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04 / 11 / 2024 | 59 vues
Hervé Schmitt / Membre
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La mer, vivier d’emplois à défendre en France

Les métiers du secteur de la mer sont nombreux et souvent mal connus. Pourtant, l’activité maritime de la France constitue un poids lourd de l’économie nationale. Un poids lourd certes, mais que les décideurs politiques doivent protéger à tout prix. Explications.

 

Cocorico, la mer s’annonce d’huile pour le secteur maritime tricolore, tous les voyants semblent au vert. « Avec 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, la France dispose du deuxième espace maritime mondial, souligne le département d’études de France Travail[i]. En 2022, la branche du maritime et du fluvial représentait près de 100 milliards d’euros en valeur de production. Toujours plus dynamique, la filière est à la croisée de très nombreux enjeux, entre tradition et innovation. Aménagement, logistique, stratégie… les sous-domaines de ce vaste secteur sont divers et nombreux. De la start-up aux grands groupes, des écoles et universités aux laboratoires, la France compte par ailleurs plusieurs leaders mondiaux dans les secteurs clés de l’économie. » Rien que ça.

 

La mer, un poids lourd toute catégorie

 

Pêle-mêle, France Travail énumère les filières du secteur dans lesquelles la France excelle ou dispose de fleurons à l’échelle mondiale : Transport et logistique (35% de la valeur produite du secteur), Industrie navale et nautique, Pêche et aquacultures, Énergie fossile et renouvelable, Câbles sous-marins, ainsi que Tourisme et loisir. « La France, du fait de sa position géographique lui donnant accès à plusieurs mers et océans, a su tirer parti du domaine maritime, avance Maxime Gautier[ii], directeur de recherche chez Statista. Ce secteur représente un poids important dans son économie et génère de nombreux emplois directs : plus de 68000 dans la pêche et l’aquaculture, 40500 dans l’industrie nautique, 40000 dans les ports etc. D’ailleurs, parmi les dix importants ports d’Europe, deux sont situés en France : Marseille et Le Havre. »

 

À cela s’ajoute le poids de la construction navale, dont près de 50% de la production est destinée à l’exportation. « Avec plus de 13,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 53000 emplois, l’industrie navale française est un secteur dynamique, en croissance, porteur de souveraineté », se félicite Pierre Étic Pommelet[iii], président du GICAN (Groupement des Industries de Construction et Activités Navales). Tout en soulignant que le secteur maritime doit continuer sa politique d’investissement dans les nouvelles technologies et de réindustrialisation, faute de quoi la concurrence – en particulier asiatique – ne s’embarrassera pas scrupules pour prendre des parts de marché aux opérateurs français.

 

Une entreprise marseillaise domine de la tête et des épaules la filière Transport et logistique tricolore. « En France, une entreprise de transport maritime se distingue particulièrement : la Compagnie Maritime d’Affrètement – Compagnie Générale Maritime (CMA CGM), poursuit Maxime Gautier de Statista. Il s’agit de la troisième entreprise mondiale de transport par conteneurs et la première française, dont la prévalence est reconnue à la fois au niveau européen et à l’échelle mondiale. Ses prestations incluent le transport maritime, la manutention portuaire et la logistique. Son chiffre d’affaires avoisine les 23,5 milliards de dollars et sa flotte compte environ 500 bateaux. » Dans le secteur Pétrolier offshore, une autre entreprise française – Bourbon – qui se taille la part du lion, en étant nº1 mondial de son domaine.

 

En réalité, CMA CGM et Bourbon font partie des arbres qui cachent la forêt. « La flotte de commerce sous pavillon français compte, au 1er janvier 2024, 438 navires d’une jauge brute de plus de 100 (en UMS), détaille le secrétariat d'État chargé de la Mer et de la Biodiversité[iv]. Elle se compose d’une flotte de transport de 207 navires et d'une flotte de services maritimes de 231 navires. » Derrière ces géants, une flottille de petits armateurs – ils sont 67 à battre pavillon français selon les dernières statistiques – ne disposent souvent que d’un ou deux navires. Ce sont ces entreprises maritimes qui sont aujourd’hui les plus fragiles.

