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Comment les entreprises du secteur du luxe profitent de la crise
Plus que les autres secteurs d’activité, celui du luxe a été particulièrement touché par la crise économique. Malgré des bénéfices toujours plus mirobolants d’année en année, de grandes marques comme Chanel n’ont pas été à la hauteur du prestige vendu à leurs clients, sacrifiant des centaines de boutiques et des milliers d’emplois. Bien que considérée comme une valeur refuge, cette industrie régulièrement éclaboussée par les scandales doit faire son mea culpa. En période d’expansion de la pandémie de covid-19 et d’adaptation aux mesures sanitaires exceptionnelles liées au confinement, l’attention était forcément ailleurs... Mais à l’image d’autres branches industrielles, celle du luxe a connu une chute vertigineuse. Priorités obligent, les produits haut-de-gamme ont figuré parmi ceux dont les consommateurs se sont détournés en premier. Avec des conséquences inédites sur le chiffre d’affaires et la santé d’ordinaire étincelants (pour ne pas dire inconvenants) du secteur.
Parmi les principales victimes de la crise économique, le géant américain Victoria’s Secret a pris un retour de bâton en pleine tête. Déjà en difficulté suite aux multiples scandales de « body shaming », de harcèlement et de discrimination en tout genre, la marque de lingerie accuse près de 50 % de pertes au niveau mondial. Après avoir fait faillite au Royaume-Uni, elle prévoit de fermer pas moins de 250 boutiques aux États-Unis et au Canada en 2020, soit un quart de ses enseignes nord-américaines. L-Brands, la maison-mère de Victoria’s Secret, elle, a enregistré 37 % de baisse des ventes entre février et mai. Bien sûr, elle a déjà commencé de se séparer d’un maximum de ses collaborateurs à travers le monde...
Autre grand nom du luxe, Chanel aurait été plutôt épargné par la crise économique, aux dernières nouvelles. Après avoir fermé plus de la moitié de ses magasins dans le monde au plus haut de l’épidémie, la marque française s’attendait à un recul de 15 à 20 % de son chiffre d’affaires, a déclaré son président, Bruno Pavlovsky, fin mars. Un moindre mal quand le repli est estimé à 35 % pour la filière du luxe, selon les prévisions du cabinet Bain. À l’entendre, le groupe prévoirait même de réaliser des bénéfices en 2020. Mais cette apparente sérénité dissimule des méthodes peu scrupuleuses, notamment en Asie. À Hong-Kong, temple de la consommation et champion du prix du mètre carré, les employés des boutiques Chanel se sont vus proposer trois « solutions » : démissionner contre l’équivalent d’un mois de salaire ; prendre quatre mois de congés sans solde ou diviser par deux leurs heures de travail (avec 40 % de salaire en moins), sans garantie que leur contrat sera renouvelé.
Étiquette dorée mais éthique en toc...
De la part d’une maison comme Chanel, ce type de chantage est d’autant plus ignoble que son chiffre d’affaires a progressé de 13 % en 2019, avec près de 11 milliards d’euros de résultat. Les ventes de prêt-à-porter ont notamment bondi de 28 % l’an dernier. Avec plus de 2 milliards d’euros de « cash-flow opérationnel », n’importe quelle entreprise devrait pouvoir préserver l’avenir de ses employés. Dans ces conditions particulièrement favorables, où l’argent coule à flots, comment ces multinationales peuvent-elles, au moindre recul de croissance, sacrifier ceux qui créent la valeur de leurs produits ? On le sait : le luxe est réputé être une valeur refuge en temps de crise, comme l’ont démontré les phénomènes de « revenge buying » ayant suivi les chocs du 11 septembre 2001, la crise financière de 2008 ou encore l’épidémie de SARS, analyse la journaliste Laura Hood. La crise du covid-19 ne déroge pas à la règle. Lors de sa réouverture, le magasin Hermès de Canton (Chine) a ainsi (tristement) enregistré plus de 2,7 millions de dollars de vente en une seule journée !
Grâce au marché chinois (et plus largement asiatique), pour lequel les produits de luxe constituent de puissants marqueurs sociaux, l’industrie du luxe semble encore avoir un bel avenir devant elle. Mais ce rouleau compresseur peut-il vraiment continuer de tout écraser sans se soucier de ses responsabilités sociétales ? Ces trente dernières années, l’essor vertigineux de la filière luxe a quelque peu été « égratigné » par les révélations de méthodes et pratiques hautement condamnables. Comment cautionner la main-d’œuvre exploitée au sein de la population vulnérable (enfants, mères célibataires, sans-papier etc.), l’environnement saccagé et les animaux brutalisés pour produire un simple accessoire (sacs-à-main, montres et bijoux) avec des marges gigantesques ? Exigeons plus de la part des marques de luxe. Chanel table sur une sortie de crise en 2022 ? Que ses dirigeants profitent de ce délai amplement suffisant pour transformer leur modèle en profondeur. Demandons-leur d’arrêter de sacrifier l’humain et la nature en échange de bénéfices financiers qui ne profitent qu’à une poignée d’actionnaires. Exprimons notre désaccord sur les réseaux sociaux, dans les médias ou les conseils d’administration… Agissons par notre pouvoir d’achat, en sanctionnant les mauvais élèves et en récompensant les bons !