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25 / 05 / 2016 | 13 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Organisation du travail dépassée, savoir-faire collectif : où va la fonction publique ?

Catherine Gras, présidente du think-tank Galilée.sp a bien voulu répondre à nos questions suite à la publication d'Où va la fonction publique ?, un livre qui retiendra l'attention dans le débat ouvert depuis des années sur le sujet.

Pouvez-vous nous dire dans quel esprit votre think tank s'est emparé du sujet et quelle a été votre démarche ?

Notre think-tank a été créé en 2011. Notre projet associatif est de placer Les fonctions publiques au cœur de l'innovation. En effet, pour Galilée.sp, l'appareil public de la France, avec sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité » et ses fonctions publiques, doit jouer un rôle de soutien des populations et de leurs initiatives pour avancer résolument dans le XXIème siècle avec un projet de vivre ensemble, où chacun puisse trouver sa place, s'élever et se développer tout au long de sa vie.

La figure historique de Galilée, à la fois grand scientifique expérimentateur de la Renaissance et homme de conviction, nous a inspiré pour :
  • repartir du terrain et du réel d'aujourd'hui,
  • donner la parole à des fonctionnaires d'État en les interviewant sans tabou sur leur vécu professionnel,
  • ouvrir un échange avec des personnalités extérieures de tout premier plan pour écouter leurs réponses à la question « selon vous, quelles sont les potentialités d'innovation de la fonction publique ? »,
  • mettre en perspective la matière recueillie,
  • permettre aux lecteurs d'un large public de participer à la réflexion,
  • et faire des préconisations à plusieurs niveaux.
Où va la fonction publique ? est cette récolte, riche et abondante car les gens ont apprécié notre écoute, l'intérêt que nous leur portions et l'importance du sujet traité. Le témoignage des fonctionnaires a été analysé sous le sceau de l'anonymat par François Vergonjeanne, spécialiste de la théorie organisationnelle de Berne [1]. Les paroles des acteurs externes ont été restituées par Nicole Vardanega-Lachaud et Gilles de Sars.

Plutôt que d'imaginer une xème réforme des organisations publiques (comme la « modernisation de l'État », puis la « révision générale des politiques publiques », puis la « modernisation de l'action publique »), nous avons choisi l'enquête et la méthode.

Nous avons travaillé pendant deux ans et fait équipe à 11 auteurs réunis dans Galilée.sp : Gérard Bourgogne, Evelyne Cohen-Lemoine, Patrick Dugois, Laurence Fiessinger, Catherine Gras, Paul-Hubert des Mesnards, Bruno Morien, Gilles de Sars, Nicole Vardanega-Lachaud, François Vergonjeanne et Isabelle Vitte-Blanchard.

Vous avez largement consulté et écouté des acteurs de terrain mais pas seulement. Quels enseignements en tirez-vous ?
Nos premiers lecteurs fonctionnaires se sont globalement bien reconnus dans les témoignages recueillis ; nos premiers lecteurs non fonctionnaires ont reconnu de fortes similitudes avec leurs situations de travail dans les grandes organisations privées. Nous avons donc le sentiment que notre enquête a bien rendu compte du travail ressenti.

Nous avons constaté que l'engagement des fonctionnaires dans leur travail était fort. Il s'exerce dans des conditions difficiles, même contre vents et marées et au service de l'intérêt général.

Le savoir-faire collectif et les compétences techniques sont forts. « Le moral des troupes est bas, très bas » et nous avons entendu que les dirigeants ne semblent pas s'en préoccuper, comme si les troupes marchaient à la dérive.

La souffrance professionnelle est réelle, incontestablement et à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique. À bien des endroits, l'organisation du travail est dépassée mais, même si la capacité d'évolution de la fonction publique est grande, elle est « bridée ». Les valeurs de service public sont incarnées individuellement mais beaucoup moins collectivement. À tous les niveaux, on constate un manque de coopération entre équipes.

Il n'en reste pas moins que les fonctionnaires sont prêts à se mobiliser et à trouver de nouvelles voies si l'impulsion est donnée et entretenue.

Depuis des années, les annonces de réforme se succèdent, engendrant les réactions les plus diverses et nourrissant interrogations et inquiétudes chez les agents publics qui ont le sentiment d'être jetés en pâture à l'opinion publique et présentés comme les principaux freins au changement. Pourtant, nombreux sont ceux qui aspirent à des changements, qui ont des idées à exprimer, pour peu qu'on aborde le sujet avec une autre approche, une autre méthode. Quel est votre sentiment ?

Votre diagnostic rejoint le nôtre et notre livre en témoigne. Mais il n'y a pas de fatalité au déclin de la fonction publique. Elle a toute sa place dans notre destin commun car son rôle est fondamental : être au service de l'intérêt général.

Comment faire ? Surtout pas en imposant des démarches préfabriquées comme nous en avons connues pendant au moins dix ans mais en allant à la rencontre des gens (fonctionnaires et non fonctionnaires) et en leur proposant de travailler à une fonction publique redynamisée et adaptée aux enjeux d'aujourd'hui.

Quelle serait cette nouvelle approche ?
  • une vision commune de l'avenir,
  • la confiance en la créativité de chacun et du collectif,
  • l'accompagnement sur la durée.
Est-ce coûteux ? Est-ce impossible ? Est-ce irréaliste ? Non.

Une vision commune, inspiratrice et mobilisatrice vers un futur rêvé : au cours de son histoire, notre pays a su relever tant de défis que tout nous montre que c'est donc possible aujourd'hui. L'essentiel est de s'y atteler sans douter et avec engagement.

La créativité est en chacun de nous : il suffit de l'encourager et de la canaliser. Des méthodes existent, il est temps de les appliquer. Il faut des lieux pour se réunir et y travailler. Les bâtiments ne manquent pas ; il n'y a aucun coût et donc aucune excuse pour ne pas avancer.

Accompagner ce mouvement dans la durée est nécessaire car tout ne se fait pas en un jour : le coaching interne a prouvé son efficacité et sa diffusion est simple et peu coûteuse à mettre en œuvre

[1] Théorie organisationnelle de Berne (TOB), du nom d’Éric Berne, inventeur de l’analyse transactionnelle. La TOB est un outil systémique d‘analyse et de développement du processus humain vers la collaboration et les performances des groupes dans une dynamique gagnant-gagnant (d’après Formation-consulting).
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