Il y a ceux qui veulent éradiquer le chômage de longue durée et ceux qui veulent éradiquer les « territoires zéro chômeur de longue durée »
Dans la vie, chacun choisit ses combats. Avec de nombreux acteurs, nous portons le projet « territoires zéro chômeur de longue durée » qui produit des résultats très positifs dans les dix territoires d’expérimentation. Le bilan intermédiaire du fonds national d’expérimentation le démontre d’ailleurs.
Plus de 850 personnes ont été embauchées dans les entreprises créées (EBE). Elles avaient en moyenne une durée de chômage de 54 mois et plus de 20 % sont des travailleurs handicapés. Par ailleurs, 350 personnes ont retrouvé un emploi sans passer par les EBE. Quatre des dix territoires sont déjà quasiment à l’exhaustivité. Nous avons désormais une reconnaissance internationale à travers les premiers résultats de l’expérimentation et la Belgique va également expérimenter le projet.
Le Président de la République a clairement affiché son ambition d’étendre le projet à de nouveaux territoires en inscrivant cette extension dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté en septembre 2018. Le 1er mars 2019, lors d’un débat organisé à Bordeaux suite au mouvement des gilets jaunes, il a annoncé que 2020 était trop tard pour étendre et qu’il fallait donc étendre avant. La vidéo est disponible ici : http://www.castillonlabataille.fr/grand-debat-rencontre-president-de-republique/.
Près d’une centaine de territoires sont déjà prêts et, avec les chômeurs, attendent la deuxième loi pour se lancer. Ils ont déjà identifié les activités à developer sur le territoire.
Mais c’est sans compter sur la langueur instaurée, voire le sabotage orchestré, depuis par le Ministère du Travail. L’orchestration s’est jouée en plusieurs actes.
Acte I : Après le changement de gouvernement, il nous a fallu beaucoup de temps et de relances pour enfin obtenir un rendez-vous avec la Ministre du Travail alors qu’il a été très simple de présenter le projet à la Banque mondiale, à l’OCDE, à la Commission européenne ou encore à Harvard, auprès des plus grands acteurs internationaux de lutte contre la pauvreté. Le rendez-vous avait été plutôt positif. La ministre nous a alors annoncé qu’une mission IGAS-IGF rendrait ses conclusions avant l’été 2019. Il faut savoir que la loi que j’ai portée en 2016 prévoit déjà une évaluation d’un conseil scientifique, de la DARES et du fonds national d’expérimentation. Avec la mission spéciale IGAS-IGF, cela fait de l’expérimentation la plus évaluée en France. Les mois passent et la mission est enfin lancée à la fin de l’été 2019. Cette mission est devenue un argument pour repousser l’extension puisqu’on nous répond désormais régulièrement qu’elle n’a pas encore rendu ses conclusions.
Acte II : Fin 2018, à la demande de la Commission européenne qui soutient le projet, nous avons déposé une demande de fonds social européen (FSE). Nous avons sérieusement monté le projet. La veille de la commission AVISE, qui étudie les projets en France, j'ai été prévenu que le Ministère du Travail avait mis son veto. Il m'a alors été très simple d’expliquer au ministère qu’il nous serait difficile de dire à la Commission européenne que c’était l’État français qui mettait son veto à un projet de lutte contre le chômage de longue durée pour un dossier européen proposé par l’Europe. Le veto a finalement été levé et nous avons alors perdu trois mois avant d’enfin obtenir l’accord.
Acte III : Les bruits négatifs nous sont régulièrement revenus de la part de parlementaires de la majorité sur les discours tenus par des membres du cabinet de la Ministre du Travail. Il y a 209 membres dans le comité de soutien parlementaire à l’extension du projet, ce qui fait que nous avons été régulièrement informés.
Acte IV : Nous avons organisé un rassemblement aux Invalides en juin 2019 avec tous les territoires et les parlementaires pour appeler à la deuxième loi qui permettra l’extension de l’expérimentation. La veille de ce rassemblement, j’ai été contacté par le délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, Olivier Noblecourt, qui m’a alors indiqué que j'allais recevoir une lettre de la Ministre du Travail dans les prochains jours, avec un calendrier clair pour la deuxième loi. Les semaines ont passé et rien n’est arrivé. Fin août, nouvel appel pour m’indiquer la même chose. Nous sommes fin octobre, pas de son, pas d’image, pas de lettre.
