de responsables susceptibles d’être mis en cause.
A cela s’ajoute le fait que certaines entités relèvent de la responsabilité financière des gestionnaires publics, notamment au titre des règles de la commande publique, mais n’appartiennent pas à une administration publique, par exemple dans le secteur médico- social.
Au regard de l’objet de la circulaire
L’objet de la circulaire est explicitement circonscrit : « La présente circulaire a pour objet de préciser les formes et les modalités du soutien qui doit être apporté aux agents mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes ». Or, ce qui est important et qui pose aujourd’hui problème, le Cercle l’avait montré dès sa note du 22 octobre 2024, c’est la phase amont, à savoir toute celle qui précède la saisine de la chambre du contentieux (déclenchement des enquêtes internes à l’administration, enquêtes des services d’inspections, des chambres régionales des comptes ou des chambres non contentieuses de la Cour des comptes, examen par le Parquet général près la Cour des comptes).
La circulaire reste muette sur cette phase qui est pourtant la plus longue, détermine largement la suite de la procédure et au cours de laquelle le respect du contradictoire, puis des droits de la défense ainsi que l’appui aux agents concernés sont fondamentaux.
La circulaire ne traite pas davantage des cas complexes lorsque la mise en cause de la responsabilité financière s’enchevêtre avec l’engagement de procédures disciplinaires, pénales et/ou civiles.
Limites juridiques
Les conditions dans lesquelles l’administration décide d’apporter ou non son soutien ne sont pas précisées.
Au vu de la mention « sauf lorsque vous estimez que l’agent a commis des fautes qui ne le justifient pas », la décision relève d’une appréciation discrétionnaire.
Aucune obligation de motivation n’est prévue. Il n’est pas fourni de lignes directrices.
La pratique suivie pourra varier d’une autorité administrative à l’autre.
Les conditions et modalités d’un recours de l’agent contre cette décision formelle ou implicite ne sont pas précisées.
La protection de l’agent qui aura saisi le Secrétaire général du gouvernement indépendamment de la hiérarchie ne l’est pas non plus (8).
Un risque existe que se développe, en complément ou en substitution de l’appui apporté par l’administration, le recours à des experts externes ou à des avocats. Se poserait alors la question de savoir si le coût pourrait être pris en charge par le service concerné, par exemple l’hôpital. Une telle évolution ne pourrait qu’entraîner des complications. Elle serait d’autant moins adaptée que les faits en cause résultent de l’exercice même des missions des gestionnaires publics.
Le flou sur le concept d’appui juridique se surajoute aux problèmes de fond comme la définition encore incertaine du « préjudice financier significatif ».
Risques de biais et de complications dans les pratiques de management
La circulaire mentionne expressément l’existence de « lettres de couverture » établies par une autorité hiérarchique supérieure, notamment les ministres qui ne relèvent pas de la responsabilité financière des gestionnaires publics (9).
Cette pratique rompt l’ordonnancement normal des responsabilités car elle fait échapper certaines décisions au contrôle du juge financier et peut déresponsabiliser l’agent public (10).
Ce texte modifie aussi profondément le rôle de l’administration en lui attribuant une pré- reconnaissance de la culpabilité de l’agent (« y compris en prenant position sur le bien- fondé de la mise en cause ») pour lui accorder ou non son appui juridique. Cette articulation crée de la confusion en introduisant une sorte de nouveau stade d’instruction dont ni le processus, ni les modalités assurant le respect des droits de la défense ne sont précisés.
Au total, le système se veut simple mais son examen montre qu’il risque de placer à la fois l’administration et l’agent dans des situations complexes et de compliquer leurs relations.
Les limites de fait
Est-il vraiment possible et raisonnable de vouloir constituer un ensemble de cellules dans les très nombreuses entités publiques ?
Sauf pour les entités disposant déjà de services juridiques bien équipés, comme la DGFIP, le coût en termes d’effectifs et de moyens de fonctionnement ne risque-t-il pas d’être disproportionné (mise en place de cellules d’appui dans de très nombreuses entités, même si des mutualisations sont évidemment possibles ; organisation de formations des personnels sur des sujets sensibles, juridiquement évolutifs et qui peuvent devenir très vite complexes) ?
Le traitement des questions de responsabilité appelle un réel professionnalisme.
Le problème de faisabilité est particulièrement manifeste dans le secteur hospitalier. Les établissements eux-mêmes (1354 hôpitaux publics, par exemple) sont hors d’état d’apporter un tel appui juridique. Les agences régionales de santé le sont aussi. Donc, un risque existe que tout remonte au ministère mais ni le secrétariat général de ce ministère, ni la direction générale de l’offre de soins qui assure la tutelle des hôpitaux ne disposent des équipes humaines nécessaires.
