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Crise suicidaire chez France Télécom : verdict historique pour un appel à la responsabilité des dirigeants
La justice a été au rendez-vous de l’émotion et de l’histoire sociale de notre pays. Elle a répondu à grand nombre de questions. Oui le harcèlement peut être le résultat d’une politique anxiogène et déstabilisante décidée au plus haut niveau de l’entreprise. Oui cette stratégie est pénalement condamnable. Oui il y a encore des interdits dans la conduite des hommes. Oui les entreprises et les services publics devront désormais concilier le temps et les exigences de transformation avec le rythme de l’adaptation des salaries et des agents qui assurent le succès de cette transformation. Oui certaines pratiques de gestion peuvent être considérées comme relevant d’un harcèlement moral institutionnel. Non les dirigeants ne peuvent pas se défausser de leurs responsabilités sur les managers intermédiaires. Oui les dirigeants peuvent fixer des objectifs mais ces derniers doivent l’être raisonnablement et leur mise en œuvre doit demeurer respectueuse des conditions de travail. Oui le harcèlement moral peut exister sans qu’il y ait un lien direct entre la victime et l’auteur présumé des faits. Oui ce jugement fera jurisprudence pour apprécier désormais la gouvernance des salaries et fonctionnaires en France.
L’entreprise France Telecom était critiquée en raison d’une vague suicidaire. Mis en examen avec son équipe dirigeante le 4 avril 2012, Didier Lombard, tous les prévenus et la personne morale ont été condamnés pour harcèlement moral ; les trois principaux dirigeants à un an de prison (peine maximale prévue par la loi) dont huit mois avec sursis. Les prévenus condamnés ont relevé appel de ce jugement mais la direction de France Telecom/Orange l’a accepté avec sagesse pour panser les plaies et aller de l’avant.
La procédure judiciaire engagée à l’initiative des syndicats a retenu près de 150 parties civiles demandant réparation. Le tribunal a examiné en détail le cas de 39 salaries de France Telecom. 19 victimes se sont suicidées , 12 ont tenté de le faire et 8 ont subi une dépression. Cet état démontre bien que l’ensemble des salariés et agents de France Télécom ont été impactés par ce harcèlement moral « managérial ». Ce jugement essentiel ne peut hélas satisfaire les victimes et leur famille tant les peines apparaissent faibles en regard de la perte d’un être cher ou des souffrances subies.
Les travaux du cabinet Technologia , ont été cités par les juges à 43 reprises dans ce jugement. Pour rappel le cabinet a travaillé près d’un an, à plus de 30 experts au sein de France Telecom après avoir gagné l’appel d’offre en septembre 2009 afin de juguler cette crise aux cotés de la nouvelle direction et des organisations syndicales. Le cabinet a remis 10 rapports pour environ mille pages de conclusions et de préconisations réalisées sur la base de 1000 entretiens en face à face et d’un questionnaire auquel ont répondu en 3 semaines plus de 80 000 salaries et agents de France Télécom devenue en 2013 Orange.
Ce jugement est une invite à l’action pour tous ceux qui désirent de bonnes conditions de travail et un minimum de considération si ce n’est de reconnaissance. Car loin de se réduire à un conflit individuel qui suppose un lien direct entre l’auteur présumé des faits et la victime, le harcèlement moral dans sa forme institutionnelle peut être évoqué désormais par les victimes en raison de ses racines profondes dans l'organisation du travail et le management.
Merci a tous ceux qui ont œuvré pour parvenir à ce résultat. Je ne peux pas les citer tous mais chacun d’eux sait la part qu’il a pris dans cette avancée sociale importante.
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Retour sur le délibéré du procès France Télécom avec ce compte-rendu écrit par Jean-Louis Osvath, inspecteur du travail
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