La question de la « gouvernance » de la retraite est directement liée à celle des droits
Le gouvernement avance qu’il met en discussion la question de la « gouvernance » du système universel de retraites qu’il projette de mettre en place. Il tente par là de se disculper du procès qui peut être fait de la mainmise de l’État, au détriment du rôle des « partenaires sociaux » en insistant sur la place qu’il entend leur réserver dans la gouvernance.
Or, cette question (de la gestion du système de retraite demain) est, avec celle des droits à la retraite qui y est directement liée, au cœur de l’opposition de notre organisation syndicale.
Paritarisme : de la négociation collective à la gestion
Le système de protection sociale en France s'appuie sur un modèle intermédiaire mixte dans lequel la part assurantielle collective, reposant sur la cotisation sociale liée au salaire et une gestion par la négociation collective entre organisations d’employeurs et syndicats de salariés, complète la part de solidarité nationale financée par l’impôt et gérée sous l’autorité de l’État en premier ou dernier ressort. Il s’agit d’un système fortement inspiré du système dit bismarckien et moins du système anglo-saxon, dit beveridgien.
Ainsi, aujourd’hui, les régimes de retraite en France sont financés par la cotisation en proportion des salaires et la pension de retraite est elle-même calculée sur la base du salaire (25 meilleures années dans le régime général de la sécurité sociale) et une évaluation de la contribution en annuités.
Ce caractère mixte (ou intermédiaire) explique pourquoi le régime de base de la Sécurité sociale (géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse), de loin le principal régime de retraite des salariés avec 18 millions de cotisants, est géré par un conseil d’administration composé à parité de représentants des employeurs et de représentants des salariés, la décision relevant en dernier ressort de l’État (c’est en effet dans le cadre de la loi de finance de la Sécurité sociale (LFSS) que le gouvernement fixe le montant des cotisations et le niveau de revalorisation des pensions).
Mais, aujourd’hui, le régime de base est complété par le régime AGIRC-ARRCO (issu de la fusion entre l’AGIRC, créé en 1947 par la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres, et l’ARRCO, créé en 1961, par l’accord national interprofessionnel de retraite complémentaire).
Le régime de retraite AGIRC-ARRCO, qui concerne 18 millions de cotisants et 13 millions de retraités, est exclusivement géré par la négociation collective entre les interlocuteurs sociaux (organisations nationales d’employeurs et confédérations syndicales de salariés). Cette négociation porte tous les quatre ans sur le pilotage stratégique devant assurer la trajectoire d’équilibre du régime. Chaque année, le conseil d’administration paritaire ajuste les paramètres de fonctionnement (valeur du point de retraite, le salaire de référence ou prix d'achat du point) dans le respect des décisions prises par les organisations signataires des accords.
Le régime complémentaire (IRCANTEC) du personnel contractuel de l’État et des collectivités territoriales et hospitalières fonctionne de façon équivalente à celui de l’AGIRC-ARRCO, avec cependant une présence des autorités publiques concernées en tant qu’employeurs.
Les régimes de fonctionnaires de l’État (code des pensions civiles et militaires) et des collectivités territoriales et hospitalières (CNRACL), qui concernent environ 5 millions d’actifs, sont attachés au statut général de la fonction publique et relèvent, par définition, de la responsabilité de l’État et des employeurs publics concernés.
Un « système universel » menant à un régime unique géré par l’État
Notre confédération a très vite qualifié le projet du gouvernement de régime unique. En effet, le système actuel et ses régime (dont il ne faut jamais oublier qu’il repose principalement, en termes de population concernée, sur le régime de base de la Sécurité sociale et ses régimes complémentaires et sur celui des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales et hospitalières) assure de fait un droit universel à la retraite. Cela ne veut en rien dire que tout est parfait et notre organisation syndicale porte d’ailleurs des revendications destinées à l’améliorer, en tenant compte des évolutions économiques et de la situation de l’emploi.
En ce qu’il regrouperait dans un seul et unique régime l’ensemble de la population (salariés et non-salariés), le système universel du gouvernement mènerait inévitablement à une gestion par l’État, au nom de l’intérêt général au sein duquel la situation des salariés et leur capacité à faire valoir leurs droits par la représentation syndicale serait diluée, sinon évincée pour ce qui concerne la capacité de négociation collective autonome. La place accordée aux partenaires sociaux, mise en avant par le gouvernement au titre de la gouvernance, serait réduite à donner un avis consultatif ou à mettre les contraintes financières décidées par l’État en œuvre.