Une telle mission ne pourrait non plus être confiée au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière : d’une part, celui-ci n’a compétence que pour une partie des agents potentiellement concernés puisque sa mission ne concerne pas les
responsables administratifs autres que les emplois de direction ; d’autre part l’appui à assurer est profondément différent de ses missions (11) et pourrait même s’avérer antinomique avec l’exercice de sa fonction d’autorité disciplinaire.
Or, la pénurie de personnels médicaux et paramédicaux et le nécessaire respect des normes de sécurité d’une part, la nécessité de maintenir les services ouverts d’autre part, créent des situations souvent délicates où il faut arbitrer entre le respect des règles financières et les exigences du fonctionnement de l’établissement.
Transposer aux collectivités territoriale un système tel que celui prévu dans la circulaire serait impossible pour les plus petites collectivités. Il engendrerait ainsi une rupture d’égalité entre les collectivités disposant d’un service juridique et celles, nombreuses, qui n’en dispose pas.
Tel serait en particulier le cas pour celles où les secrétaires de mairie doivent assurer simultanément des missions très diverses et ne peuvent avoir une spécialisation juridique adaptée (12).
Le plus probable est que le dispositif prévu par la circulaire sera, dans une majorité de cas, difficile à mettre en œuvre.
Conclusion
La circulaire reconnaît bien le problème de la protection des agents et c’est un apport qui était indispensable. Elle risque cependant de ne pas apporter d’apaisement, de renforcer
des inquiétudes et d’apparaître comme visant principalement à bloquer toute évolution, avec les difficultés qui peuvent en résulter dans le fonctionnement des organisations
publiques.
Le problème est là. Il faut en prendre la mesure et faire évoluer le droit.
On ne peut pas laisser sans solution le problème de la prise en charge des frais d’avocat et de procédure en cas de mise en jeu de la responsabilité financière liée à l’exercice des
missions du gestionnaire public.
On ne peut pas le négliger au motif que la sanction n’est qu’une amende et qu’elle est plafonnée à six mois de traitement. Le déclenchement même de la procédure a une dimension infamante qui atteint la réputation de l’agent, à tout le moins jusqu’à ce qu’il soit mis en définitive hors de cause et parfois même au-delà dès lors que le doute a été introduit.
L’idée peut-elle être avancée de bâtir une solution spécifique à la responsabilité financières des gestionnaires publics ?
Par exemple, une prise en charge des frais d’avocat et de procédure dès qu’apparaît la possibilité d’une mise en cause, avec un remboursement par l’agent s’il est, in fine, définitivement condamné (l’éventualité que l’agent doive faire l’avance et être seulement remboursé après un jugement définitif le mettant hors de cause laisserait peser sur celui-ci une charge, certes temporaire, mais difficilement justifiable), solution qui serait spécifique puisqu’un tel remboursement
n’est pas prévu dans le cadre de la protection fonctionnelle en matière de responsabilités civile et pénale.
Un tel choix maintiendrait un décalage entre la responsabilité financière d’une part, les responsabilités civile et pénale d’autre part. Il introduirait aussi, dans l’ensemble du
système de responsabilité, une complexité supplémentaire. Si on admet que l’objectif est fondamentalement de bâtir un système clair et global de responsabilités, il serait
paradoxal de créer un système de protection à part.
En réalité, on ne pourra guère échapper, à court ou moyen terme, au système de la protection fonctionnelle, qui est d’ailleurs le plus compatible avec une organisation
administrative décentralisée. Ce serait un élément d’acceptation et de consolidation du principe introduit par l’ordonnance de 2022 qu’existe devant la Cour des comptes une
responsabilité financière des gestionnaires publics.
Un deuxième axe des progrès à réaliser est de régler les problèmes qui existent dans les phases amont, préalables à l’engagement des différents types de responsabilités
(respect du principe du contradictoire dès que la phase d’enquête administrative apparaît susceptible d’induire une mise en cause personnelle, définition du cadre
méthodologique des enquêtes, fonctionnement des comités des pairs, etc), problèmes que le Cercle a relevés (13). Ces progrès relèvent à la fois de l’initiative des services
d’inspection eux-mêmes et de l’impulsion du Gouvernement.
Ces évolutions sont d’autant plus nécessaires que l’orientation des juridictions financières est d’inciter les différentes autorités de saisine à développer les actions
qu’elles mènent au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics et à saisir davantage le Procureur général près la Cour des comptes et que les juridictions
financières ont mis en place une plateforme de signalements qui en reçoit désormais de l’ordre de 90 par mois (14).
Une absence de solution risquerait d’entretenir une contestation dissuadant les autorités de saisine d’utiliser le régime de responsabilité financière des gestionnaires publics et de
compromettre ainsi la possibilité que ce nouveau système trouve sa juste place.
