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26 / 10 / 2021 | 5746 vues
Hervé Schmitt / Membre
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La face cachée de la reprise d’Equans : des milliers d’emplois en péril

La vente d’Equans, l’entité dédiée aux services multi-techniques du groupe Engie, inquiète les salariés de toutes les entreprises concernées par cette opération car elle pourrait finalement se traduire par une importante casse sociale après la reprise par un concurrent industriel.

 

C’est le combat de la rentrée : afin de se recentrer sur ses activités d’infrastructures et les énergies renouvelables, Engie est sur le point de vendre Equans, une entité créée il y a pourtant à peine quelques mois et regroupant environ les deux tiers de ses activités de services. L’enjeu est de taille : l’entreprise emploie 74.000 personnes dans 17 pays (dont 27.000 en France répartis dans plus de 400 agences) sous les bannières d’Ineo et Axima.

 

Le personnel d’Equans intervient notamment dans les installations électriques, de chauffage, de ventilation, de climatisation, dans la mécanique et la robotique et dans le numérique et les services généraux. Des marchés en pleine croissance avec des emplois qualifiés, notamment portés par les enjeux de décarbonation et d’efficacité énergétique. L’entreprise revendique ainsi le rang de numéro deux mondial des services multi-techniques, derrière Vinci Energies.

 

Au-delà du montant de la transaction, estimé à environ six milliards d’euros, le dossier mérite toutes les attentions du fait de sa forte dimension sociale. À quelques mois de l’élection présidentielle, c’est bien l’État qui es désormais attendu au tournant : l’État, qui reste le principal actionnaire du groupe Engie avec 23,64 % du capital et 33,44 % des droits de vote, pèsera en effet sur l’issue de ce dossier. Mais prendra-t-il le temps de mesurer les conséquences concrètes et réelles pour les salariés des grandes manœuvres capitalistiques décidées en haut lieu ?

 

La crainte d’un effet très négatif sur l’emploi

 

Les salariés et les syndicats craignent à juste titre « des conséquences pour le personnel, en termes d’implantation géographique, de poursuite d’activités, de niveau d’effectifs ou d’ambition sociale », comme le résume très justement le comité d’entreprise européen (CEE). Alors que la vente est désormais actée, les inquiétudes portent sur l’avenir des différentes entités d’Equans et sur le volet social, clef de voûte de l’opération.

 

Aujourd’hui, trois candidats sont encore en lice pour le rachat : deux industriels français (Bouygues et Eiffage) et un fond d’investissement américain (Bain Capital). A priori, le scénario d’une reprise industrielle française aurait de quoi séduire. Mais, dans les faits, ce serait pourtant la solution la plus complexe à mettre en œuvre et, surtout, celle qui présenterait le plus de risques de casse sociale.

 

L’organisation syndicale belge ABVV-FGTB exprime très clairement ses craintes : « une vente à un candidat industriel aura assurément un effet très négatif en matière d’emploi et de position sur le marché. Comme trop d’activités similaires se chevauchent, la crainte d’assister à des restructurations sans précédent, susceptibles de se traduire par des licenciements est grande ». « Que vont devenir les fonctions supports ? Quid des doublons d’activités et des implantations géographiques ? ». Mais la situation n‘est malheureusement pas plus reluisante en France : « Concernant les groupes industriels français, si cette solution peut paraître séduisante de prime abord (maintien de la souveraineté nationale et projet industriel existant), elle ne serait pas exempte de risque en matière d’emploi en raison des nombreux doublons générés par un tel rapprochement, à la fois au sein des fonctions de support mais également des implantations opérationnelles », estime à juste titre le délégué syndical central CFDT Ineo. En France comme à l’étranger, les inquiétudes sont vives car, pour des milliers de salariés, l’incertitude n’a jamais été telle quant à l’avenir de leurs emplois.

 

Comble de l’ironie et de l’absurdité de ces grandes cessions hors-sol, les inquiétudes des salariés d’Equans sont partagées par ceux des éventuels repreneurs industriels, qui craignent d’être sacrifiés dans l’absorption de ce « très gros morceau ». Ni Bouygues ni Eiffage n’a en effet jusqu’ici réalisé une acquisition de cette ampleur. En rachetant Equans, Eiffage doublerait de taille. Quant au chiffre d’affaires du pôle « énergies & services » de Bouygues, il est aujourd’hui trois fois moindre que celui d’Equans.

