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23 / 09 / 2024 | 20 vues
Sandrine Lhenry / Abonné
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Les bonnes performances du Groupe EDF pourraient être mises à mal en raison de la fiscalité et de la régulation

Les excellentes performances d’EDF entravées par le système de régulation Après être redevenu le premier exportateur européen d’électricité (1), les prévisions de production d’EDF sont réévaluées à la hausse pour son bilan 2024.

 

Désormais, la fourchette d’estimation de production est comprise entre 340 et 360 TWh, contre 315 à 345 TWh précédemment. À ce rythme, la promesse de production de 400 TWh devrait être atteinte avant 2030.

 

Cette performance remarquable est due, avant tout, à la compétence des salariés de l’entreprise ainsi qu’à l’amélioration de la chaîne logistique. Il s’agit d’une remontée spectaculaire en un temps record, compte tenu de la crise énergétique, bientôt derrière nous, et de la corrosion sous contrainte (CSC) affectant notre parc nucléaire. Cependant, la manœuvrabilité des tranches nucléaires a été très largement sollicitée en raison des conditions météorologiques et du «merit order» (2) européen. Autrement dit, la cadence du parc nucléaire a été ralentie pour permettre le passage prioritaire de l’éolien et du photovoltaïque sur le réseau, en raison d’un ensoleillement et de vents plus importants cette année. Cela signifie que la performance a été amoindrie par la réglementation.

 

Heureusement, le parc nucléaire français a la particularité mondiale de pouvoir moduler sa production, avec une limite physique de 20 GW de flexibilité par jour. Pour autant, on peut s’interroger sur les conséquences qu’un tel phénomène pourrait avoir sur les installations nucléaires en termes d’usure prématurée.

 

Pour l’heure, cela n’est pas sans répercussions pour les hommes et les femmes chargés de leur exploitation. Ils doivent désormais faire preuve d’une vigilance constante pour assurer le fonctionnement des réacteurs avec une précision de type horlogère. Ils sont les seuls au monde à devoir moduler l’énergie nucléaire en raison d’un mécanisme de marché qui l’exige.

 

Et ce n’est pas fini!

 

En effet, dès début 2025, les prix spot seront affinés, passant à une base de quinze minutes au lieu d’une heure. Autrement dit, la cadence de réaction devra s’accélérer, et le système deviendra encore plus complexe.

 

En conséquence, les sollicitations des salariés du nucléaire seront de plus en plus fréquentes, affectant leur état physique, moral et intellectuel. Produire davantage d’électricité décarbonée est le défi qui leur a été lancé. Ce défi pourrait sembler contreintuitif compte tenu des règles du marché et de la baisse de la demande d’électricité (-8 % en raison des efforts de sobriété, mais surtout de la hausse des prix pour les consommateurs). 

 

2024 : Année historique des prix négatifs

 

La combinaison de la baisse de la demande d’électricité et de la surproduction d’énergie renouvelable a entraîné un autre record : celui des prix négatifs. Au premier semestre 2024, les marchés spot européens de l’électricité ont enregistré 1600 heures de prix nuls ou négatifs. En France, nous avons atteint près de 500 heures de prix négatifs, un record jamais observé auparavant. Pour mettre cela en perspective, le pays avait enregistré seulement 11 heures de prix négatifs en 2018 et 64 heures en 2021.

 

Cette situation sans précédent prouve que les mécanismes de régulation ne sont plus en phase avec la réalité de la production d’électricité, et il est urgent de les réformer. En effet, comment peut-on assurer la maintenance ou l’achat de combustible pour nos centrales si les dépenses courantes d’exploitation ne peuvent même plus être couvertes ?

 

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle revient à rémunérer la production en négatif, autrement dit, à payer pour produire. En 2023, la production d’énergies renouvelables (ENR), comprenant le photovoltaïque et l’éolien, est passée de 110,4 TWh à 135,6 TWh. Cette tendance devrait encore se renforcer, d’autant que l’Europe continue de mettre la pression sur la France pour qu’elle atteigne les objectifs fixés en 2009 (3), à savoir 42,5 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique d’ici 2030. Cette injonction est d’autant plus aberrante que, en réalité, le pays a atteint 22,2 % d’ENR en énergie finale en 2023, contre 22 % pour l’Allemagne.

 

Autant dire que la France est injustement critiquée pour son choix de mix énergétique, alors qu’il est décarboné à 90 %!

 

EDF ne devrait pas supporter seule la flexibilité du réseau ni le poids des taxes

 

Loin de vouloir remettre en cause l’utilité des ENR pour la décarbonation du pays, il est impératif de refondre le système dans son ensemble, faute de quoi nous risquons de rencontrer de réels problèmes de fourniture. En effet, des perturbations physiques sont déjà observées sur le réseau.

 

Par exemple, cet été, RTE a dû débrancher à deux reprises des ENR du réseau au risque de le voir tomber. Cela montre clairement qu’EDF ne peut plus être la seule entreprise à devoir moduler sa production. Les ENR devraient également participer à cette flexibilité.

 

Nous avons atteint les limites d’un système où les ENR, contrairement aux autres sources d’énergie, ne sont pas contraintes de moduler leur production en raison de leur absence sur le mécanisme de marché à la dernière heure (bientôt quart d’heure en 2025). De plus, depuis leur création, ces installations bénéficient de prix garantis par l’État pour leur production, même en cas de prix négatifs, grâce au système des obligations d’achat.