Quatre points sont cruciaux : traiter le sujet de la protection fonctionnelle ; organiser et encadrer la phase amont des enquêtes administratives ; inscrire ces évolutions dans une
cohérence d’ensemble des différents systèmes de responsabilités ; tenir les deux principes fondamentaux de réforme de l’Etat que sont la responsabilité et la simplification.
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1) La réflexion s’est inscrite dans le prolongement des publications récentes du Cercle sur la mise en cause personnelle des agents publics :
« Mise en cause personnelle des agents publics : modifier les textes, faire évoluer les pratiques », Acteurs publics, 22 octobre 2024 ; Revue Gestion et Finances publiques, novembre- décembre 2024 pp. 14-18 ;
« Responsabilité et mise en cause personnelle des agents publics : points de vigilance et recommandations », Pouvoirs locaux – Revue de la gouvernance publique, n° 126, 2024, pp. 67-83,
Ch. Babusiaux, interview dans Hospimédia, 25 février 2025 « Après le rapport Vigouroux, élargir et agir », Acteurs publics, 7 avril 2025.
Elle a aussi pris en compte les analyses et prises de position intervenues entre le 17 avril et le 7 mai.
2) Souligné par nous.
3) Selon la circulaire, ce dispositif s’ajoutera à la mise en place de dispositifs d’information, de formation et
de conseil pour prévenir le risque d'engagement de la responsabilité financière des gestionnaires publics.
4) Cet article limite le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière et leur interdit toute création ou aggravation d’une charge publique.
5) Le 6 mars dernier, le Sénat a d’adopté en première lecture une proposition de loi en vertu de laquelle, « en cas violences, de menaces ou d’outrages commis contre un agent de l'éducation nationale ou de l'enseignement supérieur commis à l’occasion ou du fait de ses fonctions », l'administration lui accorde de plein droit et sans délai la protection fonctionnelle. Une demande de l'agent ne sera plus nécessaire (contrairement à ce que prévoyait le projet initial). En revanche, après amendement, il est prévu qu’en cas
de faute personnelle imputable à l’agent, l’administration puisse retirer la décision de protection accordée à la personne concernée « par une décision motivée dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle elle bénéficie de la protection ».
6) Maire info, organe de l’Association des Maires de France indique, dans sa livraison du 22 avril 2025 intitulée « Faute de protection fonctionnelle, comment accompagner les agents mis en cause devant la chambre du contentieux ? », qu’au niveau de la fonction publique de l’État, il est demandé aux grandes administrations de créer des « centres de ressources chargés de mettre en œuvre cet accompagnement ». Il ajoute que « plus généralement, dans toutes les administrations, dont les collectivités locales », il incombe à l’employeur de permettre à l’agent de disposer des archives papier ou numériques de son service ». Pour justifier à laquelle il procède pour ce qui concerne les collectivités territoriales, il interprète les mots de la circulaire (« en toutes hypothèses »). Cependant, la circulaire ne mentionne pas les collectivités territoriales et ne constitue pas un vecteur juridique approprié pour leur créer une obligation nouvelle.
7) Cf infra p. 7, « Limites de fait »
8 Contrairement à ce qui est le cas pour la protection des lanceurs d’alerte.
9) « Les administrations pourront aussi produire des documents au soutien de la défense de leurs agents mis en cause (description de leurs compétences, de leur organisation interne, des délégations de signature ou de pouvoir, lettres de couverture, délibérations de l'organe délibérant ou tout autre élément de nature à éclairer sur le niveau de responsabilité de l'agent concerné, mesures de contrôle interne mises en place), y compris en prenant position sur le bien-fondé de la mise en cause ». Les lettres de couverture sont une pratique dont la base juridique est fragile tant dans le CJF que dans le code pénal. En effet l'ordre manifestement illégal ou l'atteinte à un intérêt public doivent conduire le destinataire de cet ordre à désobéir.
10) On observe, semble-t-il, une régression de la pratique des lettres de couverture sur les sujets de rémunération médicale, dans le secteur hospitalier, y compris si le refus risque d’entrainer une rupture de la continuité des soins » mais cette évolution, si elle se confirme et s’étend, accroît en revanche les cas de mise en jeu potentielle de la responsabilité des gestionnaires dans ce secteur.11) Organisation des concours etc.
12) Pour les collectivités territoriales, une difficulté de fond existe par ailleurs : la difficile identification du partage des responsabilités entre un maire et son directeur général des services, le second agissant uniquement par délégation du premier.13) https://cerclereformeetat.eu/publications/responsabilite-et-mise-en-cause-personnelle-des-agents-
publics-points-de-vigilance-et-recommandations/
14) Les trois quarts concernent les chambres régionales des comptes, le quart, la Cour des comptes. L’exploitation de ces signalements a pour but non pas de déclencher directement des enquêtes mais d’orienter la programmation des activités des chambres régionales et de la Cour des comptes.