 

Une success story menacée

 

Si, dans son ensemble, le secteur français de la mer se porte bien, planent aussi quelques ombres au tableau. Ces menaces – intérieures comme extérieures – sont prises très aux sérieux par les principales entreprises du secteur, car elles sont synonymes de perte de compétitivité et donc de destructions d’emplois. D’abord, signe des temps, il y a le boom des attaques cyber. En 2023, l’association France Cyber Maritime et la société de conseil OWN ont publié la première édition de leur rapport[v] intitulé Panorama de la cybermenace maritime. L’éventail des menaces est impressionnant : sachant que 80% du commerce mondial transitent par bateau, les hackers ont compris qui rançonner. « Près de 90 incidents de cybersécurité notables et publics ont été détectés en 2022 dans le secteur maritime et portuaire au niveau mondial », chiffre le rapport, tout en soulignant qu’il ne s’agit que ces incidents révélés au public. Entre 2020 et 2021, le nombre d’attaque aurait même explosé de +235%. Dans cette guerre cyber, les bateaux ne sont pas les seules cibles : câbles sous-marins, satellites, installations portuaires… Face à cela, le secteur maritime se bunkerise.

 

En France, les armateurs font aussi face à des menaces domestiques, avec une réforme fiscale qui est revenue sur le tapis à la faveur des discussions sur le projet de loi de finances 2025 : celle de la taxe dite « au tonnage ». Les entreprises françaises du secteur du transport maritime jouissent en effet d’une niche fiscale spécifique, n’étant pas assujetties à la taxe sur les bénéfices. Certains crient au « privilège » – à l’extrême gauche et à l’extrême droite – alors que ce système permet à de nombreux petits armateurs de ne pas mettre la clé sous la porte quand les volumes nécessaires et les résultats comptables sont en-dessous du niveau de flottaison. Les armateurs s’en sont d’ailleurs émus dans une lettre ouverte[vi] commune, parue en juin dernier : « Sur le territoire national, ce sont des familles, des villes portuaires, des territoires littoraux entiers qui vivent de cette filière, du Havre à Marseille. L’existence d’une flotte de commerce constitue un outil stratégique essentiel à sa souveraineté et à son indépendance, particulièrement dans le contexte géopolitique actuel. Comment, sans une telle flotte, pourrait-on assurer notre souveraineté, face à la montée en puissance d’armateurs étrangers largement soutenus par leurs États, en Europe et dans le monde ? Comment, sans une telle flotte, pourrait-on répondre aux besoins urgents de l’État ? » Le secteur de la mer ne peut en effet pas être abordé comme les autres tant ses spécificités sont complexes, et son poids en termes de souveraineté économique est lourd.

 

Cette question de souveraineté est en réalité centrale dans le débat, surtout pour un secteur qui se bat contre une concurrence féroce sur les mers : celle des autres gros opérateurs internationaux – européens, asiatiques ou américains –, mais surtout celle des bateaux naviguant sous pavillon de complaisance et celle des flottes fantômes qui sont devenues une nouvelle arme entre les mains des dirigeants mis au ban des Nations, comme le président russe Vladimir Poutine. Certes, la mer semble d’huile pour le secteur maritime. Mais il ne faut pas oublier de surveiller les nuages noirs à l’horizon.

 

[i] https://www.francetravail.org/accueil/actualites/2024/maritime-et-fluvial-un-secteur-en-vogue.html?type=article

[ii] https://fr.statista.com/themes/2956/le-secteur-maritime-en-france/#topicOverview

[iii] https://gican.asso.fr/wp-content/uploads/2024/01/PDF-WEB-Cahier-maritime-GICAN-2024.pdf

[iv] https://www.mer.gouv.fr/la-marine-marchande-en-france

[v] https://www.itforbusiness.fr/le-secteur-maritime-en-pleine-cyber-tempete-62625

[vi] https://www.lejdd.fr/societe/des-grands-patrons-du-secteur-maritime-alertent-sur-la-suppression-de-la-taxe-au-tonnage-146674

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