Les salariés de toute ces entreprises s’inquiètent en particulier des risques sociaux inhérents à toute fusion ou rachat entre concurrents : que deviennent les nombreux « doublons » existant entre Equans et un éventuel repreneur industriel ? Qui saura poursuivre le développement d’Equans ? Ce qui fait, là aussi, craindre aux collaborateurs des restructurations à la disparition des entités qui se consacrent à la construction ou à la consolidation d’une offre internationale pour Engie depuis des années. L’amertume est donc légitimement grande chez les salariés concernés. Rien n’est fait pour les rassurer du côté d’Eiffage et de Bouygues. Le projet semble avant tout répondre à la volonté de racheter un concurrent pour gagner des parts de marché, au mépris des intérêts du personnel.

 

De multiples problèmes de concurrence et d’ingérence politique ?

 

Au-delà de ce que les repreneurs industriels pourraient décider ou non, la reprise par Eiffage ou Bouygues posera quoi qu’il arrive des problèmes de concurrence sur certains marchés que les autorités françaises et européennes concernées devront trancher. Avec très probablement des cessions imposées à la clef donc un démantèlement partiel d’Equans. Ces procédures devraient aussi considérablement ralentir la résolution du dossier : alors que la direction d’Engie déclare espérer boucler la vente le plus rapidement possible, ce feuilleton pourrait bien servir de combustible au mécontentement social qui gronde déjà dans le pays, tout au long de la campagne présidentielle voire au-delà...

 

Si le choix devait finalement se porter sur Bouygues (qui fait figure de favori selon certains observateurs), les risques en termes de concurrence seraient particulièrement nombreux. Les effets des procédures de contrôle des concentrations pourraient d’abord se traduire par des cessions d’activités d’Equans ou de Bouygues énergies & services. Par exemple, les activités de génie climatique d’Equans (Axima) et de génie mécanique (Endel), en plus de celles de Cofely (services techniques) sont directement concurrentes de celle de de Bouygues énergies & services et l’addition de ces activités devrait représenter une part significative des marchés français et européen. Cette concentration pourrait pousser la Commission européenne à exiger des cessions avec, là encore, de la casse sociale, sachant que, du côté d’Equans, on parle de près de 50 000 salariés sur ces trois seules entreprises.

 

Enfin, les salariés et leurs représentants s’interrogent également sur la volonté et sur la capacité de Bouygues à pérenniser le caractère international d’Equans, en particulier aux États-Unis où le potentiel de développement est important : depuis 2018, Engie s’est totalement réorganisée sur ces marchés non seulement sur les énergies renouvelables (activités qu'Engie conserve) mais aussi sur les services à l’énergie, activités transférées pour partie dans Equans. Les emplois dédiés à ces marchés ont toutes les raisons de s’inquiéter, sachant que ni Bouygues ni Eiffage ne montre d’intérêt particulier pour l’Amérique du Nord, même si Bouygues y dispose d’une petite filiales consacrée au BTP. Tous ces sujets ont été abordés par le comité de groupe européen d’Engie, qui a auditionné les candidats les 7 et 8 octobre derniers, mais sur lesquels de nombreuses questions restent encore sans réponse. Notre positionnement ne peut être conditionné que sur le développement économique et les engagements sociaux présentés.

 

Une autre polémique gronde dans les rangs des salariés : la proximité entre Emmanuel Macron et Martin Bouygues, qui n’est pas un secret. Mais, sachant que Bouygues rencontre des vents contraires dans sa tentative de rachat de M6, voir en Equans un « lot de consolation » donné comme compensation à un « ami » du président serait un outrage sans équivalent pour les salariés qui ont bâti le groupe tel qu’il est aujourd’hui. La CFDT a ainsi déjà clairement indiqué qu’elle « ne saurait cautionner aucune décision dictée par un quelconque intérêt politique à l’aube des élections présidentielles de mai prochain, ni par des relations privilégiées entre grands de ce monde comme, entre autres et selon la presse, la proximité entre le Président Macron et M. Bouygues ».

 

Personne ne devrait oublier que les organisations représentatives du personnel auront leur mot à dire sur ce dossier, et que l’hypothèse d’un hiver, voire d’un printemps social tempétueux est aujourd’hui sur la table.

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