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Le tiers lieu coopératif : l'exemple de Casaco, la « tribu collaborative »
Les tiers lieux, cette « troisième place » (Ray Oldenburg) entre le domicile et le lieu de travail, ont la cote ; pas un plan d’urbanisme qui ne contienne au moins un tiers lieu... Effet de mode ou symptôme de la prise en compte encore souterraine et diffuse, des aspirations à de nouvelles formes d’emploi plus souples, fondées sur une plus grande autonomie de chacun, voulues mais aussi parfois subies, les tiers lieux se développent rapidement.
Le laboratoire de l’économie sociale et solidaire dans sa publication de janvier 2017 sur les nouvelles formes d’emploi posait bien une question centrale. Au-delà de la diversité des initiatives (fablabs, espaces de coworking, espaces hybrides…), des investisseurs privés se sont appropriés le concept, réduisant les tiers lieux à des bureaux partagés, les fablabs à des appendices des grandes surfaces commerciales, les transformant « en simples locations immobilières à vocation financière, surfant sur les besoins des nouveaux indépendants » et, ainsi, « disparaissent les idées de coopération des acteurs et de co-construction de projets ».
Casaco (au sous-titre évocateur « la tribu collaborative ») est pleinement engagée dans cette dynamique coopérative. Installé à Malakoff, dans les Hauts-de-Seine (92), dans des locaux de 460 m², mis à disposition (contre loyer) dans le cadre, d’abord d’une convention temporaire d’occupation, puis, depuis cette année, d’un bail commercial signés avec la mairie, Casaco a été créé sous la forme de SCIC SARL en 2014.
Cinq catégories de parties prenantes ont été mobilisées et participent de sa gouvernance : les salariés, les co-initiateurs, les bénéficiaires, les partenaires contributeurs et les soutiens financiers, dont la collectivité locale et l’écosystème entrepreneurial et de l’ESS. Ils sont répartis en un collège de vote ayant entre 10 et 30 % des droits de vote, pour conserver un équilibre de pouvoir pertinent.
Casaco ne se définit pas tant comme un espace de coworking que comme « celui d’un collectif de travail se réunissant dans un lieu coopératif, démocratique et ouvert à toute initiative dans lequel chacun a sa place et peut participer au commun » (Aurelien Denaes, co-gérant), au service du développement endogène de son territoire et de l’émancipation des citoyens membres de la coopérative.
Entendant répondre à des besoins fonctionnels, émotionnels et politiques, la coopérative met des espaces collectifs ou individuels à disposition, de manière permanente ou ponctuelle, dans un cadre de travail agréable, en préservant des espaces de convivialité et en ne recherchant pas un taux de « remplissage » de 100 % afin de préserver le bien-être des « coworkers ».
Parallèlement, pour des raisons économiques et politiques, Casaco loue ses salles de réunions afin de renforcer ses liens avec les entreprises et les associations locales. Cette même préoccupation de lien avec le quartier a mené la coopérative à accueillir une association de bidouilleurs appelée Les Fabriqueurs (qui conduit d’ailleurs le lancement d’un deuxième tiers lieu coopératif à Malakoff sur la thématique de l’artisanat et du culinaire), les distributions hebdomadaires de produits alimentaires de proximité « La rûche qui dit oui », des ateliers périscolaires ou de co-organiser des événements avec des acteurs locaux (opération Resto du Cœur, ateliers de l’éco de l’ESS, événements en lien avec la mairie…).
Mais Casaco s’attache surtout à créer cette communauté à travers deux axes complémentaires mais distincts. Ainsi, la coopérative organise de fréquents événements (232 en 2017), ouverts à tous mais principalement aux utilisateurs (mardi de Casaco, « calumet de la culture », ateliers professionnels à l’initiative des membres, journée mensuelle des membres, soirées apéro…), mensuels pour la plupart et tournés vers le développement de la coopérative mais également des événements plus prospectifs (« ma vie zéro déchets », « ESS et argent »… ou un weekend entrepreneurial « Réinventer la ville »), dans le but de renforcer les « capabilités » de chacun, de favoriser l’inter-coopération entre membres et la création de projets collectifs, principalement par une animation privilégiant les relations de pair à pair.
Dans ce cadre, de nombreux outils ont été créés : groupes de travail permanents, guide des bonnes pratiques, réseau social « totem »…
En parallèle, la SCIC s’efforce de maintenir la démocratie participative vivante. Outre les deux cogérants, la gouvernance s’appuie sur un conseil coopératif de 7 membres annuellement élus par leurs pairs, réuni à 8 reprises en 2017 et sur des « membres gardiens », utilisateurs de Casaco, qui prennent le relais ponctuellement des membres de l’équipe permanente, si besoin, afin d’impliquer « la tribu » dans la gestion même de la SCIC pour en faire une affaire commune.
