La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel: Un tournant jurisprudentiel dans l'affaire France Télécom
La Cour de cassation a consacré, pour la première fois ce 21 janvier 2025, la notion de « harcèlement moral institutionnel ». Ce jugement intervient dans le cadre du procès France Télécom, une affaire emblématique où des pratiques managériales controversées ont conduit au suicide de 19 salariés et à la tentative de suicide de 12 salariés. Voici un décryptage de cette décision qui pourrait marquer un tournant dans la jurisprudence sociale.
Une politique managériale aux conséquences dramatiques
Entre 2007 et 2010, France Télécom (aujourd’hui Orange) a mis en place un plan de restructuration visant à supprimer 22 000 postes sur trois ans. Ce plan s’appuyait sur des techniques de management destinées à inciter les salariés à quitter volontairement l’entreprise. Parmi ces techniques, on retrouve des pratiques telles que la multiplication des mobilités forcées, des objectifs inatteignables et une pression constante sur les salariés, créant un climat de travail toxique. Ces méthodes ont entraîné une vague de suicides parmi les employés.
En 2019, la juridiction correctionnelle avait déjà condamné l’ancien PDG de France Télécom, Didier Lombard, et d’autres dirigeants pour « harcèlement moral », confirmant le lien entre les pratiques managériales et la dégradation des conditions de travail.
La plus haute juridiction française a rejeté, mardi 21 janvier, les pourvois de l’ex-patron de France Télécom et de son numéro deux, rendant définitives leurs condamnations.
Le harcèlement moral institutionnel défini
La cour de cassation établit que le harcèlement moral institutionnel est caractérisé lorsque les agissements visent "à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet" ou pour effet "de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés" pour "parvenir à une réduction des effectifs" ou "d'atteindre tout autre objectif", managérial, économique ou financier".
Les éléments constitutifs de l'infraction
Pour caractériser le harcèlement moral institutionnel, la Cour identifie deux éléments principaux :
- L'élément intentionnel : Les dirigeants avaient conscience des conséquences négatives de leur politique sur les conditions de travail et la santé des employés.
- L'élément matériel : La mise en place d'une stratégie délibérée et répétée, traduite par des actions concrètes telles que le suivi des départs, l'incitation financière à la réduction des effectifs et des formations managériales orientées vers cet objectif.
Ces éléments dépassent les limites admissibles du pouvoir de direction et démontrent une intention manifeste de déstabilisation collective.
Une portée juridique significative
La décision appelle les dirigeants à intégrer pleinement la dimension humaine dans leurs politiques de réorganisation, sous peine de lourdes sanctions pénales. Elle renforce la protection des salariés contre les formes de harcèlement collectif et institutionnel, inscrivant ainsi le respect des droits et de la dignité des travailleurs au cœur des obligations managériales.
Lien vers le communiqué de presse de la Cour de cassation : https://urlr.me/uBZRDG
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Plus jamais ça!
Procès Lombard : après une condamnation définitive en Cassation, plus jamais ça!
Dans les années 2006 à 2010, France Télécom / Orange lançait les plans Next et Act avec pour objectif de supprimer 22 000 postes en 3 ans. Les méthodes dirigistes et autoritaires alors mises en œuvre dans toute la chaîne managériale, en dépit des nombreuses alertes émises par les Instances Représentatives du Personnel, ont malheureusement conduit plusieurs dizaines de salariés au geste ultime, irréversible, jusqu’à mettre fin à leurs jours.
La responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de ces drames a été portée au Tribunal, qui en 2019 a condamné en première instance l’ex-patron Didier LOMBARD ainsi que son adjoint Louis-Pierre WENES à 4 mois de prison ferme. Les faits de « harcèlement moral institutionnel » ont été reconnus et caractérisés, ce qui était inédit dans la jurisprudence des condamnations de dirigeants de grandes entreprises en France. Le 20 septembre 2022, la Cour d’Appel de Paris confirmait ce verdict, en adaptant simplement la peine à un an d’emprisonnement avec sursis, et 15 000 € d’amende.
Si l’entreprise n’avait pas fait appel au jugement en première instance, les deux ex-dirigeants ont pour leur part été au bout des recours disponibles dans le Droit Français. Le coup de sifflet final vient d’être donné ce mardi 21 janvier 2025 par la Cour de Cassation, qui a rejeté leur dernier recours. Ce verdict rend ainsi définitives les condamnations prononcées par la Cour d’Appel en 2022, qui devront être exécutées.
Le terme enfin conclu de cette procédure et de ses recours est pour FOCom une reconnaissance avérée et définitive des souffrances inadmissibles imposées aux salariés d’Orange pendant ces années noires, l’entreprise étant devenue à l’époque un symbole de la souffrance au travail.
Depuis cette tragique période, la Direction d’Orange s’est dotée de plusieurs dispositifs et procédures (Groupes Pluridisciplinaires de Prévention, Direction de la Qualité de Vie au Travail, lignes de soutien psychologique, référents Harcèlement Sexuel et Agissements Sexistes, …). Il n’en reste pas moins que l’empilement de nombreux projets de transformation, la politique immobilière du Groupe, la filialisation et l’off-shorisation massive d’activités (Orange Business, Orange Store, …), les Plans de Départs, les restrictions budgétaires, la radinerie lors des négociations salariales, … conduisent depuis plusieurs années de plus en plus de salariés à qualifier l’actuelle politique sociale d’Orange de « Lombardisation », en exprimant leur souffrance au travail dans les dernières enquêtes CNPS-Secafi, et via les Instances Représentatives du Personnel.
FOCom reste plus que jamais mobilisé pour que la politique sociale d’Orange ne se contente pas de procédures formelles, mais remette de l’humain et de la reconnaissance dans la gestion de son personnel. Notre Direction doit prendre toutes ses responsabilités, y compris pénales, car désormais, il n’est plus permis de dire « Nous ne savions pas »… PLUS JAMAIS CA !