Acte V : On a commencé à avoir de nouveaux bruits négatifs à l’été à chaque fois qu’un acteur de terrain a rencontré un haut responsable du Ministère du Travail. Il faut dire que plus de 200 territoires ont soutenu le projet et que nous avons donc eu beaucoup de relais pour comprendre ce qui se passait. Cela a permis une transparence et d’éviter les doubles discours de certains acteurs publics.
Acte VI : J'ai été auditionné début septembre par la mission IGAS-IGF. Une drôle d’ambiance s’en est dégagée. J’ai plus eu l’impression d’être face à des gens ayant déjà leur idée en tête qu'à des gens voulant comprendre. On m'a dressé les conditions d’échecs plutôt que les conditions de réussite. Pourtant, les échos de l’évaluation du conseil scientifique ont été positives puisque l’équipe avait eu l’occasion d’échanger avec son président lors d’une visite à Mauléon en juillet 2019.
Acte VII : Les bruits négatifs ont continué de nous remonter. On a même cherché à nous diviser en faisant courir le bruit que certaines des associations fondatrices n'auraient pas été pour l’extension tout de suite. Ces bruits négatifs provenaient des mêmes sources, comme vous pouvez l’imaginer. Ce qui est bien évidemment totalement faux comme vous pourrez le constater avec le courrier ci-dessous adressé au Président de la République, nous sommes tous alignés sur la même position.
Acte VIII : Le 18 octobre au matin, avec Louis Gallois, nous avons découvert une tribune torchon de l’économiste Pierre Cahuc dans Les Échos. Il attaquait l’expérimentation avec des chiffres faux et laissant penser qu’ils venaient des évaluations. C’était extrêmement choquant car Pierre Cahuc a un devoir de neutralité en tant que membre du conseil d’évaluation scientifique. Il est très proche de certains acteurs du Ministère du Travail pour avoir co-écrit L’apprentissage avec Marc Ferracci, « conseiller spécial » de Murielle Pénicaud. Nous avions également rencontré ce conseiller dont l’accueil avait été glacial.
Prochain acte
Territoires zéro chômeur de longue durée est un combat. Nous allons éradiquer le chômage de longue durée dans les dix territoires et réussiront le passage à l’échelle pendant que d’autres continueront de tenter de nous éradiquer. Le temps fera son œuvre, d’abord parce que les ministres et les cabinets sont comme le temps, ça change. Pour notre part, nous serons toujours là. Ils ont quand même réussi l’exploit de décrédibiliser le processus d’évaluation. Ensuite, la puissance de mobilisation des territoires et des parlementaires finira par l’emporter car la majorité sociale du pays emporte toujours les majorités politiques. Enfin, ce ne sont pas quelques apparatchiks faussement érudits qui nous ferons trembler.
Voici quelques éléments qui éclaireront ceux qui ont lu le torchon faussement idéologique de Pierre Cahuc...
PS : Avec Louis Gallois (président du fonds d'expérimentation contre le chômage de longue durée), nous avons également tenu à réagir immédiatement en co-signant un courrier pour attirer l'attention du Président de la République, en l'invitant à prendre des mesures pour ramener la sérénité souhaitée dans l'évaluation de l'expérimentation zéro chômage/
Dans le même temps, l'ensemble des associations fondatrices du projet TZLCD (*) s'est adressé à lui pour souligner la forte mobilisation des acteurs, le premier bilan à en tirer des actions menées et lui rappeler les engagements pris, tant de la cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté que lors du débat organisé à Bordeaux, en vue d'une extension du dispositif avant la fin 2019.
(*) Coorace France, Secours Catholique-caritas France, Pacte Civique, ATZCLD, Fédération des acteurs de la solidarité, Fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, TD Quart Monde, Mouvement national des chômeurs et des précaires, Fondation AMIPI, AFP France handicap et Emmaüs France.