De même, en 2018, la coopérative a créé deux organes supplémentaires : un comité d’animation composé de 4 membres tirés au sort tous les 6 mois parmi les volontaires et un conseil de la tribu, un rassemblement participatif permettant de questionner les usages et services de Casaco.
Enfin, la confiance des partenaires (réalisation d’un DLA, octroi de prêts de la NEF et de France active, de la stribu, appelé « PowWow » et un rassemblement participatif. Enfin, la confiance des partenaires (réalisation d’un DLA, octroi de prêts de la NEF et de France active, achat et location du bâtiment par la mairie…) et des membres de la coopérative ont permis de surmonter les difficultés de la jeunesse (fragilité du modèle économique, organisation interne, périmètre d’action de l’équipe…).
Au final, le bilan est globalement positif : 148 membres actifs composent la « tribu », quasiment à parité (47 % de femmes), dont 57 associés, un conseil coopératif de 7 membres et une équipe salariée de 4 personnes.
Les métiers et les statuts témoignent d’une grande diversité, première richesse de la coopérative : 19 entreprises (dont deux SCOP), deux associations, 23 travailleurs autonomes, 9 entrepreneurs salariés dans une CAE, des porteurs de projets et des télétravailleurs forment le cœur de la « tribu » intervennant dans les domaines culturels, de l’agro-alimentaire, de la finance, de l’environnement, du tourisme que du BTP, des services, de la communication, du bien-être, de l’aéronautique et de l’astrophysique… La coopérative a atteint l’équilibre économique avec un chiffre d’affaires de 170 000 € en 2017.
De l’avis de Christelle Baron, chercheuse à Paris Descartes, embarquée à Casaco car la coopérative a choisi de s’inscrire dans une démarche de recherche-action-évaluation, Casaco fédère les trois dimensions traditionnelles des tiers lieux que sont la maisonnée, le travail et l’œuvre, l’agora. Mais elle repère aussi trois thématiques originales, qui s’appliquent aux tiers lieux coopératifs et collaboratifs : le rapport au temps, le rapport au corps et, enfin, la création d’un collectif à partir des singularités individuelles.
La co-existence de temporalités différentes est ainsi une première richesse : ainsi s’articulent, au sein de la coopérative, des temporalités courtes mais ritualisées (les mardis de Casaco, les soirées apéro,…) que plébiscitent les membres de la coopérative, la temporalité plus longue de l’artisan, du « fabriquant » et, entre les deux, la possibilité de l’inattendu, de l’inédit, « le temps de la liberté d’action, c’est-à-dire de créer un événement qui rompt avec les processus et les habitudes » (Christelle Baron).
Le rapport au corps constitue une seconde particularité. Outre l’attention portée au bien-être des utilisateurs (qualité des espaces de travail, d’échange et de repas, potager collectif etc.), la présence de spécialistes du « bien-être » (sophrologie, hypnose…) mène à des débats sur la « pleine conscience » mais contribue aussi au vivre ensemble, espace du politique par nature.
En dernier lieu, les événements et la dynamique collective permettent de « révéler les singularités de chacun » et offrent « le terreau de la possibilité d’agir en commun, où les différences stimulent l’échange et la création d’une communauté politique plutôt que d’intérêts bien compris » (idem).
En conclusion, Casaco est engagé dans trois enjeux de nature différente.
En premier lieu, au niveau local, l’ouverture, fin 2019, d’un second tiers lieu à Malakoff, avec l’appui de la municipalité, dont Casaco est l’un des associés fondateurs, consacré aux métiers artisanaux, du numérique et de la cuisine afin de favoriser la production en circuits courts et de faire naître des vocations locales.
En deuxième lieu, à l’échelle régionale, la recherche de lien avec les coopératives d’activité et d’emploi. La complémentarité entre tiers lieux et CAE paraît de plus en plus comme une évidence : toutes les deux revendiquent l’émancipation de leurs membres en accompagnant la création d’une activité économique autonome dans un cadre collectif et elles offrent des services complémentaires : statut protecteur de l’entrepreneur salarié d’une part et espace physique de créativité et de rencontres d’autre part. Engagée par de nombreux tiers lieux et par les CAE, cette démarche est aussi portée par Casaco qui joue un rôle moteur en Île-de-France.
En dernier lieu, la structuration, au niveau régional et national, d’un réseau de tiers lieux solidaires, en capacité de se distinguer des initiatives purement marchandes de coworking et afin de faire valoir la spécificité de l’approche coopérative et émancipatrice que portent ces tiers lieux.