De ce point de vue, le rapport du Haut-Commissaire est explicite : « le cadre du pilotage sera fixé par les lois financières proposées par le gouvernement et adoptées par le Parlement […] En outre, dans le cadre des lois financières, le gouvernement pourra présenter au Parlement les modifications ayant trait aux conditions d’ouverture des droits (âge légal et dispositifs de départs anticipés) ainsi qu’aux dispositifs de solidarité (périodes assimilées, droits familiaux, minimum de retraite etc.). L’appréciation de ces éléments, compte tenu de leur nature, relèvera de la loi et du pouvoir réglementaire ». Toutefois, sur ces sujets, le conseil d’administration disposera d’une capacité à donner son avis sur les choix du gouvernement. Le conseil d’administration pourra également formuler des propositions de modifications. Le gouvernement fera connaître, de façon argumentée, les suites qu’il entend donner à ces propositions. Enfin, le gouvernement, en ce qu’il détermine et conduit la politique de la Nation, sera toujours libre de proposer tout projet de réforme ayant des incidences sur les équilibres financiers du système de retraite. Dans ce cas, le conseil d’administration devra proposer les évolutions des paramètres du système permettant d’atteindre les objectifs de ce projet. Comme précédemment, le gouvernement devra alors présenter au conseil d’administration et au Parlement les suites qu’il entend donner à cet avis ».
La composition paritaire d’apparence du conseil d’administration, proposée par le même rapport (13 représentants des assurés désignés par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et 13 représentants des employeurs, dont l’État et les employeurs publics, représentant de fait les chefs d’entreprises salariés, les exploitants agricoles, les professions libérales, les indépendants et commerçants du côté employeurs mais aussi intéressés en tant qu’assurés bénéficiaires), serait aussi source de dilution et de confusion, accentuant de fait la prépondérance de l’État dans la décision.
Les débats et aléas récents sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sont suffisamment éclairants quant au poids prépondérant de l’État en dernier ressort, bien que les organisations syndicales soient représentées au sein du conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Dès la création de la CSG puis des réformes concernant l’assurance maladie des années 1990 et suivantes, notre confédération avait justement appelé à une clarification entre ce qui devait relever de la solidarité nationale en matière de santé (donc du financement par l’impôt et de la gestion par l’État) et ce qui devrait relever de l’assurance collective solidaire, financée par la cotisation sociale et gérée par la négociation collective et le paritarisme entre organisations d’employeurs et syndicats de salariés.
Les débats actuels à la suite de la parution du rapport du conseil d’orientation des retraites (COR), commandé à l’évidence à dessein par le gouvernement, tant sur la nature de l’équilibre financier des retraites que sur les mesures à prendre, illustre ce que seront demain les débats et le poids de l’État quant au pilotage financier du système dans son ensemble.
Or, notre objectif est de préserver la capacité de librement négocier la part de richesse, créée par l’économie et les entreprises, redistribuée au salaire et à la protection sociale par la cotisation sociale.
Dirigisme social et libéralisme économique
Les deux principaux régimes complémentaires (AGIRC-ARRCO et IRCANTEC) du régime de base de la Sécurité sociale disposent de réserves de l’ordre de 80 milliards d'euros. Il va de soi que l’étatisation d’ensemble du système de retraites poserait la question du devenir de ces réserves qui sont le produit des cotisations sociales (part de salaire différé). Il ne pourrait être acceptable que l’État fasse en quelque sorte « main basse » sur ce qui légitimement appartient à la solidarité collective des salariés.
Quant à la démarche du gouvernement, concernant le système de retraites, il est aussi significatif que sa politique mène à désengager l’État du service public toujours davantage par le biais des privatisations, depuis de nombreuses années, et par celui de la contractualisation des emplois publics qu’accentue encore la loi récente dite de « transformation de la fonction publique ». Ainsi, tout en dirigeant de plus en plus de salariés des services publics vers le privé, donc vers les régimes de retraites du secteur privé (régimes de base et complémentaires), l’État, en prenant l’autorité sur la gestion du futur régime unique de retraite, reprendrait d’une certaine façon d’une main ce qu’il abandonne de l’autre !
Cette forme de dirigisme social de l’économie libérale est d’ailleurs aussi révélée par le choix de la prime d’activité complémentant le SMIC plutôt que celui d’augmenter le SMIC lui-même.
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