 

En conséquence, elles n’ont aucun intérêt à réduire leur production en cas de surproduction. Ces obligations d’achat doivent impérativement être revues, voire supprimées, car le contribuable paie à la fois pour leur développement et leur arrêt via un mécanisme de compensation dans le cadre du soutien aux ENR (4). Cette double aide ne peut plus perdurer. Au contraire, tous les acteurs du système devraient contribuer aux enjeux de flexibilité. EDF ne doit pas être seule à porter ce problème.

 

Pour éviter des perturbations majeures, voire pires, sur le réseau, l’entreprise prévoit de développer, près de 27 GW de nouvelles capacités de flexibilité dans les années à venir, en anticipation de la montée en puissance des énergies intermittentes, mais également de l’électrification de tous nos usages. De son côté, Enedis prévoit une augmentation des raccordements de l’ordre de 300 % d’ici 2037. Enfin, RTE a évalué les besoins d’investissement dans les réseaux électriques à 100 milliards d’euros pour les 15 prochaines années.

 

Ainsi, la combinaison de la baisse de la demande d’électricité et de la surproduction d’énergie renouvelable entraîne-t-elle des conséquences physiques et économiques. En effet, cette nouvelle difficulté se traduit non seulement par une baisse des prix, mais également par un grave problème de rémunération pour la production d’énergie, ainsi que pour sa maintenance et de son développement.

 

À long terme, cette situation devient intenable pour EDF, largement en charge de la production d’énergie du pays. De plus, les consommateurs pourraient voir leur facture alourdie par de nouvelles taxes. En effet, le gouvernement ATTAL (5) envisageait de taxer la quasi-totalité du parc de production d’EDF, en dépit des remarques de la Cour des comptes concernant la fiscalité de l’énergie. Même Agnès PANNIER-RUNACHER, redevenue, depuis ce week-end, notre ministre de tutelle, a qualifié cette éventualité «d’impôt bête et méchant»! Taxer davantage EDF n’est probablement pas la solution si l’on souhaite réellement décarboner le pays par le biais de l’électrification. En revanche, le secteur attend toujours plusieurs textes essentiels maintes fois reportés, tels que la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, la Stratégie Nationale Bas Carbone, le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique, et la Loi de Programmation Énergie Climat.

 

Un texte fondamental sur l’hydroélectricité est également attendu afin de ne pas laisser ce secteur stratégique tomber entre les mains de la concurrence étrangère. Tout cela nécessite une visibilité à long terme pour une industrialisation durable.

 

Face à tous ces constats, il est grand temps de réévaluer la politique énergétique dans son ensemble afin que l’énergie soit enfin considérée comme un bien de nécessité, et non pas une marchandise spéculative.

 

C’est tout le sens du Pôle public nationalisé de l’énergie décarbonée porté par notre fédération !

 

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(1) À la mi-juillet, 40,7 TWh ont été exportés selon RTE, et l’entreprise enregistre une capacité d’exportation de 14 GW par jour.

 

(2) Principe d’optimisation utilisé par les réseaux d’électricité pour déterminer l’ordre dans lequel les différentes sources d’énergie sont sollicitées pour répondre à la demande.

 

(3) Pour rappel, nous avons été épinglés en décembre dernier par la Commission européenne pour ne pas avoir fourni un plan («Plan National Intégré Énergie-Climat» [PNIEC]) fixant 44 % d’ENR à horizon 2030 (nous avons proposé un plan à 33 %).

 

(4) En juillet, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) avait estimé le coût du soutien aux ENR pour les finances publiques à 2,5 milliards d’euros en 2024 et à 4,3 milliards en 2025. Selon un rapport publié par la CRE le 11 septembre dernier, le prix des installations éoliennes terrestres a augmenté de 35 % entre 2021 et 2023, et celui du solaire au sol a augmenté de 39 %. Les contrats de complément de rémunération : le producteur vend l’électricité produite directement sur le marché et perçoit ensuite un complément de rémunération par MWh injecté, en fonction d’un prix de marché de référence et d’un tarif préalablement fixé qui lui est garanti.

 

(5) Cette taxe sur les installations de plus de 260 MW devait rapporter près de 3 milliards d’euros à l’État, alors qu’EDF est la seule entreprise du secteur n’ayant pas réalisé de superprofits durant la crise. Selon la Cour des comptes, en 2021, la fiscalité de l’énergie atteignait 60 milliards d’euros, TVA comprise. La dépense annuelle moyenne des ménages en énergie a atteint 1720 euros pour les besoins énergétiques de leur logement, dont 43 % de taxes, et 1420 euros pour le transport, dont 140 % de taxes, soit 3140 euros au total. La Cour des comptes y voit une injustice fiscale, avec une part plus importante des dépenses des ménages les plus modestes consacrée à ces prélèvements. La Cour reproche en outre à l’actuelle structure fiscale d’être «une somme de décisions historiques (…) sans que la cohérence de ces niveaux ait été assurée au regard de l’impact sur l’environnement des différents produits énergétiques. Les carburants sont plus taxés que l’électricité, qui elle-même l’est davantage que les énergies fossiles à usage combustible.

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