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Obtenir 10 % aux élections n’est pas suffisant pour être jugé représentatif
On sait que depuis la loi de 2008, la représentativité syndicale dans l’entreprise est appréciée à partir de plusieurs critères cumulatifs, énumérés par l’article L. 2121-1 du Code du travail:
- le respect des valeurs républicaines,
- l’indépendance,
- la transparence financière,
- l’ancienneté d’au moins deux ans dans les champs professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation,
- l’audience électorale d’au moins 10 %,
- l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience,
- les effectifs d’adhérents et les cotisations.
- Alors qu’avant la loi de 2008, les juges appliquaient une pondération entre les différents critères, on se demandait si, avec la nouvelle exigence de critères cumulatifs posée par l’article L. 2121-1 du Code du travail, tous les critères n’allaient pas être placés sur un même pied d’égalité. « Non » a répondu la Cour de Cassation.
Certes, tous les critères doivent être remplis mais certains seront appréciés de manière autonome et d’autres de manière globale. « Si les critères de représentativité syndicale posés par l’article L 2121-1 du Code du travail doivent être tous réunis pour établir la représentativité d’un syndicat, ceux tenant au respect des valeurs républicaines, à l’indépendance et à la transparence financière doivent être satisfaits de manière autonome ». En revanche, « les critères relatifs à l’influence prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, aux effectifs d’adhérents et aux cotisations, à l’ancienneté dès lors qu’elle est au moins égale à deux ans et à l’audience électorale dès lors qu’elle est au moins égale à 10 % des suffrages exprimés, doivent faire l’objet d’une appréciation globale ».
- L’affaire concernait un syndicat ayant obtenu 16,13 % des suffrages au premier tour des élections au comité d’entreprise. S’estimant représentatif, il désigne un délégué syndical d’établissement et un délégué central. Les désignations sont alors contestées par l’employeur et le tribunal d’instance de Bastia annule les désignations, estimant que le syndicat n’est pas représentatif.
Le tribunal d’instance considère en effet que tous les critères de représentativité exigés par la loi doivent être appréciés de manière autonome et qu’en l’occurrence, malgré l’audience électorale, les critères d’influence, de transparence financière et de nombre d’adhérents n’étaient pas suffisants. En l’espèce, le tribunal relève, s’agissant de l’influence, que les actions menées par le syndicat l’avaient été conjointement avec d’autres organisations syndicales, qu’elles n’étaient pas spécifiques puisqu’elles intéressaient tous les établissements de l’entreprise. Le tribunal relève également que le nombre d’adhérents n’était que de trois pour 211 inscrits sur les listes électorales de l’établissement. Enfin, s’agissant de la transparence financière, les ressources de syndicat étant comprises entre 2 000 et 230 000 euros, celui-ci aurait dû établir, ainsi que l’exige l’article D 2135-3 du Code du travail, non seulement un bilan et un compte de résultat mais encore une annexe simplifiée. Pour les magistrats corses, le critère de la transparence financière n’était donc pas rempli.
La chambre sociale de la Cour de Cassation annule intégralement le jugement et fixe du même coup une grille d’appréciation, une sorte de mode d’emploi, des critères de représentativité. Tout d’abord, la Cour de Cassation indique clairement que tous les critères de l’article L 2121-1 du Code du travail doivent être remplis (ce qui signifie qu’obtenir 10 % aux élections n’est pas suffisant pour être jugé représentatif).
Ce principe étant posé, la Cour de Cassation constitue deux grandes catégories de critères.
- La catégorie des critères qui s’apprécient de manière autonome. Il s’agit du respect des valeurs républicaines, de l’indépendance et de la transparence financière. Ces trois critères s’apprécient donc isolément, ce qui signifie que si l’un de ces critères n’est pas rempli, le syndicat peut voir sa représentativité remise en question.
- La catégorie des critères qui s’apprécient globalement.
Les juges doivent apprécier globalement les critères relatifs à l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience, aux effectifs d’adhérents et aux cotisations, à l’ancienneté (dès lors qu’elle est au moins égale à deux ans) et à l’audience électorale (dès lors qu’elle est au moins égale à 10% des suffrages exprimés).
Cela signifie en clair que si un syndicat a obtenu 10 % aux élections et qu’il a deux ans d’ancienneté, la faiblesse de son nombre d’adhérents ou de son influence (de son activité notamment) pourra être compensée par son audience. En l’espèce, la Haute juridiction a estimé que le critère de l’influence et celui afférent au nombre d’adhérents auraient dû « faire l’objet d’une appréciation globale avec l’ancienneté du syndicat, qui était au moins égale à deux ans, et avec l’audience électorale, qui était de 16,13 % ». Le tribunal d’instance aurait dû rechercher si le niveau d’audience et d’ancienneté ne compensait pas le faible nombre d’adhérents.
- Par cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de Cassation incite les juges à effectuer une pondération entre certains critères de représentativité. Enfin, dernier apport, et non des moindres, de cet arrêt : les syndicats peuvent faire la preuve de leur transparence financière par tous moyens.
S’agissant de l’appréciation du critère autonome de la transparence financière, lequel est destiné à permettre aux syndicats de justifier de l’origine de leur financement, l’arrêt précise que « les documents comptables dont la loi impose la confection et la publication ne constituent que des éléments de preuve de la transparence financière, leur défaut pouvant dès lors être suppléé par d’autres documents produits par le syndicat et que le juge doit examiner ». Le défaut de production de l’annexe simplifiée prévue à l’article D 2135-3 du Code du travail ne suffit donc pas à considérer que le critère de transparence n’est pas rempli.
Ce document n’est pas une condition de la transparence financière. Le juge doit se prononcer sur ce critère au vu de tout autre document produit par le syndicat, à savoir, ici, le bilan, le compte de résultat, les livres comptables mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des ressources perçues et des dépenses effectuées depuis 2008, ainsi que l’ensemble des relevés bancaires. Les précisions qui viennent d’être apportées par la Cour de Cassation sont d’une extrême importance pour prouver sa représentativité dans l’entreprise.